Fouad Boussouf, artiste phare de la scène chorégraphique
Il nous aura fallu sa « Carte blanche » au musée du Quai Branly Jacques Chirac, pour découvrir le travail de Fouad Boussouf, pourtant très présent sur la scène chorégraphique, depuis plus de vingt ans. Ce lieu emblématique ouvert aux cultures du monde fut une escale fort appropriée, pour lui qui se considère comme citoyen du monde.
Un parcours exemplaire
Ses premières années dans un village isolé du Maroc ont inévitablement marqué son imaginaire. Ses voyages aussi. À l’âge de sept ans, lorsque sa famille s’installe en France dans la périphérie de Troyes, il s’initie à la danse jazz et au hip-hop, une passion dont il fera son métier. Une pratique assidue qu’il nourrit d’acrobatie, grâce à un partenariat de son lycée avec le CNAC Centre national des arts du cirque. Il arrive à Paris en 2000 afin d’entamer un cursus en sciences sociales à l’université de Paris XII Créteil, tout en donnant des cours de street dance. En parallèle, il continue à se former, participe aux auditions du festival Suresnes Cités Danse et devient interprète pour Farid Berki et Pierre Doussaint. Après son DESS sur la danse hip-hop, Fouad Boussouf part en road trip pendant sept mois (Australie, Égypte, Russie) : « J’ai vu du pays, tout en affinant mon cheminement artistique et en poursuivant mon activité de pédagogue. La transmission fait partie de mon ADN », confie-t-il.
« Oüm » © Elian Bachini ; « Yës » © Charlotte Audureau ; « Vïa » © Gregory Batardon ; «°Up » © Christophe Raynaud de Lage
À 27 ans, il fonde la Cie Massala. Après des solos et un trio, il crée sa première pièce de groupe en 2010. Näss (Les Gens) en 2018 et Yës en 2021 sont des succès, propices à une visibilité hors de l’Hexagone, surtout que Oüm (2020), qui célèbre le cinquantenaire de la disparition de la diva Oum Kalthoum, le propulse sur la scène internationale. Pour une commande de Sidi Larbi Cherkaoui, il crée également Vïa avec le Ballet du Grand Théâtre de Genève et le plasticien Ugo Rondinone (2023). Deux créations s’ajoutent au répertoire : Fêu, une pièce pour 9 interprètes féminines (2023), et °Up, un duo composé d’un foot freestyleur et d’un violoniste (2025). Après de vibrants hommages aux femmes, son dernier opus est un duo acrobatique de haute volée.
Après avoir été artiste associé à la MAD Maison de la Danse de Lyon, à l’Équinoxe scène nationale de Châteauroux et à la Maison de la Musique de Nanterre (2020-2022), il est alors nommé à la tête du CCN Le Havre afin de mener son projet « Enchanter le quotidien ». Il vient d’y être reconduit pour un deuxième mandat. Voilà une carrière rondement menée !
Célébrer le corps en mouvement
Comment définir son style ? «Je le qualifierais comme hybride. Sans souci d’étiquette, je m’inscris dans le présent, avec un goût affirmé pour l’émotion et l’audace. J’affirme une écriture basée sur la spontanéité du geste, le sensible et la poésie. Mû par la dynamique du mouvement continu, mon vocabulaire déplace les interprètes hors de leurs gestuelles habituelles, dans une énergie cyclique ». Dans Fêu (lire la critique), l’engagement physique de chacune est effectivement concret et l’élan collectif peut aller jusqu’à la transe.
« Fêu » © Christophe Raynaud de Lage
Que ce soit le hip-hop, la danse contemporaine, les danses du Maghreb, le cirque ou les arts plastiques, ses racines et influences forgent son style, unique. Fouad Boussouf invite à célébrer le corps en mouvement et la diversité des cultures, à travers des odes à la joie où s’épanouit l’expressivité des corps dansants. Les formats sont variés. Or, ses pièces chorales deviennent vite une nécessité : elles clament l’urgence d’être ensemble.
« Entrez dans la danse ! »
Guidé par le goût de la rencontre et l’envie permanente d’aller de l’avant, le chorégraphe a donc pris la direction d’un CCN. Sur son territoire et au-delà, Le Phare se veut l’ambassadeur de la danse, dans la richesse des formes et des esthétiques, dans toute sa modernité : « Avec l’équipe et nos partenaires (ils sont nombreux et je les en remercie), nous œuvrons à rendre visible(s) la danse – toutes les danses – en y associant les publics les plus divers. Essentiel, l’art permet de s’émanciper, tant sur le plan individuel que citoyen. »
« In comune », Ambre Senatore © CCN de Nantes ; « Näss » © DR ; « Potomitan », Jade Lada © Cie Skanda ; « Memento », Laura Defretin et Brandon Masele © Cie MazelFreten
Le projet s’articule en trois axes, dont la création et la diffusion de ses pièces de répertoire, l’ancrage et le développement territorial. Il s’agit de structurer le champ chorégraphique local via le partage et le soutien aux équipes artistiques, notamment avec l’accueil de compagnies en résidences et des coproductions. L’action culturelle représente un volet important des activités, avec la mise en place de projets participatifs d’envergure en direction des publics amateurs et dans l’espace public : « Au Havre, on fait surgir la danse partout où c’est possible, y compris dans des lieux non dédiés, car j’aime la danse dans l’espace public. Or, à la plage et ailleurs, la ville se prête bien à ça », précise Fouad Boussouf.
Plein Phare
Son invitation à entrer dans la danse résonne comme un manifeste. Depuis 2022, Plein Phare, rendez-vous festif autour de toutes les danses, en est la déclinaison. En deux semaines, le public normand peut découvrir les pièces de compagnies émergentes ou confirmées. L’année suivante, le IN en novembre s’agrémente du OUT au printemps, en plein air. Outre la danse stricto sensu, sont aussi proposés des performances de cirque contemporain, des bals : « Les manifestations estivales permettent d’aller rencontrer le public là où il est, tant géographiquement qu’humainement, avec une programmation qui fait la synthèse de l’exigence et de l’accessibilité. »
Au Phare, Théâtre Le Rive Gauche, Le Volcan scène nationale du Havre, la 4e édition du festival promet d’illuminer l’automne : outre Oüm, °Up et Näss, une autre responsable de CCN (Nantes), Ambra Senatore, présentera sa dernière création. Mise sous le feu des projecteurs pendant la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024, la Cie MazelFreten continuera d’affirmer son identité, mais avec de nouveaux interprètes. Grande figure du hip-hop et du break, Anne Nguyen mettra à l’honneur les danses africaines urbaines.
L’évènement s’annonce propice en découvertes, avec des spectacles, des ateliers, des rencontres. Parmi les autres artistes soutenus ou accompagnés : l’artiste associée Jade Lada ; Charlotte Rousseau, La presque compagnie ; Margot Dorléans, Cie Du Vivant Sous Les Plis ; Séverine Rième, Cie OkO ; Jeanne Lakits ; Youssef Bel Baraka & Fouad Kouchy, Cie Pyramid.
In et out
Ces temps forts contribuent à fédérer les publics, stimuler les pratiques amateurs, renforcer les collaborations : « En tant que porteur de projet, je me dois de faire rayonner le Phare le plus loin possible et d’attirer notamment les programmateurs pour faire connaître les artistes de la région », précise le directeur.
Parallèlement à d’autres projets, il a également pu recréer ses premières pièces, qui alimentent les tournées. D’ailleurs, Chaillot Théâtre national de la danse luioffre une belle vitrine en décembre, puisque ce théâtre national accueille Yës et °Up.
Voilà autant d’échappées qui nourrissent le projet du Phare. Depuis longtemps, ses projets s’inscrivent hors des salles de spectacle (Musée Dansant) : « Les arts visuels m’inspirent et les institutions sont friandes de ces propositions insolites, une programmation inédite, avec performances, rencontres, créations in situ, comme pour la Carte blanche du musée du Quai Branly Jacques Chirac », explique Fouad Boussouf. Petit Palais à Paris, Le Louvre, musée d’art moderne, MACVAL sont autant d’écrins exceptionnels où, avec ses interprètes, il a pu mettre en perspective des collections par le biais du corps. À ce titre, saluons la collaboration avec le MuMa – Musée d’Art Moderne André Malraux – Le Havre.
De la danse, ce chorégraphe dit volontiers qu’elle est « élan, mouvement ». Une définition qui caractérise son parcours, fait d’une « curiosité toujours en alerte et d’un constant désir d’évasion ». Normal, donc, que la feuille de route de son second mandat comprenne un volet international plus conséquent : « Le Havre est une ville de tradition ouvrière ouverte sur l’horizon, comme tous les ports. Sa vocation est aussi d’accueillir des artistes étrangers, au sein de notre programmation. C’est pourquoi, dans une logique d’échanges, nous développons des projets au Cambodge, au Rwanda et au Royaume-Uni. »
Avant que, dans les prochains jours, °Up parte au Maroc, nous souhaitons alors longue route à Fouad Boussouf.
Léna Martinelli
Plein Phare IN
4e édition, du 18 novembre au 2 décembre 2025
Au Phare, Théâtre Le Rive Gauche, Le Volcan scène nationale du Havre
Le Phare CCN du Havre Normandie • 30, rue des Briquetiers, 76600 Le Havre
Infos pratiques
Programmation
Billetterie : En ligne sur chaque page de spectacle • Tel. 02 35 26 23 00 • Mail
Pass Festival : tarif réduit à partir de 3 spectacles éligibles réservés
Yës, Fouad Boussouf
Avec : Sébastien Vague et Yanice Djae
Dramaturgie et direction d’acteurs : Mona El Yafi
Durée : 30 min
Dès 4 ans
Théâtre de Chaillot • 1, place du Trocadéro et du 11-Novembre • 75116 Paris
Du 11 au 14 décembre 2025
De 8 € à 24 €
Réservations : En ligne • Tel. : 01 53 65 30 00 • Mail
°UP, Fouad Boussouf
Direction artistique, chorégraphie : Fouad Boussouf
Avec : Gabriel Majou et Paul Molina
Musique : Gabriel Majou
Durée : 45 min
Dès 6 ans
Théâtre de Chaillot • 1, place du Trocadéro et du 11-Novembre • 75116 Paris
Du 16 au 20 décembre 2025
De 8 € à 24 €
Réservations : En ligne • Tel. : 01 53 65 30 00 • Mail
Photo de une : © DR Le Phare CCN du Havre Normandie
