« Faces » : l’art de ne pas danser
Par Élise Ternat
Les Trois Coups
En résonance avec la 11e Biennale d’art contemporain qui débute ces jours‑ci à Lyon, l’Opéra ouvre sa saison avec « Faces », dernière création de Maguy Marin du 14 au 18 septembre 2011. Cela témoigne une nouvelle fois des rapports privilégiés entretenus entre son ballet de danseurs et la chorégraphe. Cette nouvelle pièce est l’occasion de mettre en scène les 28 interprètes de la compagnie dans un exercice peu académique de non‑danse fidèle à la trajectoire dessinée depuis de nombreuses années par l’ex‑locataire du Centre chorégraphique national de Rillieux‑la‑Pape.
L’espace scénique, pour commencer, surprend par sa profondeur, elle-même accrue par la présence d’un miroir recouvrant le fond de scène. À l’avant, sur chacun des deux côtés sont positionnés des écrans plats, diffusant en version noir et blanc ce qui se joue sur le plateau selon divers angles de vue, comme pour montrer à quel point le tube cathodique euphémise la réalité en la rediffusant. Un à un, les danseurs apparaissent sur scène. Leur groupe constitue bientôt un amas, ensemble homogène et indistinct d’individus amenés à composer à la perfection toute une série de tableaux immobiles. Leur succession crée un véritable rythme entrecoupé d’interstices de noir, moments privilégiés pour que les interprètes puissent aller, venir, créer et transformer un tableau en un autre.
Ici, comme dans chacune des créations de Maguy Marin, l’exigence de la forme ne ménage pas le public et se fait l’assise d’un propos fort. Faces aborde un thème cher à la chorégraphe : celui du collectif, avec ici l’étude plus particulière de la manipulation des masses, opérée par les appels à l’émotion, campagnes de publicité, les leaders d’opinion et autres guides qui portent et soumettent les individus à des stratégies de communication. À l’instar de la précédente création, Salves, les images qui composent Faces sont chargées de références. C’est une véritable exposition d’art où les tableaux se succèdent : un radeau de la méduse, une vierge portée aux nues, des rois se prosternant devant des gisants, ou encore des hommes en prière… autant de meneurs et de suiveurs constitutifs des scènes de genre immobiles, que jamais le mouvement ne vient perturber. Au point d’être surpris lorsque des couples de danseurs s’enlacent durant quelques secondes de slow à contretemps d’une musique de discothèque. Ce bref passage constitue en effet l’unique moment dansé de la pièce.
La place centrale donnée à la lumière
En parfaite synergie avec l’esprit de Faces, la dimension sonore signée Denis Mariotte affiche un mélange improbable d’infrabasses, partition de piano, sonorités concrètes et concassées. Les sons viennent se heurter à des rythmes d’éclairages décalés, dont la capacité à fragmenter littéralement la pièce réaffirme la place centrale donnée à la lumière. Des faisceaux viennent parfois découper l’espace et les scènes, tandis que certains moments stroboscopiques décomposent et saccadent les mouvements des danseurs. C’est une véritable épaisseur à la fois musicale et lumineuse qui vient ainsi s’adjoindre à la dimension visuelle de la pièce.
À la manière d’une œuvre d’art contemporain, Faces est une pièce qui surprend efficacement ; performance et non-danse s’y associent pour étoffer la puissance du propos. Une valeur sûre, donc, dont la tonalité présage déjà une Biennale d’art contemporain des plus prometteuses. ¶
Élise Ternat
Faces, de Maguy Marin
Ballet pour 28 danseurs, création mondiale par le ballet de l’Opéra de Lyon
Chorégraphie et mise en scène : Maguy Marin
Collaboration à la conception et à la réalisation : Denis Mariotte
Danseurs : Alexis Bourbeau, Julia Carnicer, Randy Castillo, Dorothée Delabie, Marie‑Lætitia Diederichs, Simon Feltz, Amandine François, Aurélie Gaillard, Thomas Gallus, Harris Gkekas, Yang Jiang, Mariane Joly, Caelyn Knight, Tadayoshi Kokeguchi, Misha Kostrzewski, Carlos Laiñez Juan, Franck Laizet, Sora Lee, Coralie Levieux, Karline Marion, Ruth Miro Salvador, Elsa Montguillot de Mirman, Julian Nicosia, Mathieu Rouvière, Raúl Serrano Núñez, Denis Terrasse, Pavel Trush, Agalie Vandamme
Costumes et accessoires : Montserrat Casanova
Scénographie : Michel Rousseau
Lumières : Alexandre Béneteaud
Dispositif sonore : Antoine Garry
Photo : © Michel Cavalca
Opéra de Lyon • place de la Comédie • 69001 Lyon
Du 14 au 17 septembre 2011 à 20 h 30, dimanche 18 septembre 2011 à 16 heures
Réservations : 08 26 30 53 25 (0,15 €/min)
Ce spectacle est présenté en résonance avec la Biennale de Lyon 2011
Durée : 1 h 15
10 € à 31 €