Trouver sa voie
Par Stéphanie Ruffier
Les Trois Coups
Avant qu’il ne devienne le danseur-grimpeur inclassable des arts de la rue, Antoine Le Menestrel fut l’un des plus brillants pionniers de l’escalade libre à l’aube des années 1980. Ce récit autobiographique nous donne à saisir sa singulière sensibilité : une façon d’appréhender la roche et l’ascension en poète.
Folambule trace le portrait d’un tempérament : celui d’un doux rêveur, d’un fils qui, d’abord fidèle à la cordée de la réussite, suit le chemin balisé familial vers les sciences avant de choisir de tracer sa propre ascension. Avec un patronyme qui semble le prédestiner aux élucubrations saltimbanques (« artiste qui est au service du trouvère, celui qui trouve les vers ») Antoine Le Menestrel ouvre un autre imaginaire de la verticalité. Ébouriffé ! Fol ! À l’image de Denis Lavant qui salue, dans une préface inspirée, « le frère de cabriole » ; « l’anti-héros à la Hamlet ».
Oui, cette biographie sportive ouvre des voies. La poussée d’hormones s’y nourrit d’une fièvre verbale. L’échec en faculté se dépasse par la découverte d’autres… facultés. Tout y est jeux de langues. À chaque page, la poésie enrobe la technique, notamment via le baptême des voies. Les « 8a » deviennent « Élixir de violence », « ça glisse au pays des merveilles », « La Rose et le Vampire », « Le Cœur est un chasseur solitaire »… Vivre et dire se confondent.
Aventure du corps et de la langue
Comment se positionner dans une époque où la marchandisation et la médiatisation (compétitions de difficultés, de bloc et de vitesse…) gagnent peu à peu du terrain sur une discipline qui prônait la liberté ? Au-delà du récit de performances et de victoires personnelles, cette traversée biographique offre une illustration formidable de la bifurcation chère à Corinne Morel-Darleux. Elle invite au courage d’être soi à l’heure où Parcours Sup’ voudrait figer l’orientation, réduire des jeunes au choix de filières et d’écoles, dans une époque plus que jamais mouvante. Un espoir à l’heure où nous sommes tout et tous désorientés : « Mon enfer a besoin des autres ».
D’espace public et d’espaces urbains, il est peu question dans cet ouvrage. Si le dernier chapitre évoque la compagnie Les Piétons, la façade du Palais des Papes aux côtés de Romeo Castelluci et l’exploration des premiers balcons, il semble offrir une prise pour un autre récit. Les dernières pages annoncent-elle un tome deux consacré au grand saut dans les arts de la rue ?
Stéphanie Ruffier
Folambule, d’Antoine Le Menestrel
Éditions Paulsen, mars 2024, 192 p., 19 €
ISBN : 978235221-5134
Présentation de l’éditeur ici
Présentation sur le site de la compagnie Lézards Bleus ici
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Photo de une : © DR