Talents épanouis au festival Mythos
Par Jean-François Picaut
Les Trois Coups
La 23e édition du festival Mythos est allée plus loin en théâtre, en musique et en… gastronomie, avec une offre pléthorique : 90 spectacles programmés pour 117 représentations ! Et le public a suivi : 41 600 spectateurs en salle. Parmi les propositions nouvelles et singulières, nous avons choisi Mélissa Laveaux et Anne Paceo.
Mercredi 3 avril 2019 – Mélissa Laveaux, Radyo Siwèl : l’engagement au cœur
Dès son entrée en scène, Mélissa Laveaux se révèle être une jeune femme joviale, dynamique et sympathique. En français, elle présente sa première chanson, une chanson de malchance, dit-elle, où il va être question d’un chapeau qui causera la mort d’un président d’Haïti, le pays d’origine de ses parents, Panama mwen tombe. La chanson, qui termine son dernier album Radyo Siwèl (label No format, 2018), est chantée, comme toutes les autres, en créole, d’une voix puissante.
L’album Radyo Siwèl est le fruit des recherches ethno-musicologiques entreprises par son auteur. De ce voyage au cœur des racines musicales et politiques d’Haïti, Mélissa Laveaux a rapporté des comptines et chants perdus, qui nous plongent dans une histoire peu connue de son pays, celle de l’occupation américaine entre 1915 et 1934. Elle la décrypte pour nous, en nous faisant partager le combat des chanteurs contraints de ruser pour échapper à la censure, mais aussi une berceuse et une chanson coquine, Lè Ma Monte Chwal Mwen.
Guitariste et chanteuse, Mélissa Laveaux est pleinement l’une et l’autre, ce qui n’est pas si fréquent. Elle l’a prouvé ce soir dans de nombreux titres, en assumant de vrais solos et notamment dans une joute avec le batteur, Martin Wangermée. Elle n’hésite pas à habiller sa musique folk de vêtements très rock où son énergie fait merveille, soutenue par Wangermée, bien sûr, mais aussi par Élise Blanchard (basse, clavier, chant). Cette jeune femme se montre aussi à l’aise dans les sons moelleux que dans les nappes saturées et ne s’en laisse conter par personne pour la vélocité ! Le public a réservé un accueil des plus chaleureux à ce concert plein de vie
Vendredi 5 avril 2019 – Anne Paceo, Bright Shadows : la voix royale
L’an passé, à Jazz sous les pommiers (Coutances), Anne Paceo (batterie, chant, composition) nous avait offert, pour clore sa première année de résidence, une création dense où elle explorait de nouveaux territoires comme à son habitude. Cette œuvre, Bright Shadows, (admirez l’oxymore) est désormais disponible sous le label Laborie Jazz. C’est ce qu’elle nous présente à Mythos, ce soir. Elle est entourée de ses partenaires de Circles au succès quasi planétaire. Tony Paeleman tient les claviers, Christophe Panzani est aux saxophones et on retrouve Pierre Perchaud à la guitare. Deux vocalistes les ont rejoints : Florent Mateo et Ann-Shirley, une pianiste et chanteuse qui n’a pas 24 ans. On l’aura compris, cette nouvelle œuvre d’Anne Paceo fait la part belle à la voix.
Le cri, pièce dédiée aux exilés qui commence le concert, est une magnifique ouverture vocale, très mélodique, dans la semi-obscurité, avec des allures de cérémonial. L’impression est très forte et l’émotion sensible. Jasmine Flower, pièce qui fait beaucoup appel à l’électronique, voit Perchaud signer un solo mélodique de toute beauté, tandis qu’Anne Paceo fait preuve d’une grande agilité. Calle Silencio, tout en douceur, met en valeur un solo mélodique de Panzani au ténor. Hope Is a Swan nous touche par le chant de Florent Mateo, dans un registre de baryton, et par la délicatesse de son accompagnement aux claviers et à la batterie. De Bright Shadows, le titre éponyme de l’album, on retiendra qu’il a marqué un tournant dans le concert. Le public, jusque-là attentif et réservé, comme souvent à Rennes, s’est lâché, saluant chaleureusement un solo de Pierre Perchaud, puis un passage de batterie particulièrement fiévreux et, enfin, une partie chantée de Florent Mateo, en voix de tête dans le style lyrique.
La ferveur se poursuit avec Contemplation. Anne Paceo s’y assume pleinement comme chanteuse en rejoignant Florent Mateo et Ann-Shirley en front de scène. On sent son émotion. La pièce commencerait quasiment a cappella, n’était un discret accompagnement aux claviers. Nehanda (en hommage à Nyakasikana, la mère de l’indépendance du Zimbabwe) continue sur cette ligne de crête. La pièce s’ouvre sur un passage dramatique à la batterie, façon percussion (tam-tam et autres tambours), puis la voix d’Ann-Shirley s’élève avec des intonations africaines, mais dans une langue imaginée par Anne Paceo. Trois magnifiques solos enrichissent ce titre : batterie, saxophone soprano et guitare. Le son de Perchaud y évoque parfois la kora. Un grand moment de chaleur partagée.
Malgré les contraintes horaires, l’enthousiasme du public a obtenu un rappel. Ce fût Stranger, sur un texte bilingue de Sandra Nkaké, dont on reconnaît bien la manière. Un titre chanté par Ann-Shirley et qui est bien à l’aune de cette nouvelle œuvre frappante pour sa hauteur de vue, la richesse de ses compositions, la cohésion et le talent de ses interprètes. ¶
Jean-François Picaut
Festival Mythos 2019, 23e édition
Du vendredi 29 mars 2019 au dimanche 7 avril 2019
Rennes-Métropole
Centre de Production des Paroles Contemporaines (C.P.P.C.) • 57, Quai de la Prévalaye • 35000 Rennes
Tel. : 02 99 79 00 11
Photos : © Jean-François Picaut