La vérité sort de la bouche des ados
Protagonistes du perturbant « Mérite » et de l’excellent « Poids des fourmis », les ados y remettent en cause élections, monde scolaire, notion de mérite. De quoi alimenter de riches discussions.
Le Mérite évoque en quelques scènes le parcours d’une prof et d’un élève. Quatrième, seconde, supérieur. Une professeure a repéré une élève et va jouer le rôle de guide dans un monde scolaire où règne la division public-privé, la classification des établissements et donc la reproduction sociale. Grâce à elle, Bachir va accomplir un beau parcours. Preuve que le mérite paie ? Accomplissement d’un rêve ? Mais le rêve de qui ?
Il est toujours périlleux de mettre en scène le monde scolaire. Sous prétexte qu’il y est passé ou y a des enfants, tout le monde croit le connaître, mais les erreurs tant disciplinaires (ici sur les maths) que générales (options pour spécialités dans le cas présent, par exemple) sautent vite aux oreilles. Cela d’autant plus que le public de théâtre comprend pas mal de profs.
Aller jusqu’au bout
Il est difficile aussi de camper des personnes de ce milieu. Le prof devient vite une caricature et l’enfant, quand il est joué par un adulte, une vraie gageure de comédien. Disons qu’Anouar Sahraoui, qui joue Bachir, s’en sort bien, et encore mieux quand le personnage grandit. C’est moins évident pour Nanténé Traoré, mais c’est une question d’écriture, pas de jeu, même si Sophonie Desnoues gagne en épaisseur et en cohérence quand elle raconte son propre parcours d’élève.
Globalement, la pièce a vraiment de quoi déconcerter voire agacer durant les deux premières scènes. Le texte mérite pourtant que l’on reste car la fin permet de repenser tout ce qui a précédé. Ouf, la pièce ne cède pas aux sirènes de la start-up nation sur l’école. Ouf, une pièce de théâtre ne démonte pas l’éducation artistique, ni les humanités. Ouf, le prof n’a pas toujours raison et l’enfer est pavé de bonnes intentions. Et donc on est si heureux de s’être fait avoir, on est si convaincu que la pièce pose le doigt sur un sujet passionnant que l’on oublie ses défauts, sa mise en scène un peu conventionnelle.
Faite pour être jouée dans une classe, puisque c’est le seul décor, la pièce est totalement adaptée pour un public d’ados et mériterait d’être présenté dans les collèges ou lycées où se jouent tous les jours des combats fondamentaux autour de l’orientation. De beaux débats en perspectives.
Le Poids des fourmis : aux armes les ados !
Auteur québécois, David Paquet a reçu à deux reprises le prix Sony Labou Tansi des lycéens : preuve de sa capacité à faire mouche auprès des adolescents par des textes percutants et souvent bourrés d’humour. Le Poids des fourmis est de ceux-là. Pas d’entomologie dans la pièce, Olivier, élève de secondaire (équivalent de notre lycée) rêve d’une planète-tumeur et voudrait en finir. Jeanne, autre élève, passe son temps à gueuler contre le monde mercantile et dégueulasse qui la rabaisse à coup de pubs pour les produits de beauté. Ils se sentent comme des fourmis.
Dépression et rage. On le voit, au travers de ces deux héros (oui, héros), la pièce parvient à tracer un tableau haut en couleurs, car les deux ados sont dépeints comme des personnages de BD excessifs et vrais à la fois. Les personnages secondaires sont aussi formidables : de la mère qui ne veut penser la vie qu’en feel good, à la formidable libraire dépressive, en passant par le merveilleux directeur d’école blasé, roublard et tendre à la fois.
Ces derniers sont formidablement campés par Gaétan Nadeau et Nathalie Claude qui se métamorphosent d’un changement d’accessoires ou d’un pivotement de fauteuil. Ils sont aussi bons que les ados, incarnés par Elisabeth Smith et Gabriel Szabo. On rit. On rit jaune aussi.
La pièce est en effet une satire. Les élections de délégués sont l’occasion de mettre en scène les gloires, et surtout misères du vote, de la démocratie. Le monde en petit, le monde décalé. Sur ce point, la scénographie est parfaite : un ilot, des palmiers lumineux, des transats représentent les domiciles respectifs de Jeanne et Olivier comme leur lycée. Tout est de plastique et de toc. Autour, une piscine à boules noires où on s’ensevelit, ressurgit en un autre personnage. Marée noire et illusion de l’île merveilleuse ?
Le spectacle ne répond pas aux questions. Pour preuve, un final ouvert et ambigu dans un certain sens. On se demandera peut-être si l’action collective ne s’y s’étiole pas en bienfaisance individuelle. Mais justement, cela occasionnera de vraies discussions. Quoi qu’il en soit, décalé, pop, désopilant, Le Poids des fourmis fait mouche : un poids lourd du spectacle jeune public ! 🔴
Laura Plas
Le Mérite, cie 2052
Site de la compagnie
Texte : Mélanie Leray et Maëlle Puéchoultres
Mise en scène : Mélanie Leray
Avec : Anouar Sahraoui, Nanténé Traoré
Durée : 1 h 10 (trajet aller compris)
Dès 13 ans
Le 11 Avignon • 11, boulevard Raspail • 84000 Avignon
Du 9 au 21 juillet 2023 (sauf le lundi 15), à 11 heures
De 10 € à 22 €
Réservations : en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 3 au 21 juillet 2024
Plus d’infos ici
Le Poids des fourmis, de David Paquet, par le Théâtre Bluff
Le texte est édité chez Léméac Éditeurs
Site de la compagnie
Mise en scène : Philippe Cyr
Avec : Nathalie Claude, Gaétan Nadeau, Élisabeth Smith, Gabriel Szabo
Durée : 75 minutes
Dès 13 ans
La Manufacture (site La Patinoire) • 2483 avenue de l’Amandier • 84000 Avignon
Du 4 au 21 juillet 2023 (relâche les 10 et 17) de 10 heures à 12 h 05 (trajet en navette compris jusqu’à la Patinoire)
De 17 € à 23, 50 €
Réservations : 04 90 85 12 71 ou en ligne
Dans le cadre du Festival Off Avignon, du 3 au 21 juillet 2024
Plus d’infos ici
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☛ Leaves, de Lucie Cadwell, Théâtre National de Bretagne, à Rennes, par Aurore Krol
Photo de une : © Yanick Macdonald