Focus 1 UP Festival 2024, « Nathalie inside out » Natalie Reckert, Mark Morreau, « Reclaim », T1J, Molenbeek, Bruxelles

Nathalie inside out- Natalie Reckert

Cirque augmenté et sacré

Léna Martinelli
Les Trois Coups

Entre cirque 3.0 et retour aux origines, quel grand écart ! Dans la même journée, nous avons assisté à deux propositions antinomiques. Natalie Reckert, spécialiste de l’équilibre sur cannes, unit ses forces à Mark Morreau, passionné de technologies, pour dévoiler un point de vue inédit et passionnant dans « Nathalie inside out ». Le Théâtre d’un jour, lui, place l’art lyrique au centre de la piste, occupé magnifiquement par des acrobates virtuoses. « Reclaim » relève du sacré. Deux expériences inoubliables à vivre, de très près, qui confirment la vitalité du cirque contemporain.

Jamais on n’aura vu le cirque de cette façon-là ! Tout à la fois conférence, création vidéo et performance, Nathalie inside out montre le cirque sous un nouveau jour. Malgré son intérêt, difficile de faire tout un spectacle sur sa discipline, exigeante mais peu spectaculaire. Natalie Reckert a eu l’idée d’utiliser les technologies afin d’en révéler les mécanismes. Dispositif et écriture innovent dans la valorisation des prouesses. Surtout, ils élargissent le propos à une réflexion sociétale, avec une dramaturgie très aboutie.

Grâce à plusieurs caméras judicieusement placées, on découvre des perspectives originales. Si Natalie évoque aussi le narcissisme et le voyeurisme, notamment sur les réseaux sociaux, elle se concentre d’abord sur l’intelligence artificielle. Compte tenu de ses dons, elle est déjà un spécimen. Toutefois, pourquoi pas déployer ses talents, se dédoubler, enregistrer et capitaliser ses efforts ? Natalie Reckert est extraordinaire et le cirque est ici augmenté. Pourtant, grâce à la distance de l’écriture et de l’humour, on n’en a pas plein la vue.

De chair et d’os

Plein d’esprit, ce spectacle est également riche en émotions. La jeune femme est pétillante et le technicien décalé à souhait. Depuis sa table de régie encombrée de fils, il répond comme il peut aux demandes de l’artiste, affiche (ou pas) le texte. Il n’empêche que le résultat est bluffant : analyse scientifique de la pression artérielle, de l’impact de l’équilibre sur le squelette, création d’un avatar, habillages graphiques… Le détecteur de chaleur est propice aux effets divers. Avec des alternances entre démonstrations, séquences visuelles et parlées, l’ensemble est très bien mené.

Les gros plans sur la peau, « l’empreinte des souvenirs », permettent à l’interprète de remonter à son enfance. Explorant alors ce territoire, sur écran mais aussi en réel, elle raconte son histoire, sa personnalité intime, sa fragilité. Nathalie se souvient qu’elle est avant tout humaine. Une femme moderne bien dans sa peau, mais en chair et en os. Captée par l’œil amical, la super héroïne descend de son piédestal et nous touche autant qu’elle nous impressionne.

D’autres artistes font corps dans un spectacle choral, Reclaim, une magnifique illustration de la force du collectif. Rites de passage et adaptations à l’environnement fournissent l’occasion de questionner les enjeux du porté, d’illustrer les valeurs qu’on lui associe généralement : confiance, solidarité, équilibre et élan vers autrui.

Au sein d’un petit chapiteau, l’acrobatie rencontre l’art lyrique, pour un « rituel imaginaire », ainsi que le nomme Patrick Masset, directeur de la compagnie. Une chanteuse, deux musiciennes au violoncelle, quelques voltigeurs et porteurs nous emmènent dans un monde où les mots sont rares mais résonnent fort. Ce cirque-là porte la voix, au sens propre. D’ailleurs il s’appelle Théâtre d’un jour (T1J). Il est d’une puissance lyrique hors norme.

Comment faire société ?

Reclaim a quelque chose du manifeste. Privé de tournée internationale à cause des confinements, le metteur en scène l’a forgé comme on réclame un dû, au sens large. Ce brûlot contre l’apathie face à l’extrême violence du monde incite à la résistance : « Le cirque peut-il être ce feu qui nous réveillera ? », s’interroge-t-il.

La notion qui a donné son titre est apparue dans les mouvements de luttes écoféministes aux États-Unis, dans les années 70. Elle exprime la volonté des femmes de construire un rapport égalitaire avec les hommes et un lien pacifié avec la nature. Le spectacle s’inspire aussi du rituel Ko’ch en Asie Centrale, où la plupart des chamanes sont des femmes. Maîtresse de cérémonie, la chanteuse Blandine Coulon, habituée des scènes classiques, brave les dangers de l’acrobatie sans jamais faillir. Elle est exceptionnelle, à l’instar de ses compagnons, tous remarquables, qui s’adressent de manière directe et vrai au public.

Totem, masques, peaux de bêtes, feu, percussions, râles et combats sauvages nous ramènent loin, effectivement. « Pour moi, c’est important de revenir au cirque des origines : un art puissant, dur, affreux parfois (si l’on pense à la Rome antique ou aux freaks) », affirme Patrick Masset. Et nous traversons l’histoire de l’humanité, avec ces voix qui s’élèvent, ces groupes qui se constituent peu à peu, grâce à la mezzo-soprano qui dompte, ou plutôt emporte, tout ce petit monde.  

Porter la voix

En guise d’appel à un nouveau cérémonial, la mise en scène utilise la force expressive comme levier. Du chaos à la redécouverte du vivre ensemble, le spectacle explore l’intensité des corps en présence : « Dans un monde qui est en train d’en perdre le sens, nous avons besoin de cette proximité, de circulaire et de sacré ».

La recherche éperdue de contacts révèle en creux la lutte des minorités pour leurs émancipations. Tandis qu’ils apprivoisent les dangers de la haute voltige, les acrobates virtuoses dépassent leurs propres limites et font participer quelques spectateurs dans leur folle sarabande. Toujours plus haut et surtout ensemble ! Les interprètes se faufilent entre les rangées pourtant serrées, font corps avec nous. Et nous vibrons à l’unisson. Cette qualité sensible est très rare.

Réchauffés, rassemblés, « réclaimés », nous sommes galvanisés. Voilà une expérience qui nous amène à l’action, avec grâce en plus : « L’avenir n’est pas ce qui va nous arriver mais ce que nous allons faire ». Ce spectacle a obtenu le Prix Maeterlinck de la Critique 2023 / Cirque contemporain (voir ici) et c’est grandement mérité. 🔴

Léna Martinelli


Nathalie inside out, de Natalie Reckert et Mark Morreau

Site de la cie
Création et performance : Natalie Reckert et Mark Morreau
Regard extérieur : Joyce Henderson
Analyse circassienne : John-Paul Zaccarini
Création lumière : Pablo Fernandez Baz
Production : Reckert et Morreau
Costume avatar : Jessie Walters
Durée : 1 heure
Dès 8 ans
Maison des Cultures | MCCS • 4, rue Mommaerts • 1080 Molenbeek-Saint-Jean
Les 27 et 28 mars 2024
Dans le cadre de UP Festival, du 21 mars au 1er avril 2024

Tournée : ici

Reclaim, Théâtre d’un jour (T1J)

Site de la cie
Écriture et mise en scène : Patrick Masset
Chanteuse lyrique : Blandine Coulon
Violoncellistes : Claire Goldfarb et Eugénie Defraigne
Voltigeurs : Chloé Chevallier, César Mispelon et Lisandro Gallo
Porteurs : Joaquin Diego Bravo et Paul Krügener
Scénographie et costumes : Oria Puppo
Réalisation des costumes : Dolça Mayol et Zoé Petrignet (en accueil aux ateliers du Varia)
Marionnette : Polina Borissova
Masques : Isis Hauben
Méduses : Benoît Galland et Céline Rappez
Travail du fer : Jean-Marc Simon
Réalisation de la toile peinte : Eugénie Obolensky
Travail chorégraphique : Dominique Duszynski
Assistante à la mise en scène : Lola Chuniaud
Création lumière : Frédéric Vannes (version salle) et Émily Brassier (version chapiteau)
Régie générale et régie lumière : Adrien de Reusme
Durée : 60 minutes
Dès 14 ans
Chapiteau UP Circus & Performing Arts • Rue Osseghem 50 • 1080 Bruxelles
Du 24 au 27 mars 2024
Dans le cadre de UP Festival, du 21 mars au 1er avril 2024

Tournée ici :
• Du 10 au 12 mai, dans le cadre du CIRKL Festival, à Louvain (Belgique)
• Du 28 mai au 7 juin, Le Vilar, à Louvain-la-Neuve
• Du 29 juin au 21 juillet, dans le cadre du Festival Off d’Avignon
• Du 6 au 10 août, dans le cadre du Royal Festival de Spa (Belgique)

À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ UP Festival 2024, article de Léna Martinelli

Photos
• Une : « Nathalie Inside out » © Gilles Spoo
• Mosaïque 1 : © Gilles Spoo
• Mosaïque 2 : les 1 et 2 © Danny Willems ; les 3 et 4 © Christophe Reynaud de Lage
• Photo 2 : © Christophe Reynaud de Lage

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