Lancement de festival grandiose
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Le festival de l’Epau vient d’offrir une exceptionnelle soirée d’ouverture au public sarthois à l’Abbaye Royale. Fidèle à ses fondamentaux, la programmation a commencé par mettre en lumière la voix et le piano. Mais sa directrice, Marianne Gaussiat, aime aussi confier des cartes blanches à des complices qui croisent les genres, hors des sentiers battus.
C’est la passion qui a ouvert cette 36e édition du festival de l’Epau, celle de la musique, du partage avec tous les publics, à l’Abbaye Royale. Du haut de ses 789 ans, l’œuvre de la veuve de Richard Cœur de Lion a traversé les siècles, mais le lieu, désormais propriété du département de la Sarthe, s’est doté d’une nouvelle identité afin de développer son rayonnement touristique et culturel.
Site remarquable ouvert à la création
Joyau de l’architecture cistércienne, ce patrimoine est notamment tourné vers le monde grâce à une programmation exigeante, qui anime le lieu toute l’année. L’abbaye, construite pour faire entendre les chants grégoriens, offre les fruits de ce passé au public tout en ouvrant grand les portes à la création.
Parmi les temps forts : le festival de l’Epau, qui renouvelle le genre sacré, depuis 36 ans. Des artistes classiques réputés ou faisant partie de la jeune génération, viennent en effet illuminer l’Epau de leur présence. Dans ces lieux inspirants, l’âme s’élève volontiers avec la musique. Clamées ou murmurées, ces partitions, porteuses d’émotions éternelles, nous atteignent directement. L’excellence des formations et la virtuosité des artistes contribuent aussi pour beaucoup à nous faire vibrer.
Bouleversante Sandrine Piau
Après avoir été accueillie par les participants à l’atelier de musique ancienne du Conservatoire à rayonnement intercommunal de Sablé-sur-Sarthe, place à la musique vocale ! Pour cette première soirée, Sandrine Piau a été conviée à chanter les plus beaux airs de Haendel. Accompagnée des Paladins, un ensemble vocal et instrumental qui explore principalement le répertoire musical italien et français des XVIIe et XVIIIe siècles, elle a confirmé sa place d’exception dans le monde lyrique.
La soprano a eu le plaisir de retrouver le chef d’orchestre Jerôme Correas, qu’elle a rencontré au Conservatoire de Paris et avec qui elle a fait ses débuts, auprès de William Christie, avant de mener de nombreux projets aux quatre coins du monde. Une collaboration d’une dizaine d’années avec les Paladins l’a amenée à explorer, entre autres, Vivaldi ou Rameau.
Ce soir-là, pieds nus à cause d’un malheureux accident de valise, elle a interprété les « héroïnes sombres » du compositeur allemand, auquel elle a déjà consacré plusieurs disques. Entre délicatesse et puissance, elle a puisé dans une large palette d’émotions, sans négliger de succomber aux affres de la jalousie. Ses rôles (Alcina, Cleopatra, Armida) sont des femmes de pouvoir et d’expérience, dont la vision de l’amour est loin d’être idéalisée. Les accents tragiques du répertoire n’ont pas entaché la pureté de sa voix, la faisant apparaître tour à tour fragile ou forte, voire redoutable. Bref, humaine et bouleversante.
Folies d’Espagne : voyage envoûtant
Les instruments des Paladins ont aussi magnifiquement résonné sous les voûtes de l’abbatiale. Il faut relever le talent de tous les interprètes, sans oublier Jerôme Correas, chef d’orchestre aguerri, qui les a entraînés avec une belle énergie et un style très personnel, délié et physique. Comme l’interprétation de Sandrine Piau, sa direction est fondée sur la théâtralité.
Si ce claveciniste et baryton-basse a d’abord développé une passion pour le répertoire ancien, il aime aussi emprunter des chemins de traverse. Son goût de la musique, du théâtre et de la danse se prête bien à l’esprit festif des fins de soirée, au Magic Mirror, ouvert aux musiques alternatives. Certains des artistes sont en effet invités à y partager leur jardin secret et leurs découvertes de jeunes artistes.
Jerôme Correas, lui-même au clavecin et aux percussions, a donc aussi dirigé l’incandescente soprano Anouschka Lara, un violoncelliste, ainsi qu’un joueur de théorbe et de guitare baroque, dans un programme original, tout en contrastes avec le précédent. Ces musiques sépharades et arabo-andalouses furent l’occasion de découvrir des instruments peu courants et des rythmes inattendus pour le clavecin.
Lise de la Salle : virtuose
Enfin, pour la musique de chambre, le Festival rend hommage cette année à Debussy, mort il y a cent ans. Les Midis musicaux, à l’Hôtel du département du Mans, rendent ainsi hommage, sous les doigts de pianistes trentenaires, à cet esprit libre qu’était le compositeur, l’un des plus emblématiques de l’esprit musical français.
Le 23 mai, c’est Lise de la Salle qui l’a mis en miroir avec son répertoire de prédilection, en l’occurrence Bach, auquel elle vient de consacrer son dernier album (Bach Unlimited, Naïve Classiques). Malgré une chaleur accablante, la jeune femme a offert une exceptionnelle prestation, vivant chaque morceau, chaque note, avec intensité.
C’est l’une des plus grandes pianistes de sa génération. D’ailleurs, sa carrière internationale l’atteste. À 9 ans, elle donnait son premier concert diffusé en direct par Radio France. Depuis l’obtention d’un diplôme du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, avec la plus haute distinction, elle parcourt le monde.
Un immense talent, à la mesure de ses talons ! Perchée sur ses chaussures impressionnantes, elle a reçu, elle aussi, une ovation bien méritée. Oui, dans ce programme le piano est roi et Lise de la Salle est une reine. Décidément, avec ou sans chaussures, ces femmes en imposent ! ¶
Léna Martinelli
Festival de l’Epau, 36e édition
Du 22 au 29 mai 2018
Abbaye Royale de l’Epau • Route de Changé • 72530 Yvré L’Évêque
Hôtel du département (Saille Joseph Caillaux) • Place Aristide Briand • 72000 Le Mans
Informations et réservations : 02 43 84 22 29
Billetterie à l’Abbaye de l’Epau, du lundi au dimanche, de 11 heures à 17 heures
Pass intégral : tarif unique à 180 € (accès à l’ensemble des concerts)
Carte festival : tarif réduit appliqué dès l’achat simultané de 3 concerts par personne (carte nominative)
Tarif réduit accordé aux demandeurs d’emploi, comités d’entreprise, Carte Cézam, carte Moisson, groupes (à partir de 10 personnes) et adultes (2 maximum) accompagnant un jeune bénéficiant du tarif 12-25 ans.
Gratuité accordée pour un accompagnant P.M.R. et aux moins de 12 ans. Tarifs spéciaux pour l’abbatiale et le dortoir appliqués sur certaines places n’offrant pas une visibilité maximale.
Les chèques « Pass Spectacle » Région Pays de la Loire et « Collège 72 » du Département de la Sarthe donnent droit à une entrée gratuite pour un concert du festival.