Festival Multi-Pistes 2024, reportage, Le Sirque, Nexon

Multi-Pistes Nexon nuit © Hugo Malidin

Le goût de l’Autre

Léna Martinelli
Les Trois Coups

Le festival s’est achevé le 18 août après six jours de spectacles, de concerts gratuits et d’extra (atelier, initiation, massage). Une bonne édition portée par Le Sirque, avec une programmation éclectique, où l’engagement physique et le spectaculaire ont côtoyé la fantaisie ou la poésie. De quoi ravir un large public.

Toute l’année, c’est sous le chapiteau permanent du Pôle national des arts du cirque que les artistes travaillent. L’été, le site, tout autour de l’esplanade du château, accueille l’un des festivals les plus intéressants de l’été : Multi-Pistes, dont le nom traduit bien le souhait d’associer cirques et musiques actuelles, le tout au pluriel.

De bruit et de fureur

Commençons par le pittoresque avec, pour la première fois, à Multi-Pistes, une attraction foraine : Mortel jus de mortel (Le Mur de la mort). Dans ce « puits de l’enfer », ce « tourbillon mortel », ce « cylindre infernal », cette « cuve diabolique », la pratique acrobatique de la moto sur paroi verticale fait immanquablement vibrer. Ce cirque mécanique promet une expérience riche en sensations : le bruit, l’odeur qui vous colle à la peau et surtout la peur… Une parade : se concentrer sur l’excellente musique live, plutôt que tromper la mort avec ces cascades de ouf. Ces gars-là ne trichent pas.

L’origine du mur de la mort est américaine. Construit en 1930, il est inscrit aux monuments historiques en tant qu’objet mobilier, d’autant plus qu’il fait partie des trois plus vieux spécimens en activité dans le monde. Sa conception unique avec rampes d’accès extérieurs en fait l’un des plus remarquables.

« À ciel ouvert », Cirque Aïtal © Mario del Curto

De même, À ciel ouvert (Le Cirque Aïtal) évolue dans un dispositif original. Son terrain de jeu tient du campement nomade, de la place de village et de la cour de ferme. La frontière n’a jamais été aussi floue entre le monde animal et celui des humains. Cette proposition foutraque vue à Auch ne nous avait pas franchement convaincus, malgré l’emblématique duo main à main Kati Pikkarainen et Victor Cathala, malgré des musiciens prêts à toutes les pirouettes, malgré une tribu cocasse.

Vertiges

On préfère le vertige des sens, celui des Amants (Cirque Exalté). Ce duo à la passion contagieuse dégage une bien belle énergie : un homme et une femme s’aiment et dansent. Ils se sont rencontrés à 17 ans et cela fait 17 ans aujourd’hui qu’ils partagent leur vie : « Quand on ne se regarde plus, on danse ». Ils aiment donc qu’on les regarde s’aimer et danser.

Tango argentin, rock acrobatique, lindy-hop, salsa… On repère ici et là quelques pas, mais c’est leur style qui s’impose. Ils préfèrent casser les codes. Leur danse de couple, sensuelle, un brin provocante, vient des tripes. Ils improvisent, créant de magnifiques portés. Ils prennent surtout des risques, si près du public. Ensemble, ils tournent, virevoltent, jusqu’à en perdre la tête. Un vrai engagement, au propre et au figuré. De la haute voltige amoureuse, en somme. On peut ne pas être emballée, car le spectacle ne tient qu’à un fil. Le propos est ténu. Pourtant, on ne va pas bouder ce bonheur en partage, cette belle complicité, cette symbiose si bien traduite en actes ! C’est déjà beaucoup.

Cirque intime

Autre duo amoureux : L’Attraction céleste, raconte comment, parfois, les liens se délient, pour laisser place au vide, empli de tendresse. Nourri de jeu clownesque, de musique et d’arts plastiques, l’Empreinte aborde la fragilité des équilibres. Convivial, humain, il met aussi les spectateurs à contribution. Un moment unique, sensible, poétique, généreux qui laisse des traces (lire notre critique).

Collés, serrés, Alexandre Denis et Frédéric Arsenault (La Mondiale générale), le sont indéniablement sur leur bastaing. Vont-ils tenir ? Leurs tendres échanges nous parviennent amplifiés grâce à un opérateur son. Le temps est compté. Mais ce qui se joue ici relève de bien plus qu’un simple défi acrobatique. Le dispositif de Rapprochons-nous est épuré. Les gestes sont rares et exigeants. Une proposition originale (lire notre critique).

« Ali », cie MPTA © Christophe Raynaud de Lage ; « Rapprochons-nous », La Mondiale générale © Pierre Barbier ; « L’Empreinte », L’Attraction céleste © Emmanuel Veneau

Ali repose sur l’amitié entre les interprètes, dont l’un est en béquilles. Deux têtes pour trois jambes : ce pas de deux assume le déséquilibre. Quand la vie se joue des accidents de parcours et quand l’Autre est différent (lire la critique de Trina Mounier)…

L’étrange

VanThorhout en impose aussi. Il dissèque précisément le pouvoir masculin. Qu’il s’agisse d’anciens dieux, de héros de l’Antiquité, de soldats ou de sportifs, l’exaltation de la force à travers les âges est souvent associée à une célébration de la guerre, de l’agression et de la violence. Thor, à qui le titre fait référence, en est l’une des incarnations. De nos jours, le dieu du tonnerre continue à faire parler de lui sous les traits du super-héros des bandes dessinées et des films Marvel, invariablement représenté avec son marteau Mjölnir.

Dans une performance ascétique mais époustouflante de maîtrise, Alexander Vantournhout se bat à mains nues, jongle avec une massue, puis un étendard, évoluant torse nu, exhibant sa musculature saillante. Toutefois, à l’heure où les stéréotypes sur la masculinité sont profondément remis en question, il invente de nouvelles représentations, toutes en torsions. Sans musique, dans une concentration extrême, ses mouvements se répètent en boucle, jusqu’à faire voler en éclat les stéréotypes. L’objet prend le dessus. L’homme joue de la force centrifuge pour brandir un drapeau blanc. Et si la vulnérabilité et la non-violence étaient des forces vives ?

Méticuleux et méditatif tout à la fois, l’artiste belge se dévoile dans ses contradictions, puisant son énergie dans les quatre éléments. Bien ancré sur ce beau plancher en bois, il s’élève – et nous avec – avec puissance et grâce mêlées. Entre sport, danse et cirque, la performance évoque les derviches tourneurs et les arts martiaux. On finit essoré ou transcendé. Sacré tour de force !

« Piano Rubato », cie Happées © Christophe Raynaud de Lage

Piano Rubato (cie Happées) fait également partie des spectacles qui remuent. À bord d’une sculpture hors norme s’apparentant à un piano-bateau, l’acrobate Mélissa Von Vépy et le musicien Stéphan Oliva explorent un espace transitoire et mystérieux, du Vivant à l’Autre Monde. Cette traversée où les éléments se confondent, laisse place à l’invisible et au silence, afin de n’être plus que souffle et mouvement. Pour peu qu’on se laisse embarquer, une hypnotique plongée dans les mythes liés à la femme-vent, avec des évolutions aériennes aussi puissantes que fluides (lire notre critique).

Étranger

Au lieu de Huellas initialement prévu, la cie Hold-Up & Co a présenté la Fuite. Un remplacement au pied levé, si l’on peut dire, suite à son acolyte interprète « refoulé à la frontière ». Un spectacle fort à propos. Sac sur le dos, il court, ce gars-là. Vagabond, fugitif, réfugié d’hier ou d’aujourd’hui, il affronte les obstacles en série que la vie sème sur sa route.

Olivier Meyrou réinvente la figure du clown qui fit les grandes heures du cinéma muet. On rit de ses élucubrations, on admire sa capacité à se sortir de situations inextricables, on est touché par sa fragilité. Matias Pilet incarne avec grâce et innocence ce héros malmené. Tour à tour acrobate, mime, danseur, il excelle avec une économie de moyens – une tente, les sonorités d’un piano bastringue, quelques bruitages évocateurs – à nous transporter (lire notre critique).

Traiter de ce sujet de façon burlesque est un défi. Les clowns Los Galindos ambitionnent également de questionner l’aspect arbitraire de la justice en en riant. On regrette d’avoir loupé MDR, auréolé de nombreux prix. En revanche, on a pu assister à la présentation des travaux de fin d’études du Centre national des Arts du Cirque. Berceau du cirque contemporain, le CNAC forme, à Châlons-en-Champagne, la nouvelle génération de circassiens. Chaque printemps, la présentation des projets de fin d’études est une étape incontournable. Multi-Pistes offre l’occasion d’y assister. Tendresse, fougue, vulnérabilité et joie étaient au rendez-vous de cette année, un excellent cru (lire notre critique).

© Ximena Lemaire Castro ; © Philippe-Laurencon ; © Le Mur de la mort

Que d’émotions ! Décidément, le cirque actuel se décline au pluriel, dans une incroyable variété. Cette année, à Nexon, on a ri fort, on a rêvé grand, on a aimé intensément, on a pensé librement. Ancré dans le présent, Multi-Pistes confirme aussi son ouverture sur le futur. Vers l’Autre, l’ailleurs et nos lendemains, qu’on espère meilleurs. 🔴

Léna Martinelli


Mortel jus de mortel, Le Mur de la mort

Site de la cie
Sur une idée originale de Pierre Raoul Carnet
Direction artistique : Laurianne Baudouin
Avec : Laurianne Baudouin, Pierre Raoul Carnet, Vincent Estaque, Cédric Dalot, Julien Francillout (Vlad), Jacques Navaux (Tatou) et Andréas Soulard
Création musicale : Julien Francillout (Vlad) et Jacques Navaux (Tatou)
Scénographie : Pierre Raoul Carnet
Durée : 40 min
Esplanade parc du château
Tournée :
• Du 23 au 26 août, dans le cadre du Festival Rue des Étoiles, Lac Latécoère Biscarrosse ( 40)

Les Amants, Cirque Exalté

Site de la cie
De et avec : Sara Desprez et Angelos Matsakis
Regard extérieur : Johan Swartvagher et Albin Warette
Durée : 40 minutes
Tout public
Jardin des Sens
Tournée ici :
• Le 14 septembre, dans le cadre du Chaînon Manquant, à Laval (53)
• Les 21 et 22 septembre, Onyx, à Saint-Herblain (44)
• Les 21 et 22 décembre, dans le cadre des Éphémères d’hiver, à Coueron (44)
• Le 7 février 2025, Le Champilambart, à Vallet (44)
• Les 27 et 28 février, à Beaucouzé (49)

VanThorhout, Alexander Vantournhout

Not Standing
Concept, chorégraphie et performance : Alexander Vantournhout
Assistante artistique : Emmi Väisänen
Dramaturgie : Rudi Laermans et Sébastien Hendrick
Prop design : Tom De With et Willy Cauwelier
Conception lumière : Bert Van Dijck
Costumes : Patty Eggerick
Regard extérieur : Charlotte Cétaire, Anneleen Keppens, Esse Vanderbruggen et Sandy Williams
Manipulation d’objet : Simon Janson et Sebastian Berger
Remerciements à : Bojana Cvejić, Ben Mcewen et Tom Van der Borght
Coordination technique : Rinus Samyn
Techniciens : Tijs Bonner et Bram Vandeghinste
Durée : 50 min
Le Vaisseau
Tournée ici :
• Du 3 au 4 décembre, Bonlieu scène nationale, à Annecy (74)
• Du 6 au 7 décembre, Espace Malraux scène nationale Savoie, à Chambéry (73)

Festival Multi-pistes

Organisé par Le Sirque, pôle national Cirque Nexon Nouvelle Aquitaine
Du 13 au 18 août 2024
De 3 € à 22 €
Réservations : 05 55 00 98 36 ou en ligne
Infos pratiques
Toute la programmation
Teaser du festival

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Entretien avec Martin Palisse, Festival Multi-pistes 2023, par Laura Plas
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Photo de une : © Hugo Malidin

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