« Festival Jazz sous les pommiers », 38e édition, à Coutances

Angélique-Kidjo © Gerard.Boisnel-

Une ouverture prometteuse

Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups

Désormais à l’âge de la maturité, Jazz sous les pommiers n’a rien oublié de sa fringante jeunesse. Il s’offre même le luxe d’agrandir sa programmation en l’ouvrant le vendredi soir et en ajoutant un concert le lundi soir. Nouveautés dont le public, en vrai gourmand qu’il est, ne se plaint pas. Quant à la qualité de ce qui est proposé, on le verra, elle a de quoi réjouir les gourmets.


Orchestre Franck Tortiller, Shut Up’n Sing Yer Zappa : foisonnant

Avec ce concert du 25 mai, la 38e édition de Jazz sous les pommiers est véritablement entrée dans le vif du sujet. Le titre est également celui d’un album qui vient de paraître sous le label Mco. Il s’agit d’un détournement de Shut Up’n Play Yer Guitar, la série d’albums publiés par Frank Zappa en 1981, en réaction aux paroles d’un critique qui lui reprochait de trop parler sur scène. La variation introduite par Tortiller indique bien son propos : s’en tenir aux chansons, à quelques-unes d’entre elles.

Orchestre-Franck-Tortiller
Orchestre Franck Tortiller © Jean-François Picaut

Nous entendrons notamment « Brown Shoes Don’t Make It », « Montana », « Mother People » et « Joe’s Garage ». L’orchestre de Franck Tortiller rend bien le foisonnement, la fougue et l’énergie du rock de Frank Zappa. Les costumes souvent colorés et parfois accessoirisés à l’extrême, sont à l’image de la liberté musicale revendiquée et pratiquée par Zappa. Ce travail s’inscrit parfaitement dans la lignée du parcours de Tortiller avec Led Zeppelin et Janis Joplin.

Comme toujours, les arrangements du chef d’orchestre reflètent son goût – sa passion même – pour ce type de formation : rigueur et inventivité, richesse des timbres, équilibre des pupitres. Une mention toute spéciale à Matthieu Vial Collet (guitare et voix), dont Tortiller dit que s’il n’avait pas accepté d’en être, le projet n’aurait pas eu lieu. On signalera aussi Yovan Girard (violon) dont un grand connaisseur de Zappa m’assure qu’il a retrouvé le son de l’instrument dans les concerts du maître. Tom Caudelle (tuba ténor ou euphonium) tire également son épingle du jeu.

Jacques Schwarz-Bart, Hazzan : retour aux sources

Pour cet album dédié à la mémoire de son père, André Schwarz-Bart, l’auteur du Dernier des Justes (Goncourt 1959) et de La Mulâtresse Solitude, Jacques Schwarz-Bart a puisé dans les chants juifs de son enfance, mais aussi dans la tradition juive d’Afrique du nord, du Cameroun, d’Afrique du Sud, du Yémen et de l’Irak. L’album Hazzan qui en résulte est tout, sauf folklorique. Le saxophoniste et compositeur a su lui donner une ampleur et une richesse qui lui confèrent une valeur universelle.

Jacques-Schwarz-Bart © Gerard-Boisnel
Jacques Schwarz-Bart© Gérard Boisnel

Les thèmes s’y prêtent. « Ma Nishtana », est une prière de guérison. « Oseh Shalom » chante la fraternité sur un thème très mélodique qui fournit à Grégory Privat, remarquable au piano, l’occasion d’un solo très véloce et volubile sur des séries de notes répétées et à Jacques Schwarz-Bart (saxophone ténor) l’espace pour une envolée lyrique de haut vol. « Ahot Ketana » qui nous vient du Maroc est une pièce plus légère aux allures de comptine ou de chanson à danser. « Adon Olam », chant important de la liturgie juive, inspire un superbe duo au saxophoniste et à Arnaud Dolmen (batterie) avant une magnifique improvisation au ténor, remarquable par sa vélocité et sa recherche de l’extrême. Le calme revient avec « Avinu Malkenu », prière de recueillement lors du Grand Pardon, qui inspire un long solo méditatif à Schwarz-Bart, relayé par une intervention d’une ineffable douceur de Stéphane Kerecki à la contrebasse. Dans ce répertoire, « Shabbar Menuka Hi », qui nous vient du Yémen, tient une place à part. Schwarz-Bart y a combiné des emprunts à la musique gnawa et au jeu du gwo Ka et du goulagueul guadeloupéen. Belle prestation d’Arnaud Dolmen.

Le public a réservé, à juste titre, un accueil très chaleureux à ce concert très dense et sans esbrouffe.

Angélique Kidjo : histoire d’un engagement

Lauréate de trois Grammy Awards et de l’Académie Charles-Cros, entre autres, ambassadrice de bonne volonté pour l’UNICEF, cette chanteuse béninoise est la star la plus internationale de la musique africaine. Ce soir-là, Angélique Kidjo a rendu hommage aux musiciens qui l’ont inspirée. Elle nous a convié à un voyage musical dans l’histoire personnelle et artistique de celle qui fut un jour une émigrée et qui, aujourd’hui, côtoie, à leur demande, les grands de ce monde.

Au début, il y eut l’atmosphère musicale du foyer familial et la volonté du père de faire éduquer ses dix enfants, sept garçons et trois filles auxquelles il laissa la même liberté de choisir leur destin qu’à leurs frères. Quand Angélique Kidjo, fuyant la dictature de Mathieu Kérékou, débarque à Paris en 1983, elle est sevrée de musique contemporaine depuis une dizaine d’années. Higelin, Gainsbourg, Nougaro sont une découverte et un choc pour elle. En souvenir de ce temps, elle inaugure ce concert avec une interprétation très sensible de Gainsbourg, « Ces petits riens ».

La chanson de Brel qui suit, « Ne me quitte pas », est là en mémoire de Nina Simone, un de ses phares. Elle la chante d’abord de façon très fidèle à l’original, puis la transpose en jazz-pop sur un rythme plus rapide et « africanisé » qui ne la trahit pas du tout. Une réussite que le public salue.

Un invité spécial, Erik Truffaz, la rejoint alors. Hélas, Angélique Kidjo le sollicite beaucoup moins qu’on ne l’aurait espéré. Dommage, car le trompettiste élargit le temps et l’espace des chansons dans lesquelles il intervient et qu’il habille d’un halo de mystère.

Admirablement soutenue par Dominic James à la guitare et Marcos Lopez aux percussions, Angélique s’est alors tournée vers le répertoire de Celia Cruz (1925 – 2003), la grande chanteuse cubaine qui s’est illustrée notamment dans la salsa. Elle lui consacre même un album, Celia, qui vient de sortir chez Verve / Universal. Selon ses propres termes, elle ramène en Afrique, sur le plan rythmique notamment, les chansons de Celia Cruz comme « Azucar ».

Dans son évocation du combat de l’Afrique pour sa libération post indépendance, Angélique Kidjo fait appel au fameux titre de Bob Marley, « Africa Unite » qui clôt le concert avant un bis dansant où elle invite le public à la rejoindre sur scène, ce que fait un groupe d’intrépides pour le plus grand plaisir des spectateurs. 

Jean-François Picaut


Festival Jazz sous les pommiers 2019

38e édition, du vendredi 24 mai au samedi 1er juin 2019

Les Unelles • B.P. 524 • 50205 Coutances cedex

Tél. : 02 33 76 78 50

Billetterie : 02 33 76 78 68 (du lundi au samedi, et tous les jours pendant le festival) et en ligne

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