Huit spectacles pour prendre le pouls du monde
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Du 10 au 18 mars, spectacles, performances et concerts bousculeront une fois de plus les lignes à Cergy-Pontoise. Le Festival Arts & Humanités propose une programmation audacieuse, très largement féminine, avec des artistes singuliers rarement vus sur les scènes européennes (trois premières françaises). Autant de cris de révolte et de pistes pour mieux vivre le monde collectivement.
« Le Festival Arts & Humanités s’affirme plus que jamais comme un temps privilégié pour ouvrir grand nos regards sur l’ailleurs », explique Fériel Bakouri, la directrice de Points communs. « À travers des performances internationales engagées et des temps d’échanges ouverts à tous, Arts & Humanités poursuit son ambition de questionner nos sociétés pour mieux les appréhender, les comprendre, dans l’espoir d’envisager de plus doux lendemains ».
Girl Power
En ouverture, Les Amazones d’Afrique, fondées en 2015 par les plus grandes divas d’Afrique de l’ouest, nous proposent un voyage musical palpitant, aux mélodies riches et visionnaires. La sororité en étendard, ces femmes puissantes, à l’énergie contagieuse, prouvent qu’ensemble, on peut changer la marche du monde. Mobilisées contre les violences faites aux femmes, partout dans le monde, elles font de la musique une arme. Avec leurs voix envoûtantes, elles chantent la justice et l’égalité. Une lutte festive tissée de musique traditionnelle mandingue, de beats électro ou hip-hop, d’accents pop, funk et dub.
Rebota Rebota y en tu cara explota (ça rebondit, ça rebondit et ça t’éclate en pleine face) s’attaque non seulement aux féminicides, mais dénonce également les stéréotypes des rôles féminins au théâtre et au cinéma. Pour combattre l’indifférence et pousser un cri d’alarme, la metteuse en scène et créatrice catalane Agnés Mateus scande les insultes que subissent les femmes. Pour cette re-création dans une version française, seule sur un plateau à l’esthétique néo-pop, elle puise dans sa propre rage pour nous livrer une performance sidérante, au son d’une musique techno au tempo infatigable. Une impérieuse dénonciation.
Chorégraphies du scandale et de la révolte
Danseuse et chorégraphe d’origine dominicaine installée à Berlin, Ligia Lewis mêle danse, théâtre et arts visuels pour interroger les métaphores et les inscriptions sociales du corps. A Plot / A Scandal explore l’univers symbolique et émotionnel du scandale, dont toute la densité se dévoile : immoral, indécent et pourtant diablement attirant ! Une œuvre affective et provocante.
© Michiel Devijver
Chez Castélie Yalombo, tout est instable. Dans cette performance d’une rare puissance, la chorégraphe se nourrit de sa propre identité (née d’une mère belge et d’un père congolais) et entreprend ce qu’elle définit comme « son odyssée dans l’espace d’une identité mixte ». Revendiquant sa singularité, elle se déplace d’une image à une autre, jusqu’à devenir un clown, seule figure autorisée à prendre la parole. Water, l’atterrée des eaux vives est un vibrant hommage à l’ambivalence de l’humanité.
Questionnements sur l’état du monde
La chorégraphe martiniquaise Annabel Guérédrat signe des œuvres puissantes, profondément traversées par une réflexion sur la condition féminine, mais aussi l’écologie. Le concert performatif MamiSargassa 3.0 s’inscrit dans une série qui explore les rituels d’enterrement d’une algue toxique, la sargasse. Nous sommes en 2083, sur une île déserte autrefois appelée Martinique. Après des siècles de colonisation, de contamination, d’occupation et de tourisme, aucun humain, aucun animal, aucune plante n’a survécu. Seules les sargasses sont restées. Une nouvelle entité génétiquement modifiée a éclos. Pour rester vivante, elle s’enterre elle-même dans de la sargasse fraîche. Cet acte de sorcellerie lui permet de renaître, de se réhumaniser et d’enfanter de nouveaux êtres hybrides.
Dans les Chercheurs, la parole est donnée à des jeunes artistes venant en partie de différents pays d’Afrique. Ils sont venus pour tenter leur chance en Europe, y poursuivre leur parcours artistique et gagner de l’argent. Ils étaient des stars dans leur pays, des légendes de la danse urbaine et les voilà plongés dans les déséquilibres d’un continent qui ne leur tend pas forcément les bras. Politique migratoire, racisme, leur parcours est semé d’embûches. Comment trouver sa place entre la diaspora africaine et les nouvelles collaborations qu’ils souhaitent faire ? L’histoire de ces sept interprètes se raconte ici à travers leurs témoignages bouleversants dans une mise en scène de Monika Gintersdorfer. Avec une chorégraphie, à couper le souffle, créée à Points communs.
Amusant et savoureux mais incisif
Décor kitch, questions à choix multiples, présentatrice affable entourée de ses acolytes féminines, tout y est ! L’artiste brésilienne Luanda Casella anime un amical quiz télévisé. Derrière ce jeu de pacotille se cache pourtant une réflexion bien plus profonde. Killjoy Quiz refuse l’ordre établi, ébranle l’idée du vainqueur et poursuit un autre but, plus précieux, celui d’apprendre à engager le dialogue. Juste avant la représentation, l’autrice Agnès Marietta et le comité de lecture de Points communs liront des textes inspirés par cette pièce, un jeu télévisé qui combat les préjugés (Les Mots parleurs, gratuit).
Dans un dispositif particulier, au centre du plateau du Théâtre des Louvrais, Calixto Neto nous invite à partager la préparation d’une feijoada, plat symbolique de la gastronomie brésilienne à l’origine controversée. Le savoir populaire attribue sa création aux esclaves qui mélangeaient les restes de viande jetés dans les maisons des maîtres. À travers cette recette, le chorégraphe brésilien évoque la culture de son pays. La samba donne le rythme de la soirée : chansons, préparation culinaire, intermèdes textuels, discussions enflammées et danses dialoguent allègrement. La Feijoada se prépare ici dans une œuvre « choré-gastronomique » aux accents politiques, menée tambour battant, par une équipe artistique pluridisciplinaire accompagnée d’une cheffe brésilienne. Le spectacle se poursuivra par une dégustation en compagnie des artistes.
Points communs, espace de dialogue
Voilà donc une programmation engagée, en résonance avec les réalités géopolitiques et des enjeux sociétaux, des propositions qui racontent beaucoup de notre époque. Points communs se veut aussi un lieu de vie chaleureux. L’humain, les rencontres et le partage sont au cœur de tous ses projets. Portes grandes ouvertes sur le monde et la jeunesse, le festival Arts & Humanités offre un véritable espace de dialogue, y compris avec les étudiants. Conversations est un cycle de quatre séminaires co-construits, invitant des artistes et des chercheurs à croiser leurs regards et leurs expériences sur des enjeux posés par des spectacles de la saison. Soin et toxicité en habiter colonial questionnera l’héritage du colonialisme et du néocolonialisme, avec le prisme de l’art.
Enfin, on pourra découvrir les œuvres réalisées par cinq étudiants de l’École nationale supérieure d’arts Paris-Cergy, dans le cadre d’un appel à projet leur proposant de créer de nouvelles formes, performances ou installations, en lien avec la programmation. Accompagnés et conseillés par Volmir Cordeiro, chorégraphe en résidence à Points communs, ils partageront leur propre vision du monde (le vernissage est suivi par un DJ Set, proposé par le BDE de l’École nationale supérieure d’arts Paris-Cergy). 🔴
Léna Martinelli
Festival Arts & Humanités
5e édition, du 10 au 18 mars 2023
Le détail de la programmation ici
Points communs, scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise
Théâtre 95 • Allée des Platanes • 95000 Cergy
Théâtre des Louvrais • Place de la Paix • 95300 Pontoise
ENSAPC • 2, rue des Italiens • 95000 Cergy
Tarifs : de 6 € à 25 €
Réservations : 01 34 20 14 14 ou par mail ou en ligne