Du hors piste et hors norme réjouissants
Léna Martinelli
Les Trois Coups
Chaque premier week-end de juin, Nanterre se transforme en scène ouverte. Cette année encore, la programmation était foisonnante et riche de découvertes. Focus sur les coups de cœur de cette 35e édition.
Parade(s) métamorphose le centre-ville en une scène vivante. La rétrospective en images des dernières éditions retrace bien l’évolution du festival et son esprit, généreux. Dans cet immense terrain de jeu artistique, Monsieur Culbuto en impose. Déambulant sur son chariot, il est tracté par un livreur farfelu qui le dépose ici et là pour des interventions brèves. Un regard échangé, une main tendue, chaque interaction est singulière, chaque moment est éphémère mais intense. Dynamogène, c’est 320 kg de poésie !
Bêtes de scène rue !
Beaucoup d’improvisation pour ces clowns qui battent le pavé. Rebondir sur toutes les situations : voilà leur défi. Transformant des instantanés en évènements inoubliables, des fragments de vie en souvenirs, ils laissent des traces indélébiles. Jouer en rue nécessite de travailler la qualité de présence. Déjà, leur apparence attire l’attention. Faits d’argile, comme échappés d’un autre monde et d’un temps révolu, les Golem intriguent. Se qualifiant d’« Animales fabuleux », ils sont joués par quatre femmes en smokings rapiécés. Le maquillage permet d’exprimer une large palette d’émotions. Leurs comportements et leur lenteur interpellent. Ils font également le poids.
« Monsieur Culbuto », Dynamogène © H. Krul ; « Golem », cie n°8 © Gilles Rammant
Dans la mystique juive, le Golem est inachevé et imparfait. Incapable de parole et dépourvu de libre arbitre, il peut même se révéler féroce. La Cie n°8 a décidé d’en créer quatre, afin de sortir les citoyens de leur torpeur et d’apporter l’humour nécessaire dans « nos sociétés en manque d’amour, de rêves et d’espoir ». Passeurs de mots et de gestes, ceux-là transcendent le drame humain par le rire.
Clowns à gogo
Maladroits, bien que souvent experts dans une autre discipline, innocents ou cruels, impulsifs ou décalés, souvent naïfs et touchants, ces bouffons des temps modernes incarnent la vulnérabilité de notre humanité. D’où leur succès en période de crises : le clown se loge dans chaque interstice. Les clowns parlent à tous. Leur portée est universelle.
Grand succès pour Leandre, justement, dont le spectacle tourne depuis plusieurs années, déjà. Jouant moins avec les imprévus, l’environnement et les rencontres que peuvent susciter les arts de la rue, Fly me to the moon s’inscrit dans la tradition des duos de l’Auguste et du clown blanc. Le déroulé narratif est immuable : les coups bas de l’un n’empêchent pas l’autre de se distinguer.
« Drôle d’impression », Dédale de clown © Nicolas Hergoualc’h © Sarah Meneghello « Fly me to the moon », Leandre © Sarah Meneghello
Ici, la mécanique du rire est rôdée comme du papier à musique et l’esthétique est soignée : des malles vintage, du bois, du fer, de la poussière, de grosses chaussures et des chapeaux jusqu’aux sourcils. La lune les attend. Il manque une once de sensibilité à cette prouesse de rêveurs, même si Laura Miralbés et Leandre Ribera nous font voyager depuis leur bicyclette volante. On prend en effet de la hauteur, car ces clowns-là sont acrobates.
Tout comme Dédale de clown, d’ailleurs. Drôle d’impression combine burlesque et art graphique. Deux colleurs d’affiches sont chargés de poser une fresque sur un mur. Malgré les nombreux aléas du métier, ils restent appliqués à leur tâche. Au fur et à mesure de leur besogne, émaillée par quelques problèmes techniques, un dialogue s’installe entre les deux protagonistes et les photos. Des histoires se racontent, les images se transforment et dévoilent une œuvre surréaliste.
Chutes, ratages, vices… Yano Benay et Frédéric Rebiere excellent dans leur domaine. Inspirés par le répertoire traditionnel des clowns, l’esprit du cirque et influencés par les acteurs burlesques du siècle dernier, tel Buster Keaton, ils défendent un art populaire et exigeant. La compagnie porte un regard oblique sur le monde, parfois dans le plus simple appareil, échappant volontiers à la pesanteur. Sa vision poétique nous la fait hisser en tête de liste de nos coups de cœur.
Bonimenteurs
Les Batteurs de pavés bousculent le rythme des citadins. Ils se lancent un défi de taille : résumer en un temps record les 2 tomes des Misérables, « 800 pages, sans images en plus ! ». Comment jouer tous ces personnages à deux ? Emmanuel Moser et Laurent Lecoultre ont l’art et la manière de faire participer les gens, les mettant en scène avec malice, distribuant les répliques qui fusent : « Gna gna gna » pour les Thénardier, ou encore « Maman » pour Cosette ! Ce jour-là, les spectateurs se sont particulièrement impliqués.
Ces trublions du macadam déploient une énergie sans borne. Grâce à leur bagou et leur humour, ils venderaient Victor Hugo aux plus récalcitrants. Derrière leur apparence de mauvais élèves, ils respectent l’œuvre. Ces Suisses disent être « neutres ». Cependant références à l’actualité et clins d’œil abondent dans cette très libre adaptation. Ils déconstruisent allègrement les clichés dans une démonstration implacable : « Depuis, ça n’a pas changé ! ».
À leur rythme
Dimas Tivane, lui, aimerait faire bouger les ligne. Dans Nkama, qui veut d’ailleurs dire « temps » en Changana, le Mozambiquaismixe sons et mouvements, bouscule les rythmes, les étire et précipite, afin de mieux les dompter, en dansant et en chantant. Ici, ni balles, ni massues. Le jongleur fait avec les moyens du bord. Quelques objets suffisent à se (dé)caler, à partir d’improvisations, puisque chaque trajectoire influe sur la production de sons. Orange, carafe, clés… ces simples objets sonnent différemment.
« Nkama » © Dimas Tivane
Pas anodins ces accessoires, pour cet Africain qui change notre perception de la réalité et nous rappelle, en toute simplicité, l’importance de l’ouverture et du partage autour de l’essentiel : respirer, évoluer, manger, boire, avoir un abri. Aucun discours, les symboles parlent d’eux-mêmes. Original et sincère, ce solo est aussi une belle performance, entre grâce et puissance, free style et maîtrise absolue. Bravo !
Le rythme, le Rocking Chair Théâtre l’a également travaillé à merveille. Frêles et délicates comme deux vieilles branches, ces deux vieilles chanteuses siciliennes prennent le temps nécessaire pour l’Art d’accommoder les restes, un concert marionnettique truculent et touchant sur la Sicile, la vieillesse, l’amitié.
D’emblée, ces marionnettes à taille humaine nous cueillent. Plus trop fraîches mais tellement vivantes ! Habitées par la musique, elles dégagent l’intensité des femmes qui ont vécu, sans jamais s’avouer… vaincues. Guitare, synthé, micros : rien ne leur résiste. Ou presque ! Avec toute l’insolence que peuvent se permettre ces deux divas, elles communiquent la joie d’être toujours de ce monde, ensemble. Emmanuelle Ader, Esther et Rebecca Marlot font remarquablement fusionner théâtre, marionnette et musique. Chapeau à la manipulatrice et aux musiciennes qui jouent à l’aveugle. Comment font-elles ? Les chants sont magnifiques. Et quelles voix !
« Vive la terre ! »
Après une commémoration pas comme les autres – les 50 ans de la chute du capitalisme – la visite guidée de Marzouk Machine dépote : dans un musée de l’Anthropocène grandeur nature, si l’on peut dire, derrière la Maison de la Musique, on s’extasie devant la végétation, le pétrole et tous ses dérivés, on retrouve dans un chewing-gum fossilisé, des traces de canines emblématiques de l’esprit carnassier de ces insouciantes années 2000, où prévalaient pourtant déjà le cynisme…
« Apocalypse », Marzouk Machine © Sarah Meneghello
De façon très drôle, le trio nous plonge dans les prémisses de l’Apocalypse : « Un jour à Paris, le lendemain à Dubaï pour faire du ski ». Le 3e volet nous transporte justement au Qatar, à la finale de la Coupe du monde de football « interdite aux pédés et aux femmes », événement qui fait basculer « la destin de l’humanité ». Autour d’une voiture thermique, pièce rare et clou du spectacle, Apocalypse regorge de trouvailles. Pendant que les régisseurs s’activent sur des vélos générateurs, incarnant des esclaves qui pédalent sous la chaleur de plomb, les trois interprètes (extras) en abattent afin de rappeler les « bouleversiments », la guerre de l’eau, l’assassinat de Greta Thunberg, le pillage des Mac Do, la désastre généralisée… En féminisant les termes masculins, l’autrice cherche-t-elle ainsi à prendre une revanche sur l’homme destructeur ?
Certes, encore de la collapsologie, mais Marzouk Machine transmet la joie d’une société à réinventer, et ce malgré toutes les adversités. Et surtout avec le public. Si les débats font rage, des rituels perdurent et l’utopie devient concrète. Sans didactisme, les enjeux sont très bien posés. Pour cette science-fiction de rue, Sarah Daugas Marzouk, nourrie d’ouvrages de référence, réussit l’exploit de donner des clés de lecture simples. Une proposition épique, maline et galvanisante à voir et revoir car, oui, on les espère en tournée jusqu’à la fin du monde (lire aussi la critique de Stéphanie Ruffier).
Prendre de la hauteur
La dérision est également à son comble avec ce dernier spectacle, hilarant. Exceptionnellement en direct de Nanterre, la Grande Tablée (OpUs) s’apparente à une émission radiophonique inspirée du Masque et la plume. L’animateur donne la parole à des « spécialistes en rien du tout », quatre retraités de la société civile tirés au sort censés poser un regard neuf et sans préjugés sur l’actualité de la ville.
« La Grande Tablée », OpUs © Sarah Meneghello
Secrétaire dans les assurances, gérant d’une animalerie, conservateur de musée et énergéticienne « hypersensible » transposent leur univers en livrant leurs visions très personnelles de quelques spectacles. C’est potache. Or, ce comité d’observateurs, souvent plus impertinent que pertinent, sait prendre de la hauteur. Une fin de festival en apothéose (lire aussi la critique de Stéphanie Ruffier).
Léna Martinelli
Monsieur Culbuto, Dynamogène
Site de la cie
Avec : Pierre Pélissier et Pepe Martinez
Durée : 45 min en déambulation
Tout public
Tournée ici
Golem, cie n°8
Site de la compagnie
Conception, chorégraphies, écriture et mise en espace : Alexandre Pavlata
Assistant à la mise en espace et direction technique : Fabrice Peineau
Avec : Carole Fages, Maëva Husband, Clara Leduc, Hélène Risterucci
Durée : 50 min en déambulation
Dès 7 ans
Tournée ici :
• Du 10 au 13 juillet, La Factory, Théâtre de l’Oulle, dans le cadre du Festival d’Avignon OFF (84)
• Du 17 au 20 juillet, festival Chalon dans la rue, à Chalon-sur-Saône (71)
• Le 8 août, Fest’arts, à Libourne (33)
Fly me to the moon, Léandre clown
Site de la cie
De : Leandre Ribera
Avec : Leandre Ribera et Laura Miralbés Durée : 45 min
Tout public
Tournée :
• Les 13 et 14 juillet, festival Les Entrelacés, à Lassay-Les-Châteaux (53)
• Le 16 juillet, à Jard-sur-Mer (85)
• Le 17 juillet, La Déferlante, à Notre-Dame-de-Monts (85)
• Le 19 juillet, festival L’Été vagabond, à Noailles (81)
Drôle d’impression, Dédale de clown
Site de la cie
De et avec : Yano Benay et Frédéric Rebiere
Mise en scène : Paola Rizza
Photographies : Nicolas Hergoualc’hDurée : 50 min
Tout public
Tournée ici :
• Le 28 juin, In Situ, La Belle Estivale, à Landivisiau (29)
• Du 1er au 3 juillet, festival Les Virevoltés, à Vire Normandie (14)
• Le 5 juillet, Festi’Luy, à Serres-Castet (64)
• Le 23 juillet, Programmation d’été L’Archipel, à Fouesnant (29)
• Le 24 juillet, Programmation d’été Le Dôme, à Saint-Avé (56)
• Le 30 juillet, festival Les enfants sont des princes…, à Quimper (29)
• Les 28 et 29 septembre, Saison culturelle, à Maisons-Lafitte (78)
Les Misérables, Les Batteurs de pavés
Site de la cie
De et avec :Emmanuel Moser et Laurent Lecoultre
Durée : 1 heure
Dès 6 ans
Tournée ici
Nkama, Dimas Tivane
Plus d’infos ici
De et avec : Dimas Tivane
Accompagnement : Emilie Saccoccio et Satchie Noro
L’Art d’accommoder les restes, Rocking Chair Théâtre
Site de la cie
Chant, percussions, claviers et manipulation : Emmanuelle Ader
Conception des marionnettes, chant, guitare et manipulation : Esther Marlot
Manipulation : Rebecca Marlot
Regards extérieurs : Karine Verges, Laurent Cabrol et Elsa De Witte
Durée : 50 min
Dès 6 ans
Tournée ici, dont :
• Le 21 juin, L’Été de Vaour (81)
• Du 1er au 3 juillet, festival Les Zaccros D’ma rue, à Nevers (58)
• Le 5 juillet, Les Rencontres de la batYsse, à Pélussin (42)
• Les 12 et 13 juillet, festival Les Rugissantes, au Creusot (71)
Apocalypse, de Marzouk Machine
Texte en vente ici
Site de la compagnie
Écriture et mise en scène, direction de la création collective : Sarah Daugas Marzouk
Avec : Théodore Carriqui, Anaïs Petitjean, Marlène Serluppus, Brice Lagenèbre, Nicolas Douchet
Durée : 1 h 45
Tout public dès 10 ans
Tournée ici :
• Le 13 juin, L’Embarcadère, à Vorey (43)
• Le 15 juin, Festival En Philigrâne, à Grâne (26)
• Le 5 juillet, Festival Sappey’tille, à Le Sappey-en-Chartreuse (38)
• Le 19 juillet, festival Éclats de rue, à Caen (14)
• Les 7 et 8 août, Festival La Plage des Six Pompes, à La-Chaux-de-Fonds (Suisse)
• Du 20 au 23 août, Festival International de Théâtre de Rue, à Aurillac (15)
• Le 6 septembre, Festival Ô mon Plato, à Romans-sur-Isère (26)
• Le 14 septembre, Fête de l’Humanité, à Brétigny-sur-Orge (91) (option)
• Le 17 septembre, 10 ans du festival Merci Bonsoir, à Grenoble (38)
• Le 26 septembre, 20 ans du Battement d’Ailes, à Tulle (19)
• Le 12 octobre, La Poule à Facettes, à Piegros (26)
La Grande Tablée, cie OpUs
Site de la compagnie
Avec : Olivier Miraglia, Emmanuelle Veïn, Jacques Bourdeaux, Ronan Letourneur, Pascal Rome
Mise en jeu : Pascal Rome et Ronan Letourneur
Régie : François Coiteux
Durée : 59 minutes générique et dégustation compris
Tout public dès 8 ans
Tournée ici :
• Les 23 et 24 juin, Festival Bien manger, à Laval (53)
• Les 28 et 29 juin, festival VivaCité, à Sotteville-Lès-Rouen (76)
• Le 12 juillet, Festival Saint Amant fait son intéressant, à Coly-Saint-Amand (24)
• Les 25 et 26 juillet, Festival Les Grands Chemins, à Ax-les-Thermes (09)
• Les 29 et 30 août, Les Rias, à Quimperlé (29)
• Le 6 septembre, Festival Coup de Chauffe, à Cognac (16)
Dans le cadre du Festival Parade(s) • Centre ville et quartiers proches • 92050 Nanterre
Du 6 au 8 juin 2025
Gratuit
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Reportage 1, Parade(s) 2025, par Stéphanie Ruffier
☛ 5 créations, festival Parade(s) 2025, par Stéphanie Ruffier
☛ Annonce Parade(s) 2025, par Léna Martinelli