Enfants de bohème et fous de bitume
Par Stéphanie Ruffier
Les Trois Coups
Foule exceptionnelle dans la préfecture du Cantal. Battre le pavé sous la pluie, chercher son bonheur dans la jungle du off et dénicher l’emplacement des pastilles, tel est le lot de tout·e festivalier·e d’Aurillac doté du fameux catalogue (épuisé dès jeudi!) qui recense les spectacles des « compagnies de passage ».
Les chiffres du Off donnent le tournis. Lors de cette édition 2024, 601 compagnies sont venues jouer au festival international du théâtre de rue. 92 d’entre elles sont issues de la région Auvergne-Rhône-Alpes et 57 originaires de pays étrangers aussi variés que l’Argentine, le Brésil, la Suisse, le Japon, la Thaïlande… La parité est au beau fixe : 303 compagnies sont dirigées par des femmes contre 260 par des hommes et 166 par des collectifs ou en mixité. Les chiffres du In des grands festivals viennent d’être publiés par la commission « égalité des genres dans les arts de la rue » de la Fédé et ça progresse !
723 spectacles ont ainsi été offerts au public, soit 2 813 représentations. Un gros investissement pour les artistes venus présenter leur travail à leurs frais : ils comptent ardemment sur la rémunération « au chapeau ». L’excellente affluence sonne donc comme une bonne nouvelle, même si la sur-jauge complique souvent les conditions de jeu et de réception.
Cette année, le 15 août et l’opportunité d’un week-end prolongé ont en effet drainé très tôt une foule imposante. Dès mardi soir, avant même le lancement du festival, une bonne centaine d’aficionados se pressait à la générale du savoureux Kabinet des Humains Gauches au terrain de sport Peyrolles (lire notre critique). Aux tables des bars, les spectateurices – dont les attendu·es programmateurices – se plongeaient dans les brochures rouges pour affiner leur planning. Dans les étroites rues pavées, d’autres naviguaient au petit bonheur la chance, picorant ici ou là un spectacle en cours sur une placette ou des impromptus en off du Off : ici une marionnette juchée sur l’épaule d’un homme en noir, là un jongleur-magicien accompagné de son chien, plus loin une accordéoniste à l’accent espagnol…
Devant certaines cours, comme Destinée ou la Fonte des Classes, animées par des collectifs de compagnies, les files d’attente s’étirent : le bouche-à-oreille fonctionne à plein. On aime retrouver les incontournables Spectralex (Arnaud Aymard et ses réjouissantes incarnations poétiques décalées-déphasées), Quartet Bucal (quatre femmes sacrément culottées qui envoient avec énergie leurs chants anti-patriarcaux) Qualité Street (comédien aux récits affûtés qui n’a jamais raté une seule édition), l’hyper-provocateur Didier Super, mais aussi les formes participatives au contenu politique (féminisme, anti-sexisme, écologie, convergence des luttes ont toujours le vent en poupe).
On peut ainsi s’octroyer un moment intimiste et roboratif, le temps d’un entre-sort sous une tente, casque sur les oreilles, avec Le Thyase (on y révise Mona Chollet), réentendre les injonctions révoltantes à l’accueil du mari issues de vieux manuels scolaires et rire jaune (J’ai mes trucs et mes choses, cie La Smalah), avant de rejoindre des gradins surpeuplés.
« Allons, à l’aide, allons »
Le spectacle Levàntate, soulève-toi de la compagnie Sale Gamine, se nourrit de cette énergie militante. Un duo d’influenceureuses envoie du PO SI TIF pour sauver la pacha mamita en deux temps trois mouvements. La caricature burlesque du greenwashing et de l’écologie individualiste tendance colibri fait mouche. L’assistance se gondole devant le détournement de chansons et de slogans de marketing, tel le YogiTea rebaptisé Revoltea : « Rien n’est plus important que la confiance en soi et l’égalité salariale », « Bonne journée de sérénité et de lutte contre l’oppression systémique. » Les rires… et soudain les larmes affleurent !
À quelques mètres, dans la jolie camionnette de La Timbrée, on peut envoyer de courriers postaux customisés. Agréable pause qui renoue avec le plaisir régressif de la correspondance manuscrite.
Sous un arbre, la Pianiste Rouge, boucles ébouriffées, pieds nus, très longue robe garance, dévale la pente avec son instrument roulant. Elle déroule avec aisance des chansons engagées sur l’habitat de fortune, le mal de vivre, ouvre les esprits et les corps. Femme-orchestre, elle parcourt son clavier, tout en assurant la grosse caisse au pied ou des percussions en loop sur le coffre de son piano. A capella, elle se transforme en poupée de boîte à musique tournant sur son tabouret. Un récital impétueux, naturel et fort bien maîtrisé.
L’art du solo bricolo
Dans le théâtre de rue, le seul en scène où un personnage bousculé par les aléas de l’existence se débrouille avec trois bouts de ficelle semble une discipline en soi, autant qu’un hommage au système D populaire. Le Magnifique bon à rien de Chicken Street, franc succès qui tourne depuis plusieurs années, fait partie de ceux-là. Ou comment monter un classique du western spaghetti avec des planches, quelques dizaines de caisses en bois et des ballons de baudruches. Le côté DIY, allié à la candeur d’un attachant cinéphile réchappé de Pôle Emploi, fonctionnent à plein. Que de trouvailles et une si belle complicité avec le public !
Les Barbus puisent aussi dans une œuvre canonique – Hamlet de Shakespeare – pour en extraire la quintessence : folie, vengeance, trauma familial. Un personnage de foufou SD (il préfère tronquer le F) débarque avec son caddie pour faire la « mendiocrité dans le Crantal ». Et le voilà qui déploie son petit matériel ingénieux, une scie rouillée, un drap, une Barbie flottant dans un bocal (Ophélie) et des allusions à la truffade pour nous conter son histoire compliquée : « Claudius qu’est mon beau-père / mon oncle / le roi et qu’a tué mon père après l’avoir assassiné ». La langue pleine de glissades, un petit rire névrotique et une fraternité pour les êtres sortis des gonds (out of joint dirait l’auteur anglais) touchent au cœur. Généreux !
Premières fois
Le festival offre aussi l’occasion de découvrir des créations tout justes sorties de l’atelier, comme le Road movie sur place & sans caméra du collectif Xanadou. La bagnole, accessoire chéri des arts de la rue, est la pièce maîtresse de cette proposition pétaradante. Sur un parking inhospitalier, une étonnante 106 Peugeot fédère cinq covoitureurs qui n’ont pas franchement envie de voyager ensemble. L’humanité est-elle condamnée à se crêper le chignon ? Personnages tranchés et solidement campés et écriture pied au plancher entérinent le style Xanadou : un regard tendre et cruel sur l’humain, un jeu débridé et une poésie mélancolique enrobée d’humour. L’audace technologique rajoute un faste et furieux piment. Le public jubile.
Première fois aurillacoise aussi et occasion unique pour les jeunes gens qui entourent le danseur Lisandre Casazza et la slameuse Samantha Salvy. 1ère Comparution, leur pièce chorégraphiée au verbe haut, déploie l’univers adolescent et une évocation des enfants-soldats sur un terrain de basket. Jeunes en péril ou péril jeune ? Les mots claquent comme des os qui craquent.
La prise d’espace, véhémente, est également bien frappée. À la fin du spectacle, il est rappelé que l’action culturelle, notamment en milieu scolaire, constitue une part non négligeable du travail de l’artiste. Beau geste d’emmener un groupe de jeunes Drômois se tremper dans le bain bouillonnant du festival ! Marché, labo ou fête permanente, Aurillac reste le lieu incontournable où la rue s’expose. 🔴
Stéphanie Ruffier
Levàntate, soulève-toi, cie Sale gamine
Site de la compagnie
Avec : Lisa Lehoux (Mala Chica) et Robin Mora Nardi (Molo Chico)
Durée : 60 minutes
Dès 8 ans
Tournée :
• Le 23 août, Festival Semaine 34, à Ornon (38)
• Le 14 septembre, dans le cadre du Festival de L’Avenir au Naturel, à Albenc (38)
• Le 6 octobre, à la Fête de l’Agriculture, St-Genix les Villages (73)
La Pianiste Rouge, de Violette Prévost
Page FB de l’artiste-compositrice
Tournée :
• Le 23 août, Fleury-sur-Orne (14)
• Le 8 septembre, La Factorie Maison de poésie Normandie, à Val de Reuil (27)
• Le 21 septembre, Le K’Rabo, avec TFT Label, à Putanges (61)
• Le 19 octobre, Bleu Pluriel, Festival des Mots Dits, à Trégueux (22)
Le Magnifique bon à rien, cie Chicken Street
Site de la compagnie
Mise en scène : Pascal Rome
Avec : Nicolas Moreau
Durée : 50 minutes
Dès 8 ans
Tournée ici :
• Du 23 au 25 août, au Summer Tour, en Suisse
• Le 1er septembre, à la Pesse (39)
• Le 14 septembre, dans le cadre de La Rue des Enfants, à Montcuq (46)
• Le 15 septembre, café associatif du Festival Le Petit Toit d’étoiles, à Léguillac de cercles (24)
• Le 27 septembre, dans le cadre du festival Rentrée en Scène, à Parcieux (01)
• Le 29 septembre, dans le cadre de Regards sur Rue, Le Pôle, à La Seyne-sur-Mer (83)
• Les 5 et 6 octobre, à La Randonnée spectacle, Les Maynats, à Pouzac (65)
Hamlet crazy road, cie Les Barbus
Site de la compagnie
Librement inspiré de la pièce Hamlet de Shakespeare
Mise en scène et interprétation : Sébastien Coppolino
Durée : 50 minutes
Tout public
Tournée :
• Le 23 novembre, à Pontault-Combeau (77)
Road movie sur place & sans caméra, collectif Xanadou
Site de la compagnie
Texte et mise en scène : Louis Zampa
Avec : Vincent Gaudin, Marie Rubert Franchi, Susan Redmond, Sarah Ulysse, Boris Zordan, Louis Zampa
Constructeur : Gabriel Monnier
Composition musicale : Balladur
Chorégraphe : Marine Cheravola
Regard extérieur : Yann Métivier
Durée : 60 minutes
Tout public
1ère comparution, cie Nue
Site de la compagnie
Chorégraphie, interprétation et mise en espace : Lisandre Casazza
Slam et interprétation : Marie-Samantha Salvy
Accompagnement à la mise en scène : Julie Lefebvre
Costumes : Isabelle Granier
Durée : 35 minutes
Tout public
Représentations uniques issues d’un travail d’action culturelle en milieu scolaire
Festival international du théâtre de rue
Du 14 au 17 août 2024
CNAREP et Association Éclat • dans toute la ville • 15000 Aurillac
Spectacles du Off gratuits
Plus d’infos ici
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Focus In, Festival d’Aurillac 2024, par Stéphanie Ruffier
☛ Déambulations, collectif Justine SIttu au festival d’Aurillac, par Stéphanie Ruffier
Photos :
• Une : © Marielle Rossignol
• Mosaïque : « Road movie sur place & sans caméra », Collectif Xanadou © Mathieu Vouzelaud