Focus Molière, saison 2019, France

Le Misanthrope-Rodolphe-Dana © Jean-Louis Fernandez

Molière sur le devant de la scène !

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Au secours ! Il vous a mis à rude épreuve lors de vos études ? Il vous a barbé dans des adaptations poussiéreuses ? Classique intemporel, Molière demeure pourtant d’une saisissante modernité. En tout cas, les plus grands metteurs en scène s’y confrontent un jour ou l’autre. Pour notre plus grand plaisir.

Dans les années 1980-2000, il y avait chaque saison des Molière à la pelle. La belle présence des auteurs contemporains assure enfin un certain équilibre avec les classiques montés sur nos scènes. Si Shakespeare continue d’être régulièrement à l’affiche, Tchekhov a ensuite volé la vedette à l’auteur français. Après cette accalmie, plusieurs de ses pièces sont programmées, aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public qui a, en théorie, davantage les moyens de monter des pièces chorales.

C’est donc le moment, pour les plus récalcitrants, de se réconcilier avec Molière, qui a su écrire des pièces savamment construites, à la langue raffinée dont les vers chantent si bien à nos oreilles. Surtout, sa portée est universelle : désir d’émancipation, despotisme masculin, bêtise et flagornerie, avarice, tartufferies, jeux de pouvoir… ses thèmes continuent de nous concerner.

C’est pourquoi, qu’ils exploitent les dimensions épique, mythologique, historique, intime, politique, ou sociale de ces chefs-d’œuvre, les metteurs en scène ne cessent d’explorer de nouvelles pistes dramaturgiques. Inspirés par la farce ou le tragique, ils proposent des lectures inédites et passionnantes. Ils peuvent aussi donner libre cours à leurs talents plastiques, qu’ils transposent la pièce de Molière aujourd’hui ou pas.

Puissant et populaire

Le « patron des comédiens » est également un cadeau pour les interprètes. Ses pièces exigent de réels talents pour incarner maniaques, pervers narcissiques, hypocondriaques, bref des personnages hors norme. Or, de grands acteurs comme Daniel Auteuil ou Lambert Wilson relèvent aujourd’hui le défi avec brio. Le public attend leurs prestations avec impatience.

Misanthrope-Peter-Stein-Lambert-Wilson © DR
« Le Misanthrope », mise en scène de Peter Stein © DR

Pour le Malade imaginaire, Daniel Auteuil assure aussi la mise en scène. D’ailleurs, il connaît bien Molière. Après avoir joué les Fourberies de Scapin et l’École des femmes, sous la direction de Jean-Pierre Vincent, il a souhaité se lancer dans une nouvelle aventure. Le spectacle, classique mais efficace, met en avant le jeu des acteurs.

Quant à Lambert Wilson, il est dirigé au Théâtre Libre (ex-Comedia) par Peter Stein, metteur en scène qui a déjà ouvert cette saison avec Tartuffe au Théâtre de la Porte Saint-Martin (Jacques Weber donnait la réplique à Pierre Arditti ou Jean-Pierre Malo).

Le rôle de l’Atrabilaire amoureux est parfaitement trouvé pour l’acteur qui a joué au cinéma dans le film Alceste à bicyclette (2013). C’est précisément la misanthropie et la jalousie qui ont intéressé le metteur en scène, ainsi que l’élégance des vers, le sarcasme et l’ironie des dialogues. En opposant à la vanité du monde l’intransigeance absolue d’Alceste (pourtant amoureux d’une coquette), Molière exprime un idéalisme qui défie effectivement le temps.

Le Misanthrope en tête

Cette saison, on ne compte pas moins de cinq Misanthrope d’intérêt ! Bien qu’écrite en 1666, la pièce reste d’actualité : la tentation de fuir le monde et la critique de la comédie humaine inspirent. Au-delà de l’histoire dramatique (et ridicule) d’un misanthrope amoureux d’une Célimène qui s’accorde avec les jeux de la cour, cette comédie féroce comporte aussi des réponses pertinentes à la perversité des conventions sociales et la perte des idéologies collectives.

Le-Misanthrope-Alain-Françon © Michel Corbou
Le Misanthrope, mise en scène d’Alain Françon © Michel Corbou

Après Louise Vignaud, Thibault Perrenoud ou Rodolphe Dana, c’est au tour d’Alain Françon de se frotter à cette grande comédie. Un Cluedo dans le vase clos d’une antichambre où les personnages jouent au poker menteur avec leurs sentiments et avec la curiosité des spectateurs : est-ce (se) trahir qu’accepter l’hypocrisie ?

Grâce aux décors élégants de Jacques Gabel, aux costumes chics de Marie La Rocca, et à la distribution habituelle 5 étoiles (Gilles Privat dans le rôle titre aux côtés, entre autres, de Dominique Valadié, Marie Vialle), on se régale à l’avance. On reconnaît les chefs-d’œuvre à leur capacité à traverser les siècles et à parvenir à notre présent, sans une ride. Le Misanthrope en est un, servi ici par un des maîtres du théâtre français. Créé au Théâtre de Carouge, à Genève, le spectacle fera sa première française à Dijon, avant une tournée qui le mènera à Lille, Vire, Reims, Aix-en-Provence, Grenoble, Angers.

À la Maison de Molière

Tandis que Stéphane Braunschweig a présenté une version actualisée et passionnante de l’École des femmes à l’Odéon cet automne, Macha Makeïeff s’intéresse à la pièce Les Femmes savantes. Sa version pop, intitulée Trissotin ou Les Femmes savantes, remporte un grand succès depuis sa création en 2015 et continue de tourner, notamment à la Scala de Paris.

À suivre, également, Dom Juan ou le Festin de Pierre, mise en scène de Jean Lambert-wild et Lorenzo Malaguerra qui proposent une lecture radicale et décalée du mythe de Don Juan. Cette création sera reprise, entre autres, au Théâtre de la Cité internationale à Paris la saison prochaine.

Dom-Juan-ou-le-Festin-de-Pierre-Jean-Lambert-wild-Lorenzo-Malaguerra © Tristan Jeanne-Valès
« Dom Juan ou le Festin de Pierre », mise en scène de Jean Lambert-wild et Lorenzo Malaguerra © Tristan Jeanne-Valès

Et quid de la Comédie-Française, chargée de préserver les œuvres du répertoire classique ? Lors de sa création, en 1680, Molière prit symboliquement la première place : considéré comme le « Patron » de l’institution, parfois appelée « Maison de Molière », il y est l’auteur le plus représenté. En 2017, Denis Podalydès a monté notamment les Fourberies de Scapin, qu’il reprend. Cette « pièce de troupe, écrite non pas pour la Cour, mais pour le peuple », éloignée des comédies à machines, a été jouée plus de 1.500 fois depuis le XVIIsiècle. 

Qu’il soit « pur » ou total (mêlant les arts), classique ou moderne, le théâtre de Molière ne lasse jamais, tant il continue, aujourd’hui, de nous parler. Alors, vous commencez par quoi ? 

Léna Martinelli


le Malade imaginaire, mise en scène de Daniel Auteuil, au Théâtre de Paris, jusqu’au 28 février 2019, billetterie en ligne

le Misanthrope, mise en scène de Peter Stein, au Théâtre Libre à Paris, du 13 février jusqu’au 19 mai 2019, billetterie en ligne

le Misanthrope, mise en scène de Rodolphe Dana, créé au Théâtre de Lorient, en septembre 2018, puis tournée

le Misanthrope, mise en scène d’Alain Françon, au Théâtre Dijon Bourgogne, du 12 au 15 février 2019, billetterie en ligne

Trissotin ou Les Femmes savantes, mise en scène de Macha Makeïeff, à La Scala, du 10 avril au 10 mai 2019, billetterie en ligne

Dom Juan ou le Festin de Pierre, d’après le mythe de Don Juan et le Dom Juan de Molière, mise en scène de Jean Lambert-wild et Lorenzo Malaguerra, au Théâtre de l’Union – Centre dramatique national du Limousin, du 19 mars  au 29 mars 2019, billetterie en ligne

les Fourberies de Scapin, mise en scène de Denis Podalydès, à la Comédie Française, jusqu’au 19 mars 2019, billetterie en ligne

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