Focus « Occitanie fait son cirque en Avignon», Île Piot à Avignon

« Occitanie fait son cirque en Avignon » © S. Armengol, C. Trouilhet-photolosa, B. Hopper, H. Amiel

L’Île aux trésors du cirque

Par Laura Plas
Les Trois Coups

Chouette, le cirque est revenu ! Le cirque ? Que-dis-je ? Les cirques ont planté chapiteaux, car pour la douzième année, l’Île Piot accueille onze spectacles d’esthétiques diverses. Voici un coup de projecteur sur des spectacles qui donnent envie de souquer de bon matin vers l’île.

On a rarement été déçu par ce petit festival dans le grand. Imaginez un lieu : une sorte de village d’Astérix planté au bord du Rhône. Là, de valeureux circassiens résistent encore et toujours au snobisme et à la convention pour faire leur cirque.

Et quel cirque ! Les spectacles commencent au petit matin quand les généreux bénévoles commencent à s’activer et à vous accueillir pour boire un thé ou casser la croûte sans vous détrousser (us et coutumes de l’autre rive). Ils battent ensuite leur plein jusqu’au bout de la nuit. On est alors saisi par la générosité de ces artistes qui parviennent à nous offrir un feu d’artifice de cirque.

« Occitanie fait son cirque en Avignon » © S. Armengol, C. Trouilhet-photolosa, B. Hopper, H. Amiel
« Occitanie fait son cirque en Avignon » © S. Armengol, C. Trouilhet-photolosa, B. Hopper, H. Amiel

Pour les petits comme les grands : l’école est finie

Première gerbe matinale : le feu coloré et joyeux des Genoux Rouges. La chorégraphe Michelle Dhallu y réussit la rencontre entre cirque et danse en mettant en scène cinq jeunes interprètes tout juste sortis de l’école et bourrés de talent. Son spectacle propose une tendre réflexion sur les premières rencontres, les amourettes vaches et les jeux de la cour de récréation.

Si le spectacle perd parfois un peu le rythme (il faut dire qu’il commence très fort), il nous happe à nouveau dès qu’il aborde cette question du rapport à l’autre, chère à la chorégraphe. On se souviendra ainsi d’un magnifique pot de colle amoureux ou d’un gamin houspillé. D’une manière générale, le spectacle séduit par son esthétique colorée et soignée : des costumes aux créations lumières et sons, tout fait tableau : un petit Miró de cirque, donc.

La gerbe envoyée par l’Habeas Corpus Compagnie explose, elle, dans le tableau noir de la mélancolie. Son sombre carburant est fait du sang des travailleurs épuisés. Burning puise, en effet, dans une matière documentaire pour dénoncer les conditions mortifères du travail.

Le propos est fort et exposé avec assez d’intelligence pour toujours laisser une part d’interprétation au spectateur. Les témoignages sont présentés avec un décalage pertinent et mâtinés de poésie. En outre, sur scène, Julien Fournier s’écarte rapidement de la simple illustration du discours. Malmené par les objets, puis par le plan d’une scène qui s’incline pour devenir impraticable et l’éjecter, l’interprète offre une puissante image de la déréliction. La création sonore et la vidéo confirment cette impression, en réduisant l’acrobate à n’être qu’un signe parmi beaucoup d’autres, sur le plateau. D’ailleurs, la vidéo de Yannick Jacquet vaut à elle seule le détour.

« Occitanie fait son cirque en Avignon » © S. Armengol, C. Trouilhet-photolosa, B. Hopper, H. Amiel
« Occitanie fait son cirque en Avignon » © S. Armengol, C. Trouilhet-photolosa, B. Hopper, H. Amiel

Le festival d’Avignon, In et Off, recèle de spectacles engagés. Ils sont cependant souvent englués dans des formes connues, voire convenues. L’Habeas Corpus Compagnie réussit ici à ne pas faire de la forme une simple gangue, mais un outil puissant de dénonciation. 

Mon côté punk 

C’est sans doute cette délicate association de la forme et du contenu que cherchent encore les quatre drilles punks de Subliminati Corporation, dans Deixe-me. Court, le spectacle s’apparente à un coup de poing dans la gueule. Un feu pointé sur le spectateur, plus qu’un feu d’artifice. On n’amènera donc pas sa petite nièce de cinq ans (quoique…), et on sera parfois mal à l’aise. Pourtant, le spectacle laisse présager des explosions futures, dignes du dernier spectacle de Vimala Pons et Tsihiraka Harrivel : Grande.

Les premières minutes qui exhibent le « mauvais goût » comme une bannière, les suivantes qui nous entraînent dans une logorrhée absurde désarçonnent, mais ne sauraient laisser indifférents. Il y a du dada dans ce spectacle bavard et luxuriant, plus théâtral que circassien, pour autant que ces cases génériques aient un sens pour Subliminati Corporation. Une fois encore, le nouveau cirque apparaît comme un ouvroir de spectacles potentiels.

« Occitanie fait son cirque en Avignon » © S. Armengol, C. Trouilhet-photolosa, B. Hopper, H. Amiel
« Occitanie fait son cirque en Avignon » © S. Armengol, C. Trouilhet-photolosa, B. Hopper, H. Amiel

Pour nous faire voguer vers de nouveaux horizons, le festival invite Intarsi, qui nous vient de Barcelone. Voici quatre acrobates d’exception qui coupent le souffle, font battre les cœurs et les mains. Beau travail, à coup sûr, mais le vrai intérêt du spectacle réside paradoxalement dans la distanciation humoristique par rapport à ces exploits. En effet, le spectacle tisse un fil qui transfigure de petits coqs acrobates en membres d’un collectif. Les solos deviennent duos, le groupe se fait, à l’image du jeu de Kapla qu’un gros balourd individualiste détruisait au début de la pièce.

De plus, la dramaturgie métamorphose le mec qui voulait faire son show, avoir la plus grosse (structure) et se comparait aux autres mâles : du coup, il devient un homme qui se joue de ses poignées d’amour, ose toucher les autres et danser, en brisant les codes virils. En filigrane, se dessine alors une autre image du masculin, moins caricaturale, plus sensuelle. C’est pourquoi, le spectateur, en plus d’être épaté, commence à rire et à éprouver de la sympathie pour ces gars si doués et si humains.

On l’aura compris, rien de tel qu’un petit détour sur l’Île Piot pour découvrir la richesse du cirque, ses mille possibles de pirates. À l’abordage ! 

Laura Plas


Occitanie fait son cirque en Avignon

Photos : © Sébastien Armengol © Christophe Trouilhet-photolosa © Ben Hopper, Hubert Amiel

Site de l’évènement

Île Piot • 22, chemin de l’Île Piot • 84000 Avignon

Dans le cadre du Off d’Avignon

Page du programme du festival Off 

Du 9 au 21 juillet 2018, représentations à partir de 10 heures et jusqu’à 22 h 30, relâche le 12 et le 17 juillet

De 7 € à 14 €

Réservations : 04 90 83 66 09


À découvrir sur Les Trois Coups :

Festival Up, Bruxelles, par Léna Martinelli

Mu Arae, Île Piot, par Laura Plas

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