UP Festival 2024, Biennale Internationale de Cirque, UP – Circus & Performing Arts, Bruxelles  

UP Festival, belle vitrine du cirque européen

Léna Martinelli
Les Trois Coups

C’est bientôt le top départ de Up Festival qui se déroule jusqu’au 1er avril. Et ce n’est pas une blague ! Avec 28 spectacles, pendant 12 jours, dans 15 lieux, on a de quoi faire de belles découvertes, avec des compagnies belges, bien sûr, mais aussi de toute l’Europe. En tout cas, nous, on ne va pas manquer ça, car la programmation est de qualité : up, up, up !

Cela fait bientôt trente ans que Catherine Magis et Benoît Litt, grands défenseurs de la mixité des arts, organisent cette biennale. Depuis ses débuts en 1998, alors sous le nom de Pistes de Lancement, ce festival a toujours visé la rencontre entre les publics les plus larges et des créations audacieuses. Biennal en 2010, ce rendez-vous a pris le nom de UP Festival en 2014 et s’est s’élargi en s’implantant sur quelques-unes des belles scènes de la capitale. En 2018, il a été lauréat des Visit-Brussels Awards (Best International Event).

What’s up ?

Ce rayonnement croissant a servi à l’Espace Catastrophe, qui le portait, structure de référence devenue au fil des années un moteur du développement du cirque contemporain, d’abord au cœur de Bruxelles, puis au-delà des frontières de la Belgique. Concevant leur projet comme un carrefour qui réunit des artistes venus des quatre coins de la planète, Catherine Magis et Benoît Litt ont osé déployer leurs ailes en pleine pandémie, au cœur de LionCity, un quartier en plein développement.

Renommer UP – Circus & Performing Arts a permis de conjurer le sort. Depuis, les initiatives abondent sur cet espace de plus de 6.700 m2. Articulant création, transmission, diffusion et promotion du cirque contemporain, le duo et son équipe défendent des propositions au regard affuté sur le monde. En plus de la programmation artistique, ils œuvrent aussi au développement d’actions connexes, liées à la formation et à la cohésion sociale. De quoi imaginer de nouveaux équilibres ! Logique pour d’anciens acrobates…

« Rêver toujours plus haut »

« Toute l’année, nous encourageons un cirque de création, inventif, diversifié, ouvert sur de multiples disciplines », explique la codirectrice. Les pratiques, les écritures et les esthétiques sont d’une grande richesse : arts urbains, arts numériques, multimédia, magie nouvelle, théâtre, danse, avec également l’accueil de chapiteaux et d’expressions artistiques dans l’espace public (arts urbains, parkours, slackline, danse verticale…). « Ces passerelles favorisent les rencontres interculturelles et intergénérationnelles ».

Cette biennale fait donc partie des manifestations européennes qui comptent. Temps fort permettant un coup de projecteur sur leurs activités, elle repose sur une programmation à l’image de ce dynamisme. Cette année, huit institutions culturelles bruxelloises sont partenaires. Les « focus pros », dont un québécois et un catalan, traduisent la dimension internationale. 200 professionnels sont attendus sur les 4 jours.

Alors, comment choisir ? « Votre curiosité sera votre guide », recommande Catherine Magis. « Les artistes de UP Festival osent tout : défier l’impossible, sublimer le quotidien, explorer nos vertiges intérieurs. Irrésistibles et généreux·ses, ils·elles mettent l’imagination au pouvoir. Et celle-ci n’a pas de limite ! »

Ouverture à 360°

Commençons par un petit bijou d’humour et de tendresse qui ne manquera pas de faire fondre les cœurs les plus endurcis. À la fois clowns, musiciens, mimes, jongleurs et acrobates, les Suisses Camilla Pessi et Simone Fassari (cie Baccalà) sont lauréats de 15 prix et Pss Pss a été joué plus de mille fois partout dans le monde. Un succès mérité.

Le plastique, ils adorent ça ! Avec un goût également assumé pour le burlesque, Andrès Torres Diaz et Gonzalo Fernández Rodriguez nous en font voir de toutes les couleurs dans Petroleo. Tressés, manipulés, réinventés, les anneaux par centaines se transforment en frisbee, chapeaux, sculptures ou armures. Ces jongleurs sont-ils les derniers défenseurs du plastique sur terre ? Des savants fous ? En tout cas, ils s’amusent comme des enfants.

De même, les Québecois Eline Guélat et Vincent Jutras (La Croustade) débordent d’imagination dans l’utilisation de leurs corps élastiques. Touche-à-tout, aussi à l’aise dans le jeu théâtral que sur un skateboard, le duo a décidé de mettre en commun, dans l’Après-midi quand tes biscuits te ruinent, sa passion d’un cirque joyeux fondé sur la connivence et la dérision.

Ponceuses, visseuses, marteaux et autres scies circulaires constituent le vocabulaire de Sawdust Symphony, ballet des Hollandais Michael Zandl, David Eisele et Kolja Huneck, où le bricolage est érigé en art majeur. Après cette symphonie en scie majeure, quoi de mieux qu’un tourbillon surréaliste : que se passerait-il si le cirque s’inventait devant nous comme naissent nos pensées ? Le MagdaClan Circo (Italie) propulse neuf artistes dans une histoire onirique, Emisfero, qui s’écrit sous nos yeux, tel un rêve éveillé.

Les Filles du Renard Pâle, quant à elle, n’ont pas peur d’en découdre. Elles donnent corps à ce qui les indigne, dans un poème rock, enragé mais galvanisant, très spectaculaire (lire notre critique). Quand la Révolte ne tient qu’à un fil ! La dramaturgie du geste parle d’ailleurs très bien des enjeux de société actuels. « La puissance expressive du cirque n’a pas beaucoup d’égale : sans mot ou presque, les artistes écrivent leurs récits dans les corps », considère Catherine Magis. « Ce langage universel permet aux spectacles venus des quatre coins du monde de parler à chacun·e d’entre nous, d’âme à âme »

Comme son nom l’indique, Théâtre d’un jour (Belgique) est un cirque qui porte la voix, au sens propre. Reclaim a tout du manifeste. Privée de tournée internationale avec son opus précédent, pour cause de confinement, la compagnie réclame un dû. Inspiré tout à la fois par les mouvements éco-féministes américains et les rituels oubliés d’Asie Mineure, le spectacle incite à l’action. Au centre de la piste, le cirque rencontre l’art lyrique, dans une forme qui relève du sacré et ramène le cirque à ses origines.

D’hier à aujourd’hui, non sans nostalgie, Bêtes de foire (Décrochez-moi ça !) nous dévoile un bestiaire hors du commun. À moins qu’il ne s’agisse plutôt d’un vestiaire ? Dans un bric-à-brac insensé, l’imaginaire forain se déploie dans l’étoffe des rêves (lire notre critique). Du cirque « haute couture » dans un petit chapiteau.

Encore de la proximité, cette fois-ci dans un environnement plus quotidien, Living trouve de nouveaux équilibres sur tables basses et canapés. Be Flat (Belgique) déménage : « Loin de tourner en rond, le cirque adore le dépaysement ! Sous chapiteau (quelle chaleur humaine !), en Théâtre (quel confort !), mais aussi en appartement », précise Catherine Magis.

Insolite

Autre expérience originale, Permit, oh permit my soul to rebel (cie Side-Show ; Belgique) se présente comme une relaxed performance. Dans ce voyage singulier, on peut s’asseoir ou se coucher à son aise sur de gros coussins, on peut se lever, réagir, même si c’est dans un théâtre. Une proposition inclusive, pour toutes les sensibilités.

Jamais on n’aura vu le cirque d’aussi près et de cette façon-là ! Nathalie inside out dévoile un point de vue totalement inédit. Entre conférence, création vidéo et spectacle, la Britannique Natalie Reckert, spécialiste de l’équilibre sur cannes, unit ses forces à Mark Morreau, passionné de technologies, afin de révéler mécanismes, émotions et motivations des artistes. Un dispositif, encore rare au cirque, à découvrir.

Les scénographies sont décidément d’une grande variété. Comme dans une piscine oubliée, une nageuse s’approche du vide. Perchée sur ce plongeoir qui symbolise à la fois nos peurs et nos espoirs, la Belge Sarah Devaux nous invite à une exploration de nos marées intérieures. Avec son titre qui éclabousse, Plonger (Menteuses cie) nous renvoie à nos propres audaces, celles qui font qu’on se jette à l’eau (ou pas). Inspirée par Éloge du risque d’Anne Dufourmantelle, ce spectacle aux puissants échos philosophiques parle de fragilité, du tremblement qui nous saisit au quotidien, en haut du plongeoir ou face à nos choix de vie. Du cirquethéâtral qui n’a pas peur des mots.

Le Colombien Bastian Von Marttens, lui, n’a pas froid aux yeux : sa première création parle de la mort, mais de façon incroyablement vivante. Tandis qu’en voix off, des gens répondent à ses questions, ce jongleur acrobate accordéoniste croque son monde avec brio (Conversations avec la Mort).

Quant à Alice Rende (cie AR), elle n’hésite pas non plus à repousser les limites, dans Fora. Coincée, contorsionnée, chiffonnée, confinée…. C’est fou ce qu’elle peut réaliser dans cet espace minuscule ! A priori privée de liberté, comment va-t-elle parvenir à s’émanciper ?

De l’infiniment grand à l’intime

Tête en bas, pieds en l’air, aux prises avec le chamboulement des lois de la physique, Laurane Wüthrich, dans MIR, démontre également la capacité humaine à l’adaptation. Si Bastien Dausse n’était pas devenu circassien, il aurait certainement été cosmonaute. En tout cas, il nous entraîne ici dans un espace temps spécial (lire notre critique).

À partir d’incroyables machines, ou avec trois fois rien, le cirque nous en met plein les yeux. Avec une pelote de laine, un ventilateur, quelques tiges de métal, la cie Rauxa (Catalogne) fait naître un petit acrobate haut d’une quinzaine de centimètres plus vibrant que nature (Histoire de laine). Quand l’aventure est au bout de la pelote…

Introspection vertigineuse, plongée en eaux troubles, voyage intersidéral… Ces spectacles évoquent notre solitude. Or, on peut traverser les aléas de l’existence accompagné. Comment se porter, s’encourager, se donner mutuellement des ailes ? Amies, Liam Lelarge et Kim Marro (la Boule) font littéralement corps. Leur art du geste, qui repose sur des figures à la fois simples et impossibles, dit mieux que mille mots ce que fraternité ou sororité signifie (lire la critique de Laura Plas).

Avancer et grandir ensemble

Un homme, une femme. Quel lien unit les deux personnages qui se tiennent devant nous ? Portés par une intensité acrobatique et chorégraphique, Akira Yoshida et Lali Ayguadé (Ensemble pour y arriver) s’emparent du sujet avec une foi inébranlable en l’autre. Plus tard, Pling Klang (Mathieu Despoisse et Étienne Manceau) délivre, avec moins de mystère, mais beaucoup d’humour, quelques trucs et astuces pour construire (et rafistoler) une relation. Le couple, mode d’emploi ?

Comment tenir debout, nous relever, y croire encore ? Dans Masha (Cie Palimsesta ; Catalogne), deux êtres se déplacent sur une piste étroite recouverte de graisse, explorent obstinément ce qui les sépare, ce qui les éloigne et aussi ce qui les lie. Un résumé de toute l’humanité, en somme ?

Seul on va plus vite, ensemble on va plus loin, dit l’adage africain. Quelle place le cirque ménage-t-il aux « vieux » et « vieilles » acrobates ? La Smart cie offre une réponse par l’action. Trois générations se font la courte échelle dans Uba, dans un virevoltant dialogue. Un esprit collaboratif dont nos sociétés devraient davantage s’inspirer.

Tu sens la terre bouger ? (Cirque Barbette ; Belgique) nous rappelle également l’importance du collectif. D’abord, les gens sont conviés sur une balançoire. Les joueurs sont condamnés à toujours se répondre pour maîtriser un mouvement paradoxal. La scénographie culmine avec un mobile géant, hommage à Calder, tandis que sur des poutres suspendues, des artistes se tiennent en équilibre grâce à l’aide du public au sol. Une proposition collaborative gratuite.

Comment vivre ensemble ? Qu’est-ce qu’agir, aimer, faire avec ? Quels lendemains voulons-nous ? Le cirque contemporain aborde tous ces sujets dans des écritures et esthétiques variées, avec ou sans performance, mais toujours le sens du partage chevillé au corps, souvent la beauté du geste en prime. « Tous les spectacles nous donnent envie de changer le monde – et dans la joie en plus », s’enthousiasme Catherine Magis. Que demander de plus, en effet ? 🔴

Léna Martinelli


UP Festival

18édition, du 21 mars au 1er avril 2024
28 spectacles programmés à UP Circus & Performing Arts et dans 8 institutions culturelles bruxelloises (BRONKS, Centre culturel d’Uccle, Halles de Schaerbeek, Jacques Franck, Maison des Cultures & de la Cohésion sociale, Théâtre Marni, Théâtre Varia, Wolubilis)

UP Circus & Performing Arts • Rue Osseghem 50 • 1080 Bruxelles
Infos : + 32 (0)2 538 12 02 • mail
Toute la programmation ici
Tarifs : de 8 € à 25 € • Réservation en ligne
Pass (- 15 % à partir de 3 spectacles) • Réservation en ligne

À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ 15e édition, reportage de Léna Martinelli

Photos
• Une : © UP Circus et Performing Arts
• Mosaïque 1 : Chapiteau Circus I Love You in situ © M. Schockaert ; chapiteau, vue de nuit in situ © Hervé Bigey ; les autres © UP Circus et Performing Arts
• Mosaïque 2 : « Pss Pss », Cie Baccalà © Djamila Agustoni ; « Petroleo », Andrès Torres Diaz et Gonzalo Fernández Rodriguez © Clara Pedrol
• « Révolte ou tentatives de l’échec », Les Filles du renard pâle © Kalimba
• Mosaïque 3 : « Décrochez-moi ça ! », Bêtes de foire © Vincent Muteau ; « Reclaim », Théâtre d’un jour © Danny Willems ; « Living », Be Flat © Sarah Vanheuverzwijn
• Mosaïque 4 : « Plonger », Menteuses cie © J. Cousseau ; « Fora », Alice Tibery Rende © Christophe Raynaud de Lage ; « Natahalie Inside out », Nathalie Reckert © Mark Morreau
• Mosaïque 5 : « MIR », cie Barks © Clémence Tonfoni ; « La Boule », Liam Lelarge et Kim Marro © Madeg Menguy
• Mosaïque 6 : « Uba », Smart cie © Benoit Martenchar

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