Focus spectacles L’Ésacto’Lido, Cnac, Académie Fratellini, FÉDEC, Festival Circa 2024, Auch

Circa, carrefour pédagogique

Léna Martinelli
Les Trois Coups

Le festival laisse une large place aux jeunes. En effet, depuis son origine, il est un carrefour pédagogique international avec, notamment, les trois écoles supérieures en arts du cirque qui se retrouvent à Auch pour cette intense semaine de rencontres. Focus sur L’Ésacto’Lido, Le Centre national des arts du cirque (CNAC) et L’Académie Fratellini qui offrent à leurs étudiant·e·s l’occasion d’une belle visibilité.

Décidément, Auch est une ville cirque ! Entre Toujours à l’ouest, qui propose des impromptus dans l’espace public par les élèves de l’enseignement de spécialité arts du cirque du Lycée le Garros, accompagnés par Yaëlle Antoine (cie D’Elles), et Déam’bulle, au marché, notre trajet est ponctué de surprises. Sur le site même de Circa, les scènes ouvertes sont le lieu d’expression libre. Des amateur·ice·s y présentent quotidiennement leurs numéros.

Photos 1 et 3 : « Plateaux nationaux de la FFEC » © Ian Grandjean ; Photo 2 : « Circle » © Laure Geoffroy

À noter également les Plateaux organisés par les Rencontres nationales de la Fédération française des écoles de cirque (FFÉC). Sélectionnés lors des Rencontres Régionales, 28 numéros d’élèves se succèdent afin de faire vibrer le chapiteau de leurs prouesses, le tout accompagné par la fanfare Dix de Der. Mais pour l’heure, nous avons rendez-vous avec les étudiant·e·s ou les promu·e·s des écoles accréditées sur le plan national.

© L’Ésacto’Lido

Commençons par l’École supérieure des arts du cirque de Toulouse, L’Ésacto’ Lido, emblématique de l’Occitanie, devenue en 25 ans une institution reconnue sur le plan mondial. Elle est partenaire de Circa depuis plus de 30 ans. J’ai pu assister à l’un des deux plateaux (Il était 11 fois) et flashé sur deux talents émergents. Puisque l’un des objectifs pédagogiques est de permettre à chacun·e de trouver sa « signature personnelle », j’assume le parti pris d’en faire ressortir deux.

Au mât chinois, Vladimir Leroy se distingue par une belle technique et une certaine originalité. Sa présence est si forte qu’on espère son retour, dès qu’il quitte la scène, d’autant qu’il suscite d’emblée l’empathie, avec son personnage décalé, à côté de la plaque mais de bonne volonté : Goupillon. Jongleur de mots, ou plutôt de silences, Vladimir Leroy évolue aussi dans le vide de façon singulière. Lui qui pèse tant ses mots, semble être un poids plume, hormis pour son entrée et sa sortie, dignes d’un grand clown, ou quand il s’écrase au pied de son mât. Il est capable de passer d’un état à un autre avec une incroyable vélocité, puisant dans toutes les énergies, cherchant des appuis insolites, osant suspensions et distorsions. Tantôt son corps caoutchouc épouse son agrès, tantôt il s’en éloigne afin de mieux y revenir, se déformant et se reformant instantanément, entre crunch et folie douce. Cette attention portée au rythme et à la fluidité des mouvements se complète par des mimiques et des postures très justes, un regard d’hurluberlu, un phrasé caractéristique. Surtout, il n’en fait pas des tonnes, jouant à merveille des ruptures et de son don à lâcher-prise. C’est un interprète complet. Son numéro est construit, son écriture tient la route. Il a déjà les éléments du Spectacle qui vit, qu’on a hâte de découvrir.

Vladimir Leroy, Fernando Rosell Romo © Boris Conte – L’Ésacto’Lido

Autre jeune talent repéré, au style affirmé, qui a bien peaufiné sa dramaturgie : Fernando Rosell Romo. Là, le grand Rochev veut nous en mettre plein les mirettes avec « Son cirque de ouf ». Son World’s greatest Show est (presque) à la hauteur, car tout ne se passe pas vraiment comme prévu. Mâtinées de crump, ses jongleries sont impressionnantes, ses tricks improbables, ses tours et détours plein de malice. Et il y a également matière à voyager. Du cirque glamour virtuose.

Pour ce temps fort d’exposition au public et aux professionnels, les étudiant·e·s de L’Ésacto’Lido ont donc eu l’opportunité de dévoiler quelques facettes de leur identité artistique. Ils ont eu six mois afin de travailler cette forme courte, aboutissement de leur parcours. La pédagogie met en lumière des personnalités, avec un accent prononcé sur le burlesque. Le jonglage y trouve naturellement une place importante. Sur 11 numéros au total, on en compte trois dédiés à cette discipline, mais aucune n’est négligée.

« L’acte de création est exploré avec une grande liberté de recherche et les enseignements sont dispensés en faisant confiance aux étudiant·e·s pour inventer un vocabulaire artistique qui leur est propre », lit-on sur le site. « L’accompagnement est considéré comme une auto-confrontation : il n’y a pas d’échappatoire, ni de solution, sinon lui-même et ses expériences ». Fort à parier que celle de Circa sera déterminante.

Deuxième école à délivrer le DNSP Artiste de cirque (niveau licence) : le CNAC, fondé en 1985 à l’initiative du ministère de la Culture. Son rayonnement est aussi étroitement lié à la grande forme confiée chaque année à une personnalité reconnue et présentée à Châlons-en-Champagne, avant l’Espace Chapiteaux de la Villette dans le cadre d’une tournée nationale. En attendant Martin Palisse et David Gauchard, des artistes majeur·e·s, tel Jérôme Thomas, et des cies, comme Les Colporteurs ou le Collectif AOC, ont ainsi mis en scène le spectacle de la promotion sortante. Nous croisons d’ailleurs régulièrement le chemin d’anciens promu·e·s : Jean-Baptiste André, Alain Reynaud, Mathieu Despoisse, pour citer quelques auteur·ice·s à l’affiche de Circa.

© Ministère de la Culture

Institution reconnue pour son rôle dans l’évolution des formes circassiennes contemporaines, le CNAC adosse son enseignement à la recherche créative (elle a « pour ambition d’être à la pointe de l’innovation pédagogique, artistique et technique, afin de se mettre au service de ses étudiant·e·s, des chercheur·se·s et professionnel·le·s du cirque et, plus largement, du spectacle vivant»). Le parcours est ponctué par d’autres présentations publiques : les Échappées, Premières pistes, Cartes blanches

Beaucoup d’auteur·ice·s ont suivi cette formation, mais quand ils ou elles en sortent, ils ou elles sont plutôt formé·e·s pour être interprètes de haut niveau au service d’une mise en scène. Si chacun·e est encouragé·e à développer son talent dans sa discipline de prédilection, l’approche globale permet avant tout de faire œuvre collective. D’où ces collaborations, de façon à faire découvrir des démarches originales, à les faire participer à un projet ambitieux de création, à susciter des rencontres, parfois déterminantes, comme Raphaëlle Boitel qui distribue Fleuriane Cornet et Vassiliki Rossillion dans ses derniers spectacles.

« Écritures croisées », CNAC, Claudio Stellato © Sarah Meneghello

En lien avec Artcena, des dispositifs dédiés sont également mis en place. Grâce à Écritures croisées, les étudiant·e·s du CNAC vont à la rencontre d’un autre champ artistique, à l’image de cette tendance de fond : l’hybridation. Cette année, place aux mariages inédits du corps et de la matière, avec Claudio Stellato, (diplômé du Lido, quant à lui) et dont j’avais beaucoup aimé Work (lire notre critique). Ici, les pratiques sont à la frontière de la performance.

En bleu de travail, ces artisans s’activent, tout en donnant un bref aperçu de leur spécialité (portés acrobatiques, roue Cyr, mât chinois…). En rythme, ils se concentrent sur la manipulation de leur tonne d’argile imposée. Ils font bloc mais l’énergie circule. Pétris, projetés, modelés, les pains sont bien plus que le ciment du groupe. Ils permettent de composer une belle fresque humaine. « Gommer l’individuel, apprendre à travailler ensemble, retrouver le goût du collectif », telles sont les intentions du metteur en scène, qui aime façonner la matière, y compris humaine. Rien de laborieux dans ces 30 minutes ! Au contraire, de la vitalité et de la créativité. Le dernier tableau est digne d’une installation d’art contemporain. Dans cet espace immense, le CNAC nous donne à sentir le pouls battant, même sous la glaise qui recouvre tout : le sol, les agrès, un corps. Sacré pied de nez à la déconstruction, autre tendance de fond dans le cirque contemporain !

© Atelier du Pont

Située à la Plaine Saint-Denis, L’Académie Fratellini est la 3école supérieure de cirque, laquelle se distingue par ses missions de création et de diffusion de spectacles. Elle délivre un enseignement de qualité fondé sur une pratique exigeante des spécialités. Par exemple, Marie Molliens, Johanne Humblet, ou Marion Collé font partie de ses « ancien·ne·s ». Dans le cadre de leur parcours, ses apprenti·e·s-artistes bénéficient de temps professionnels conçus en cohérence avec toutes les activités de l’Académie (production et diffusion, accueil de compagnies en résidence, école de cirque pour amateur·ice·s enfants et adultes, partenariats entreprises).

Depuis 2022, d’importants travaux de rénovation et extension de ses équipements amènent à développer des projets itinérants en Ile-de-France, et plus spécifiquement en Seine-Saint-Denis. Une nouvelle page de son histoire qui s’écrit, en lien avec les enjeux d’un territoire en mutation et la perspective d’une réouverture en septembre 2025. Par conséquent, les collaborations se multiplient avec des structures pour accueillir le Fratellini Circus Tour et proposer d’autres escales ponctuelles.

© Aiman Saad Ellaoui

Cette année, L’Académie Fratellini a fait appel à la cie MazelFreten afin de réaliser avec les 1ère année une pièce de danse hip-hop électro conçue pour l’espace public. Fidèle aux codes des danses urbaines qui mettent en avant les singularités, Signatures célèbre la diversité et l’unicité de chacun·e. C’est malgré tout l’occasion de travailler la cohésion de dix interprètes aux identités artistiques multiples, en construction.

Toutes trois de renommée internationale, ces écoles s’inscrivent dans des réseaux dynamiques et développent les partenariats. D’ailleurs, le Festival présente aussi Circle, une série de 4 spectacles courts (issus d’ateliers de création et de recherche artistique et pédagogique, proposés par des étudiants venus d’écoles internationales de la Fédération européenne des écoles de cirque (FÉDEC), partenaire du Festival depuis 15 ans. Cette année, on compte 10 pays représentés : Belgique, Espagne, Estonie, Italie, France, Grande-Bretagne, Pays-Bas, Portugal, Suède, Suisse.

Plus que jamais, la rencontre, l’échange et le partage sont au cœur de Circa. L’ambiance est réchauffée par la présence de tous ces jeunes, venus se frotter aux publics, découvrir des spectacles, s’ouvrir au monde. Et leur participation est cruciale car des professionnels en auront repérés certains.

À ce titre, le Jeune cirque national, dispositif d’insertion professionnelle piloté par le CNAC et financé par le ministère de la Culture (ainsi que par la Région Grand Est pour les diplômés du CNAC), permet à des compagnies qui font appel à de jeunes issus de ces trois écoles supérieures d’obtenir une aide financière. Les compagnies qui engagent un interprète dans les trois ans suivant l’obtention du diplôme bénéficient de 2.100 € par projet (plus d’infos ici). Qu’on se le dise…

Léna Martinelli


Il était 11 fois, L’Ésacto’Lido promotion 21-24
Avec : Florian Berthelot (jonglage balles), Medhi Boulanger (trapèze Washington), Chien-Hung Shu (jonglage boîtes), Alexis Debris (équilibre), Barbara Ford (trapèze), Simona Huber (roue Cyr), Vladimir Leroy (mât chinois), Marie Marrou (corde lisse), Meara Roach (trapèze), Fernando Rosell Romo (jonglage balles), Alessandro Travelli (équilibre)
Accompagnement artistique : Dominique Habouzit et Benjamin De Matteis
Accompagnement pédagogique : Aurélie Vincq
Chapiteau Circ • Les 19 et 20 octobre 2024
Plus d’infos ici

Écritures croisées, Claudio Stellato avec la 37promotion du CNAC
Avec : Antonio Armone (roue Cyr), Clarisse Baudoin (roue Cyr), Enrica Boringhieri (acro danse), Anaïs Boyer (fil), Marc-Félix Fournier (mât chinois), Viola Fossi (fil souple), Mathilde Hardel (portés acrobatique), Alice Langlois (trapèze fixe, Luna Lhomme (roue Cyr), Matéo Motes (acro danse), Federica Peirone (équilibres), Vladyslav Ryzhykh (sangles), Shay Shaul (portés acrobatiques), Boris Vandevelde (sangles)
Mise en scène et accompagnement artistique : Claudio Stellato, Roberto Magro, Ann-Katrin Jornot, Nicanor De Elia, Alessandro Travelli
Création Lumière : Hugo Houdin
Maison de Gascogne • Les 20 et 21 octobre 2024
Plus d’infos ici

Signatures, Académie Fratellini X Cie MazelFreten
Mise en scène : cie MazelFreten
Avec : Anouk Blessman, Matthias Bruchez, Lola Cahen, Lucie Cohen, Gabriel Derot, Agathe Klein, Axel Marino, Alvin Nylsen Nygaard, Jean-Baptiste Perusin, Agathe Vauleon
Circ, extérieur • Le 26 octobre 2024
Plus d’infos ici

Circle, Travaux de création des écoles de cirque de la FÉDEC
Chapiteau Endoumingue
• Du 22 au 25 octobre 2024
Plus d’infos ici

Dans le cadre de Circa, festival du cirque actuel, du 18 au 26 octobre 2024
Circa, pôle national Cirque Auch • Allée des Arts • 32000 Auch

Billetterie : en ligne • 05 62 61 65 00 • mail


À découvrir sur Les Trois Coups :

☛ « Présentation Projets Fin Études », CNAC, Festival Multi-Pistes 2024, par Léna Martinelli
☛ Entretien avec Carlotta Lesage et Mats Oosteveld, pour Les Échappées, CNAC, Multi-Pistes 2023, propos recueillis par Laura Plas
☛ « Balestra », Marie Molliens, CNAC, La Villette, par Léna Martinelli
☛ « Petites Histoires Sans Gravité », cie Underclouds, Académie Fratellini, par Léna Martinelli

Photo de une : « Écritures croisées », CNAC, Claudio Stellato © Sarah Meneghello

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