« Apocalypse », Marzouk Machine, Le Pixel, Besançon

Apocalypse- Marzoukh-Machine © Jeff-Point

Voir Apocalypse et mourir (de rire ?)

Par Stéphanie Ruffier
Les Trois Coups

Il fait trente-cinq degrés sur le bitume de la Friche à Besançon. Le café-restaurant associatif Le Pixel fête son anniversaire avec le dernier spectacle de Marzouk Machine, une évocation burlesque de la fin du monde. Une dinguerie brûlante d’actualité, une tranche de rire intelligent, avant l’effondrement.

Qu’il est parfois difficile de saisir le suc d’un spectacle lors des premières représentations ! En 2019, nous avions assisté à celui-ci au milieu de la foule aurillacoise sur un goudron surchauffé. Faut dire que la metteuse en scène Sarah Marzouk avait presque tout gardé des truculentes propositions qui avaient émergé du travail collectif au plateau. La matière sur le thème de la catastrophe écologique étant pour le moins prolixe, la chaleur avait rendu la durée difficilement tenable. Une partie du public s’écartait peu à peu sur les côtés pour rejoindre les rares zones d’ombre. On se demande d’ailleurs quelle pourrait bien être désormais la bonne période climatique pour organiser un festival de rue : en été on brûle ; en hiver on se caille ; trop de vent et on n’entend rien ; menace d’orage et le préfet annule. En automne, un dimanche en fin d’après-midi ?

Apocalypse-Marzoukh-Machine-©-Zelie-Noreda
© Zelie Noreda

Alors, nous avons retenté l’expérience trois ans plus tard et nous voilà conquis, ravis, revigorés. Après quelques confinements, cette Apocalyse s’est bonifiée, comme un bon vin naturel, et offre bien des surprises. Pétillante, savoureuse, éco responsable et biodynamique. Et plus que jamais en phase avec les enjeux de notre monde chaotique. On en goûte désormais toutes les subtilités : quelle maîtresse du tempo, quelle énergie !

Dans le terrain très vague de la Friche artistique, lieu ad hoc situé à deux pas de l’ancienne usine de la Rodiaceta, il fait à nouveau très chaud. On suit toutefois avec gourmandise cette folle visite guidée d’une musée de la monde d’avant l’effondrement (les années 2010-2030, les nôtres !) qui retrace la fin de la pétrole et les grandes évènements qui ont conduit à la perte d’une grande partie de l’humanité. Les êtres humaines assurent les dialogues dans un langage progressiste. Car oui, dans la futur, la langue s’accorde toute entière à la féminine. Quelle réjouissante idée qui fait frétiller nos oreilles ou nos synapses !

Pardon, je t’aime

La déambulation est assurée par une équipe de trois guides truculents aux dents noires – à cause de la pétrole, sans doute – qui rivalisent de zèle pour nous présenter les incongruités écocides du début du XXIe siècle. Deux esclaves aux tympans crevés et enchaînés assurent la technique. On rit beaucoup. Beaucoup, et jaune : du capitalisme décomplexé, des conversations sur la décroissance et autres tentatives d’adopter une attitude cohérente, de la consommation qui est notre lot quotidien (on observe les objets de la collection muséale d’un regard neuf, ces vestiges d’un monde éteint : coca, bagnole, eau, oiseau, avion…). Les comédien·ne·s sont tous époustouflants, égos explosifs et jeu complice. C’est grinçant et bien saignant. Notre mode de vie nous explose à la gueule.

Apocalypse-Marzoukh-Machine © Stéphanie-Ruffier
© Stéphanie Ruffier

Désormais, on aime tout dans ce spectacle qui nous balade avec finesse (oui, oui, c’est très subtil malgré les gros sabots outranciers de la parodie) : ses costumes désopilants à base de cravates et de billets, sa couleur burlesque, son texte engagé bien senti (ses coups de banderille dans la communication non violente comme dans le système bancaire), son rythme, ses ruptures, sa peinture somme toute réaliste de l’anthropocène et du libéralisme.

Le théâtre dans le théâtre nous offre un vrai-faux aveu d’impuissance, une sincère inquiétude, un hommage à celles et ceux qui restent dans l’action. L’humour ravageur n’est qu’une politesse du désespoir. « Pardon je t’aime » a-t-on envie de répéter devant le tableau du désastre, comme ne cessent de le répéter les personnages du futur qui sont désormais hyper sensibilisés au respect de l’autre… sous peine de finir esclaves !

Comme ça fait plaisir de voir du théâtre de rue qui saisit si bien sa force populaire et incisive. Jeu et dialogues sont bravaches, tellement drôles et inspirés. De nombreuses scènes, comme le pique-nique sur autoroute ou l’organisation de la dernière coupe du monde de foot, sont mémorables. Le personnage du méchant et inconscient capitaliste est à se rouler par terre… ou à pleurer.

Bravo le Pixel, lieu associatif qui fêtait ses quatre ans, pour le choix de ce spectacle drômois habilement militant. On retrouve ce brûlot écolo à Aurillac et en tournée en septembre. Chaud devant ! 🔴

Stéphanie Ruffier


Apocalypse, de Marzouk Machine

Site de la compagnie
Écriture et mise en scène, direction de la création collective : Sarah Daugas Marzouk
Avec : Théodore Carriqui, Anaïs Petitjean, Marlène Serluppus, Brice Lagenèbre, Nicolas Douchet
Technique et construction : Léa Sabot, Marie Bernardin et Jérôme Champlet
Création musicale : Théordore Carriqui et Marc Prépus
Costumes : Julie Honoré et Thierry Simounet
Regards et conseils : Nicolas Granet, Charlotte Meurisse et Alexandre Pavlata
Durée : 1 h 40
Tout public à partir de 8 ans

Le Pixel • Cité des arts • 25056 Besançon
Le 17 juillet, gratuit dans le cadre de l’anniversaire de l’association La Furieuse

Tournée ici :
• Du 18 au 20 août, 11 heures, cité de la Montade, pastille 121, festival Eclat, à Aurillac (15)
• Le 27 août, Place libre, Le Touvet (38)
• Les 3 et 4 septembre, Pronomade(s), à la Martre-Tolosane et Sauveterre (31)
• Le 8 septembre, la Centrifugeuse, à Pau (64)
• Le 11 septembre, Festival Perché sur la Colline, à Sombernon (21)
• Le 14 septembre, L’Echappée des rues, à Die (26)
• Le 17 septembre, L’Avant-Scène, à Colombes (92)
• Le 22 septembre, Temps fort Quelques p’arts, à Pélussin (42)
• Le 24 septembre, Festival du Trac, à Sauxillanges (63)
• Le 25 septembre, à Annonay (07)
• Le 22 ou 23 octobre, Festival Michtô, à Maxéville (54)

À découvrir sur Les Trois Coups :
Scènes de Rue 2022, par Stéphanie Ruffier
Festival Les Rugissantes au Creusot, par Stéphanie Ruffier

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