Je est un autre
Stéphanie Ruffier
Les Trois Coups
Une 35e édition de Parade(s) sous le signe de l’hospitalité et de l’ouverture ! Les choix de Mélanie Duplenne et de son équipe : des spectacles festifs et cosmopolites pour un festival généreux et tous publics.
C’était ma première fois ! Arpentant le centre-ville de Nanterre et quelques quartiers périphériques, je me mêle à un public populaire et familial. En concert d’ouverture, l’invitation de Water Band Gaza et Abu Joury résonne comme un manifeste humaniste dans le parc des Anciennes-Maires, épicentre de la fête. Se succèderont ici les audacieuses fusions de danses nord-africaines et de clubbing de Kif-Kif Bledi, le hip-hop métissé de cuivres de la Balkan Block Party ou encore les tubes catalyseurs de joie des danseurs ultra frais de Ussé Inné. Une Boum ! permanente !
Mélanie Duplenne, chef d’orchestre de cette manifestation, forte de l’engagement et du soutien de la Maire, souligne « la beauté et la nécessité d’un événement comme Parade(s) pour nourrir le vivre ensemble, le collectif, le sensible, nos libertés et nos espaces publics. » Elle réaffirme combien la diversité précieuse des arts de la rue permet à chacun·e « de trouver son plaisir et de se laisser surprendre ». Aussi a-t-elle misé sur des valeurs sûres tels la truculente et participative adaptation des Misérables des Batteurs de pavés ou la collapsologie joyeuse d’Apocalypse de Marzouk Machine. Côté grands formats, Fantôme de La Méandre (un collectif dont les locaux sont menacés, au Port Nord de Chalon-sur-Saône) déplie son conte dystopique en vidéo-concert. Les personnages de l’insurrection envahissent place et façades. Vous avez dit parfum de révolte ?
Saisir la rue au collet
Les formes tout terrain sont aussi au rendez-vous, s’immisçant dans le flux des passants. Telles les quatre clownes de la Compagnie n°8 qui semblent être nées de la dernière pluie tant elles saisissent la rue avec une candeur subversive. Réchappées d’un grenier poussiéreux ou tout juste sorties de la caverne de Platon, elles s’étonnent de tout. À la découverte dubitative de notre monde, elles miment nos postures et pratiquent l’échangisme d’objets parmi le public. Le tout avec une infinie délicatesse. On m’a murmuré qu’elles pouvaient également se montrer fort impertinentes et rentre-dedans.
« Golem », Cie n°8 © Stéphanie Ruffier
Avec elles, on revisite les coutumes d’une terrasse de café, on redécouvre la danse ou on adhère au discours du parti de la « poiésie », ou un truc comme ça, c’est du savoureux gromelo. Le public est aimanté comme une limaille de fer. La déambulation de Golem, en perpétuelle recomposition, fait éclore de ces purs moments de félicité qui nous font tant aimer les arts de rue. Visages interloqués ou sourires benoîts, chacun cherche sa place sur des œufs. Candides, imparfaits, complices. On fond.
Sortir des clichés
Dans des cours plus protégées, des textes peuvent se déployer. Mektoub de la cie La Nour s’appuie d’abord sur le cliché de l’hospitalité orientale, tandis que la menthe infuse avec une bonne dose de sucre dans la théière aux côtés d’une gourde frappée du drapeau palestinien. Ne pas se fier à ce démarrage au rythme inégal et à l’humour communautaire, on va bientôt croiser le fer avec les stéréotypes. Une dédicace à tous les « Arabes » (terme générique approximatif utilisé en France), s’adressant à « ceux qui ne sont pas là, les oubliés du socio-culturel », tire dans le mille.
En deux-deux, son personnage souriant se mue en véhémente lascarde de cité qui fustige les violences policières. Elle rappelle qu’une cagnotte destinée à un policier tueur a récolté un million six cents mille euros. Bim ! S’appuyant sur le « power de la déesse intérieure », Mounâ révèle ses multiples facettes et s’interroge sur le délit d’outfit. Jupe, survet ou burka, la femme issue de l’immigration est toujours suspecte. Alors elle préfère se plier avec grâce aux courbes d’un cerceau. Circassienne, stand-upeuse, rappeuse, militante, elle nous embarque. Une transe libératoire mêle la Marseillaise, des discours de Zemmour, Macron, Le Pen en dernier pied de nez à l’intolérance.
« Mektoub », La Nour © Stéphanie Ruffier ; « Newroz », La Meute © Stéphanie Ruffier
Dans Newroz de La Meute, Bahoz questionne aussi les désignations lancées sans nuance : « V’là l’Arabe ». Or, l’interprète de ce seul en scène est d’origine kurde, né en France. Après avoir joué de l’étymologie des prénoms, il nous fait le récit de petites humiliations quotidiennes vécues dans son village comme ce contrôle d’identité, alors qu’il se rend, à l’âge de douze ans, à la fête du cochon pour s’acheter une chipolata. Rire gras de la maréchaussée. Comment faire quand on n’est plus de là-bas, mais pas considéré comme d’ici ?
Tandis que l’eau bout dans la bouilloire (toujours la cérémonie du thé), la musique planante et l’acrobatie sur tournette sont mises au service de touches biographiques délicates. Par petits éclats de vécu, sans performance ostentatoire, Bahoz interroge le niveau de sensationnel à atteindre pour être considéré comme un Français. Bien vu, sensible, parfois acéré, un regard qui invite, par le rire et la vitalité, à traquer le racisme.
Une jungle, de Cha.os interroge l’exil et l’hospitalité, mais sans paroles, à travers deux corps qui essaient encore et encore de fendre l’espace, en se cognant aux limites d’un tapis. Avec fracas et puissance, de la danse comme cri du cœur et drapeau blanc.
Un recul critique ?
Parade(s) regorgeait cette année de propositions circassiennes venues d’ailleurs – l’humble orange facétieuse du beatboxer et jongleur mozambicain Dimas Tivane, la Junglemania effrénée du Yennega Circus du Burkina Faso… ou d’ici comme la toute jeune compagnie La Bossue. Les nouveautés ont côtoyé les monuments, les solos intimistes, les grands textes comme Ce que j’appelle oubli de Laurent Mauvignier magistralement servi par Garniouze.
« La Grande Tablée », OpUs © Stéphanie Ruffier © Sarah Meneghello
Le festival avait même prévu un moment de distanciation gondolant, une fausse émission de critique dramatique type « événement Télérama » réunissant « des experts en rien du tout ». Dans la Grande Tablée d’OpUs, la compagnie spécialisée dans le vrai-faux ou le faux-vrai (à vous de voir), passe en revue les spectacles de cette édition. Elle s’amuse avec la remarque décalée, la marotte qui tape à côté tout en visant juste, le discours qui s’enflamme ou s’effiloche servi par des personnages croquignolets, parfois plus intéressés par la picole que par le commentaire artistique. C’est touchant de pragmatisme, de bons mots qui font mouche, de tempéraments plus vrais que nature. Sacrément doués pour le pastiche et l’à peu près ! Une façon burlesque de retraverser ces trois jours de communion.
Stéphanie Ruffier
Golem, Compagnie n°8
Site de la compagnie
Conception, chorégraphies, écriture et mise en espace : Alexandre Pavlata
Assistant à la mise en espace et direction technique : Fabrice Peineau
Avec : Carole Fages, Maëva Husband, Clara Leduc, Hélène Risterucci
Durée : 50 minutes
Dès 7 ans
Tournée ici :
• Du 10 au 13 juillet, La Factory, Théâtre de l’Oulle, dans le cadre du Festival d’Avignon OFF (84)
• Du 17 au 20 juillet, festival Chalon dans la rue, à Chalon-sur-Saône (71)
• Le 8 août, Fest’arts, à Libourne (33)
Mektoub, cie La Nour
Page Fbk de la compagnie
Auteure et interprète : Mounâ Nemri
Regard exterieur : Maël Tebibi
Coups de pouce ponctuels et bienveillants : Guillaume Martinet, Chistophe Le Goff et Boris Cout
Durée : 45 minutes
Dès 7 ans
Newroz, cie la Meute
Site de la compagnie
De et avec : Bahoz Temaux
Regards extérieurs : Thibaut Brignier, Mathieu Lagaillarde
Oreille extérieure et régie son : Jonathan Lassartre
Durée : 1 heure
Tout public
Tournée ici :
• Le 5 juillet, Les Z’accros d’ma rue, à Nevers (58)
• Les 12 et 13 juillet, festival Les Rugissantes, au Creusot (71)
• Du 1er au 3 août, Quelques p’Arts, à Boulieu-lès-Annonay (07)
• Les 27 et 28 août, Les Rias, à Quimperlé (29)
La Grande Tablée, cie OpUs
Site de la compagnie
Avec : Olivier Miraglia, Emmanuelle Veïn, Jacques Bourdeaux, Ronan Letourneur, Pascal Rome
Mise en jeu : Pascal Rome et Ronan Letourneur
Régie : François Coiteux
Durée : 59 minutes générique et dégustation compris
Tout public dès 8 ans
Tournée ici :
• Les 23 et 24 juin, Festival « bien manger », à Laval (53)
• Les 28 et 29 juin, festival Viva Cité, à Sotteville-Lès-Rouen (76)
• Le 12 juillet, festival Saint-Amant fait son intéressant, à Coly-Saint-Amand (24)
• Les 25 et 26 juillet, festival Les Grands Chemins, à Ax-les-Thermes (09)
• Les 29 et 30 août, Les Rias, à Quimperlé (29)
• Le 6 septembre, festival Coup de Chauffe, à Cognac (16)
Watar Band Gaza
Page Youtube de la Compagnie
Page Fbk de la compagnie
Merak, Balkan Block Party
Page Fbk de la compagnie avec dates de tournée
Boum !, Cie Ussé Inné
Page Fbk de la compagnie
Kif-kif Bledi
Site de la Compagnie
Les Misérables, Les Batteurs de pavés
Site de la compagnie
Tournée ici
Fantôme, du collectif La Méandre
Site de la compagnie
Pétition pour sauver le collectif La Méandre
Nkama, Dimas Tivane
Instagram
Jonglemania, Yennega Circus
Page Fbk de la compagnie
Ce que j’appelle oubli, de la cie Inc.Garniouze
Site de la compagnie
Dans le cadre du Festival Parade(s) • Centre ville et quartiers proches • 92050 Nanterre
Du 6 au 8 juin 2025
Gratuit
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Apocalypse, de Marzouk Machine, par Stéphanie Ruffier
☛ 5 créations, festival Parade(s) 2025, par Stéphanie Ruffier
Photo de une : « La Grande Tablée », OpUs © Sarah Meneghello