Bêtes de foire, cie Sacekripa, Yohan Durand, Les Élancées, Scènes & Cinés, Le Deven, Istres, Espace Robert Hossein, Grans

Vu-cie Sacekripa © Alexis Dor

Diable !

Léna Martinelli
Les Trois Coups

Direction Le Deven et Grans pour finir Les Élancées en beauté. Bêtes de foire nous y offre une belle parenthèse, un manège désenchanté qui nous ramène aux origines du théâtre forain et nous fait flirter, avec malice, avec les esprits d’antan. Quant à « Vu », c’est notre coup de cœur du festival : du clown de haut niveau délicieusement féroce. Enfin, également à la croisée des disciplines, Yohan Durand nous réconcilie avec un art que beaucoup pourraient penser désuet : le diabolo.

Cette année, Le Festival Les Élancées accueille trois chapiteaux pour vivre une ambiance chaleureuse. Outre celui du Cirque La compagnie et des Colporteurs, Bêtes de foire, un habitué, a posé, pour quelques jours, son « chapiteau baraque foraine », un espace intimiste dédié à la confiserie reconverti en atelier de couturière et de mécano.

Charme suranné

C’est quoi cette foire ?! Une fois passée un rideau pour le moins original, un bric-à-brac insensé annonce un spectacle haut en couleurs. Nous voilà projetés à l’époque pas si lointaine où des lapins bondissaient des chapeaux et les clowns arboraient leurs plus belles plumes. Les tonalités sont passées et les accessoires sont devenus vintage. Dans ce cirque-là, il se pourrait bien qu’on croise des revenants. On pourrait presque y saluer Kantor ou Calder, mais c’est Mister Bean qui frappera les esprits.

Laurent Cabrol, passé par l’École Fratellini, le cirque Romanès et cofondateur du cirque Trottola, a gardé un goût affirmé pour le « fait maison ». Costumière et comédienne pour des compagnies de théâtre de rue, Elsa de Witte connaît d’ailleurs bien le rafistolage. Ils nous parlent un peu de leur histoire, à travers cette création à dimension humaine.

Habilement intégré à la mise en scène, le régisseur dégingandé se livre à un ballet incessant pour que le spectacle se fasse. Envers et contre tout. L’ensemble pourrait s’effondrer mais on continue d’y croire. Le titre (Décrochez-moi ça) le sous-entend : la lune est à portée de main. Comme ces vestes sur cintres, en attente d’être endossées ?

Manège désenchanté

Car les clowns ont perdu leur nez. L’homme enchaîne des numéros foireux : jongleur, il fait table rase de son numéro ; dresseur, il est dominé par son chien. Mais ne pas se fier aux apparences ! Il s’en sort haut la main. Entre chaque tableau, la femme s’impose, par sa beauté insondable. Reine du recyclage, elle s’affaire, rafistole, tire les ficelles et donne le change, pour finir pailletée, non sans malice.

Tous deux nous tendent un miroir, celui de nos vanités, de nos vies encombrées et normées. Bêtes de foire mise sur l’accumulation pour révéler la vacuité de nos existences. Sacré budget que celui des fripes ! La manutention prend beaucoup de place, mais tout est parfaitement maîtrisé, chorégraphié. Le musicien déjanté meuble aussi ces intermèdes. Chaque apparition fait son effet.

Comme la musique déglinguée, ce petit théâtre de gestes est baroque et barré. En revisitant des numéros traditionnels, Laurent Cabrol et Elsa De Witte rendent hommage aux freaks, drainant avec ces pantins bricolés, tout l’imaginaire forain. Jamais dans l’épate, ils révèlent l’essence de leur art qui fait l’éloge de la différence et de l’humain. Bas les masques ! Cette mise à nue salutaire montre l’âme d’êtres cabossés mais ô combien attachants. Ce cirque miniature, et pourtant grandiose, distille une inoubliable poésie de l’ordinaire.

« Patibulaire mais presque »

La magie de nous embarquer avec trois fois rien, c’est aussi ce qui caractérise Étienne Manceau qui a troqué des allumettes contre ces bouts de ficelle. Son entrée donne le ton. Arrivé d’en haut, il ne va pas s’en laisser conter.

« À la croisée du théâtre d’objets, du cirque miniature et du clown involontaire » Vu (cie Sacekripa) met en scène un protagoniste méticuleux à outrance et un poil acariâtre. C’est l’heure du thé et cela va prendre des plombes. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Assis devant sa table basse, engoncé, il manipule Chamallows, scotch, mètre, objets tranchants. Il aime maîtriser les situations. Pourtant, ça fait des étincelles et on se régale. On reviendrait bien pour un brunch.

Vu-cie-Sacekripa-©-Alexis-Dor

Clown de haut niveau

Les yeux rivés sur le plateau, à l’affût du moindre mouvement, les spectateurs n’en perdent pas une miette. Évidemment, rien ne se passe comme voulu et des petits riens peuvent faire basculer une vie. Ces mini-événements pourraient mal finir car cet homme est vraiment border line. Maniaco dépressif, sadique, ou pire encore ? Et s’il était juste proche du burn out ? Il reprend ses clés de voiture, remet sa cravate, repart d’un pas fatigué. La journée débute à peine…

Étienne Manceau pratique le lancer de sucre et l’allumage de bougie à la sarbacane. Sans nez rouge et sans parole, il tient son personnage de bout en bout. Auteur et cofondateur de la compagnie Sacékripa, il a été formé à la jonglerie. Mais, ici, ce sont ses qualités comiques qui sont surtout exploitées. Au cœur de son travail : « l’art du détail, la densité dans la simplicité, les rythmes propres à chacun, l’épaisseur des matières, les écorchures et les failles de l’humain ». Il excelle dans les interactions avec le public, très ciblées. Tout est réglé au cordeau. C’est une pépite.

Drôle de diaboliste

Yohan Durand est un chouya plus sympathique. Il déteste les enfants. Toutefois, sa maladresse est touchante. Ce jeune homme est prêt à voyager. Oui mais pour aller où ? « Dans destination, il y a destin », annonce-t-il. Nous voilà partis pour un drôle de périple. Ce jour-là, des oies migratrices s’inviteront même dans le ciel, lui volant un temps la vedette. « Trouver sa place ! », voilà le défi.

Dans C’est idiot mais ça colle à la peau, il nous a livré un ballet époustouflant avec des diabolos pour le moins… diaboliques qui dialoguent, fusent, virevoltent entre nœuds et diverses entourloupes. Adresse, souplesse, agilité : la technique de ce jeune homme est imparable et son numéro vraiment original. Inspiré du théâtre, de la danse, du jonglage, de la marionnette, son style est unique. 🔴

Léna Martinelli


Décrochez-moi ça, Bêtes de foire

Site de la cie
En piste : Laurent Cabrol, Elsa De Witte, Simon Rosant et Thomas Barrière, en alternance avec Bastien Pelenc
Scénographie, décors, costumes, accessoires : Laurent Cabrol, Elsa De Witte et Simon Rosant, avec la complicité de Solenne Capmas (costumes), Luna Berardino (aide couture) et Steffie Bayer (sculpture personnages)
Création musicale : Thomas Barrière et Bastien Pelenc
Construction piste : Laurent Desflèches et Chantal Viannay, avec l’aide de Silvain Ohl et Éric Noël
Création son : Francis Lopez
Création lumières : Tom Bourreau
Toile : Vso
Administration : Les Thérèses
Conseillé à partir de 8 ans
Durée : 1 h 10

Le Deven • Centre équestre • 13800 Istres
Infos ici

Tournée :
• Du 9 au 14 mars, festival MARTO, L’Azimut, à Antony (92)
• Du 19 au 24 mars, Théâtre de Sénart (91)
• Du 28 mars au 1er avril, Festival Up, à Bruxelles
• Du 14 au 18 mai, Théâtre de Narbonne, scène nationale (11)
• Du 24 au 26 mai, L’Avant-Scène, scène nationale, à Cognac (16)

Vu, cie Sacekripa

Site de la cie
Avec : Étienne Manceau
Durée : 60 minutes
Dès 7 ans

Espace Robert Hossein • Bd Victor Jauffret • 13450 Grans • Tel. : 04 90 55 71 53
Infos ici

Tournée :
• Du 5 au 7 mars, Spot, à Sion (Suisse)
• Les 7 et 8 avril, Saison culturelle Le Zeppelin, à Saint-André-lez-Lille (59)
• Le 3 mai, Centre culturel Léon Mallet, à Mireval (34)
• Du 21 au 25 mai, festival Les Excentrés, La Passerelle, scène nationale, à Gap (05)
• Le 14 juin, Sumène Artense communauté, à Saigne (15)
• Du 8 au 21 juillet, tournée CCAS

C’est idiot mais ça colle à la peau, de Yohan Durand

Site de la cie
Durée : 45 minutes

Espace Robert Hossein • Bd Victor Jauffret • 13450 Grans • Tel. : 04 90 55 71 53
Infos ici

Tournée ici, dont :
• Les 9 et 10 mai, La Déferlante de Printemps, à Noirmoutier et à La-Tranche-Sur-Mer (85)
• Le 18 mai, ouverture de la Quinzaine des Arts, à Jouy-le-Moutier (95)
• Du 23 au 26 mai, Graines de Mai, à Yzeure (03)
• Le 15 juin, Festival Symbiose, à Aulnat (63)
• Du 14 au 17 août, Festival international d’arts de rue d’Aurillac (15)

Dans le cadre du festival Les Élancées, 26e édition du 10 au 25 février 2024, porté par Scènes & Cinés

À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Les Élancées 2024, annonce de Léna Martinelli
Bêtes de foire, par Laura Plas

Photos :
« Décrochez-moi ça », Bêtes de Foire © Vincent Muteau © Lionel Pesqué
« Vu », cie Sacekripa © Alexis Dor

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