Focus grandes formes, « Révolte », Johanne Humblet, « Traverser les murs opaques », Marion Collé, « Soirée magique », cie 14:20, « Vent d’ouest », Les P’tits Bras, Circa 2024, Auch

Soirée-Magique-Cie-1420 © Clément-Debailleul

Toujours plus haut, plus fort, plus loin !

Léna Martinelli
Les Trois Coups

Parmi les grands formats programmés au Festival Circa, ces propositions spectaculaires ont retenu toute notre attention. Avec leur énergie punk rock, Les Filles du renard pâle font souffler un vent de révolte, tandis que Marion Collé interroge la capacité de résistance de l’humain dans un spectacle manifeste, dont les mots résonnent fort. La cie 14:20, pionnière de la magie nouvelle, fascine tant les illusions prennent le pas sur le réel. Quant aux P’tits bras, c’est un divertissement de taille, burlesque et techniquement exigeant.

Commencer notre reportage en revoyant Révolte, découvert à sa création, en 2023, mais cette fois-ci dans l’immense Dôme du CIRC, est un plaisir renouvelé. Les Filles du renard pâle (Johanne Humblet ) y affrontent l’adversité avec toujours autant d’énergie, dans un ballet sauvage et sensuel qui exprime l’urgence de vivre et d’agir face à l’absurdité du monde (lire notre critique).

« Traverser les murs opaques », Marion Collé © Philippe Cibille (1 et 2) ; © Vasil Tasevski (3 et 4)

Autre grand format qui valorise la force du collectif, Traverser les murs opaques explore aussi la thématique du soulèvement avec une belle puissance de propos. Profondément inspirée par la pensée du philosophe Georges Didi-Huberman, Marion Collé (Collectif Porte27) interroge notre capacité de résistance. Contre vents et marées, des femmes luttent contre le poids des normes et des contraintes, y compris celles imposées par elles-mêmes.

Traversées fulgurantes de poésie

Quête d’équilibre, foi dans la sensation, désir de sororité, joie de la rencontre, tragédie de l’existence, puissance de l’imaginaire… Dans une écoute totale, les acrobates se suivent, changent de cap, s’accrochent ou s’enroulent, naviguent entre confrontation et solitude, sans jamais se perdre de vue. Elles jouent une partition inspirée et sensible. Leur grammaire gestuelle sublime les mots qui résonnent dans les airs, en équilibre avec la musique. Sur le fil ou au trapèze, les enchaînements ne forment pas un récit linéaire, mais font écho les uns aux autres, comme autant de poèmes incarnés.

Le texte est magnifique. Marion Collé a d’ailleurs remporté plusieurs prix littéraires. Elle s’intéresse à la question de l’engagement de façon lyrique, en creusant « des chemins de traverse pour faire entrer en résonance l’intime avec le monde qui nous entoure et le transformer ». Considérant que la poésie est en mesure de « sauver le monde », elle tente le ré-enchantement, cherche la lumière dans l’obscurité, touche les âmes.

On gardera en mémoire des lueurs persistantes. Trouées, percées, clairs obscurs, travail de la grisaille, comme en peinture, surgissement de la couleur par l’utilisation de poudres volatiles, volutes de fumée… Moult effets rythment la pièce. C’est sublime. La scénographie est conçue comme « un espace de lignes et d’écriture, à la fois horizon d’attente, espace de vibration et d’expression des corps circassiens, lieu où advient et s’inscrit l’émotion ». De noirs profonds émergent agrès et cordages suspendus, où jaillissent les corps en mouvement et leurs ombres projetées.

Variations, ruptures, silences… Le travail sonore est également d’une grande sophistication : c’est un savant tissage entre les poèmes mis en voix et enregistrés, les sons captés en direct au plateau (frottements sur la corde, souffles), des sons extérieurs (grondements, rumeurs) et du violon en direct. L’ensemble, de haute tenue, ouvre de vastes espaces.

Voyage dans l’irréel

Plus légère, la soirée concoctée par la cie 14:20, pionnière de la magie nouvelle, nous a aussi fait voyager. Clément Debailleul, Valentine Losseau et Raphaël Navarro ont développé leurs innovations dans le monde entier (lévitation et vol humain, hologramme, technologie d’invisibilité…). Ils vont loin, dans tous les sens du terme. Ce plateau rassemblait quelques représentants de ce mouvement (qui en compte aujourd’hui un millier) pour offrir un panorama de cette discipline fascinante.

« Soirée Magique », cie 14:20 : Philippe Beau © Antoine Dubroux ; Rémi Lasvenes © Laurent Bugnet ; Ingrid Estarque © Clément Debailleul

Faiseurs d’histoires et d’illusions ont donc rivalisé d’adresse dans des tableaux souvent oniriques ponctués d’interludes musicaux joués en direct, leurs langages artistiques formant un patchwork de styles, au gré de leurs créations. D’abord, à l’image de la lampe de Pixar, une feuille d’animation s’est animée, a pris vie. Ensuite, Matthieu Siefridt a fait vivre ses drôles de marionnettes. Puis, ce fut au tour d’Arthur Chavaudret de faire un numéro de close up assez classique mais très drôle. Ni vu, ni connu, je t’embrouille !

Le jongleur Rémi Lasvènes nous a aussi émerveillés avec ses balles et bulles rebelles. On n’oubliera pas la danse en lévitation d’Ingrid Estarque, qui nous fait douter des lois de la gravité, ni les exceptionnelles ombres chinoises de Philippe Beau. Chaque numéro est une aventure dans lequel les lois de la physique n’ont plus court. Ces magiciens jouent avec nos sens, détournent le réel avec malice et délicatesse, humour et poésie. De quoi changer notre regard et nous faire rêver.

À la conquête de l’Ouest

Quant à Vent d’ouest, il est plutôt d’esprit country. Les P’tits Bras nous ont épatés. En extérieur, à la caserne Espagne, leur western acrobatique familial décalé a cassé la baraque. Là, les personnages ne s’allient pas de toutes leurs forces pour se rebeller. Ils s’élancent en quête du magot, car la récompense est à la hauteur du défi : choper la Wanted Family. Les cow-boys ne sont pas tout à fait déconstruits. Toutefois, les femmes ne sont pas cantonnées à des rôles de potiches. Dans cette « petite sauterie », elles ont de la poigne. À lui seul, le Sheriff, échappé d’un Tex Avery, vaut son pesant de… carottes. Il est vraiment gratiné. C’est Cœur de bison, sorte de Mr Loyal pas vraiment loyal, qui anime l’ensemble, dans l’esprit le Bon, la brute et le truand ! Afin de traiter du mythe de l’ouest américain, Sophie Mandoux et Raphaël Gacon piochent allègrement dans les références pop et ça percute bien.

« Vent d’ouest », Les P’tits Bras © Margaux Voglet ; © Sébastien Roberty

On l’a compris, le propos est loin d’être politique. Ici, on s’amuse et on s’extasie. Sur une impressionnante structure, six artistes fusionnent voltige aérienne, rodéo audacieux et prouesses techniques (numéro sur fil, équilibres sur planche, jeté de bonbonnes). Et parce que ce n’est pas déjà assez haut, Les P’tits Bras parviennent même à ajouter un mât chinois. Ils sont dingues ! Visuelle, la fresque est particulièrement réussie avec cette magnifique structure, des décors évocateurs et des costumes très chouettes. Parce qu’évoluant plutôt dans le réseau des arts de la rue, on ne connaissait pas cette compagnie qui vient pourtant de fêter ses vingt ans. Ravis de cette découverte ! Une grande forme comme les trois précédentes qui nous a beaucoup plus.

Léna Martinelli


Traverser les murs opaques, de Marion Collé
Le recueil Traverser les murs opaques a paru aux Éditions Bruno Doucey en 2024
Collectif Porte27 et Triptyque Production
Avec : Anne-Lise Allard, Julia Brisset, Marion Collé, Amélie Kourim et Chloé Moura
Scénographie de la lumière : Sylvie Mélis
Musique : Simon Thierrée
Création sonore : Aude Petiard
Voix : Fanny Sintès
Création textile : Aurore Thibout
Accompagnement scénographique : Suzanne Sebö
Regard extérieur : Fanny Sintès, Carole Fierz, Valérie Lamielle
Accrocheur-rigger : Fred Sintomer
Régie générale : Adrien Wernert
Régie lumière : Titouan Lechevallier
Durée : 55 minutes
Dès 8 ans
CIRC • Salle Bernard Turin • Les 22 et 23 octobre 2024
Tournée ici :
Le 7 février au Théâtre Molière, scène nationale de Sète

Soirée magique, cie 14:20
Site
Avec : Philippe Beau, Blizzard Concept, Madeleine Cazenave, Arthur Chavaudret, cie Alogique, Ingrid Estarque, Rémi Lasvènes, Matthieu Siefridt…
Régie générale : Théo Jourdainne
Régie plateau : Thierry Debroas
Durée : 1 h 10
Tout public
CIRC • Dôme • Les 22 et 23 octobre 2024
Tournée ici :
• Du 11 au 14 décembre, TJP, CDN Strasbourg Grand Est
• Les 20 et 21 décembre, DSN, scène nationale Dieppe
• Le 1er février 2025, La Ferme du Buisson, à Noisiel

Vent d’ouest, Les P’tits Bras
Site de la cie
Direction artistique : Sophie Mandoux et Raphaël Gacon
Avec : Sophie Mandoux, Raphaël Gacon, Birta Benonysdottir, Lucas Bergandi, Francis Roberge, John Mossoux
Regard extérieur : Christophe Thellier
Costumes : Emma Assaud, Barbara Mornet
Création régie artistique : Nicolas Cautain, Raphaël Gacon / Fill De Block
Musiques : Mark Dehoux
Technicien tournée : Laurent Tellier ou Mark Dehoux ou Nicolas Cautain
Caserne Espagne • Le 20 octobre 2024
Tournée ici

Dans le cadre de Circa, festival du cirque actuel, du 18 au 26 octobre 2024
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Circa 2024, annonce par Léna Martinelli

Photos : ©️ « Soirée Magique », cie 14:20 © Clément Debailleul

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