Quand la parole est un geste
Par Aurore Krol
Les Trois Coups
L’auteur est italien, s’appelle Fausto Paravidino, et il est âgé de 31 ans. Son écriture ravive le genre du théâtre politique, du « théâtre enquête », comme il le dit lui-même : Carlos Guiliani, jeune manifestant altermondialiste, se fait assassiner d’une balle dans la tête lors du sommet du G8 de 2001. Est‑ce un fait‑divers ou un crime hautement symbolique de l’hypocrisie politique ? Mis en scène par Stanislas Nordey, ce spectacle est une reprise de la pièce créée au Théâtre national de Bretagne pour le festival Mettre en scène 2006.
En entrant dans la salle, on est tout de suite happé par le vide du plateau. Il n’y a là ni décor ni coulisses, mais un personnage au regard étrange, qui nous scrute, en faisant des va-et‑vient le long de la scène. L’action se passe à Gênes, cette fois ville de tragédie moderne, qui « ne peut encore agir comme une métaphore ». Et, comme dans les tragédies antiques, c’est effectivement un chœur qui porte la parole. Il se la passe de main en main pour ne pas la laisser s’éteindre, tandis que le regard et le mouvement de chacun soutiennent tour à tour la personne qui nous offre le texte.
Car Stanislas Nordey a pris le parti de laisser la part belle au texte : on ne voit pas des personnages incarnés, mais bel et bien ce chœur, dont la diction suit son rythme propre. Le son accroche l’oreille, la dérange dans ses habitudes de ponctuation. Les phrases ainsi dites forment une sorte de litanie, la voix devient engourdissante et ferait presque oublier le sens des mots. Presque, car on est vite rattrapé par une énumération de tortures, qui en devient quasi insoutenable.
J’ai par moments pensé ainsi à une parodie de ce ton journalistique employé lors des bulletins d’information, ce ton toujours identique malgré la diversité des évènements à relater. Comme si le sens était interchangeable à l’infini pourvu qu’il reste le son, comme si ce son, justement, pouvait endormir notre capacité d’analyse. En somme, comme si ce son constituait un danger…
La pire des violences était celle qui atteignait le corps
Cette pièce est un engagement. L’engagement des corps mis au service du texte, des corps aux mouvements hachés (tels des tics ou des spasmes), sans la souplesse quelque peu brouillonne de la liberté. Un cinéaste disait récemment que la pire des violences était celle qui atteignait le corps. C’est effectivement ce que l’on ressent avec Gênes 01.
Par manque d’informations fiables, on doit passer par l’épreuve de la reconstitution. Pour ne pas laisser l’oubli recouvrir cet évènement, il faut répéter ce qui s’est passé, lancer des hypothèses et entendre les déclarations qui nous sont restituées. Parfois, le spectateur laisse échapper un ricanement nerveux devant les arguments des forces de l’ordre, ou devant les témoignages d’altermondialistes arrêtés. Devant leurs récits de dents brisées, de coups, d’humiliations, de menaces, de nez cassés, ou encore de sang en flaques sur le sol et en éclaboussures sur les murs.
La hachure est sans doute le maître mot, comme nous l’évoque cette musique lyrique qui intervient parfois entre deux coups de revolver, stoppée nette au moment où la balle entaille la chair. Comme on taille dans le vif.
Certes, on pourrait reprocher à cette mise en scène d’user d’une chorégraphie quelque peu formelle, de manquer de chair, et d’avoir une certaine froideur. Mais les comédiens, constamment sur le fil, nous font vite oublier cette impression. Entre colère et gestuelle mécanique, ce qui nous est donné à entendre résonne profondément en nous. ¶
Aurore Krol
Gênes 01, de Fausto Paravidino
Traduction : Philippe Di Meo
Mise en scène : Stanislas Nordey
Avec : Mohand Azzoug, Émeline Frémont, Monda Daddy Kamono, Raphaël Leguillon, Julie Moreau, Margot Segreto
Lumière : Philippe Berthomé
Collaboration artistique : Claire‑Ingrid Cottenceau
Photo : © Caroline Ablain
Production : Théâtre national de Bretagne | Rennes et Théâtre Ouvert | Paris
Tous les comédiens sont issus de la cinquième promotion de l’École du T.N.B.
T.N.B. • salle Guy‑Ropartz • 14, rue Guy‑Ropartz • 35000 Rennes
Réservations : 02 99 31 12 31 ou www.t-n-b.fr
Du 27 novembre 2007 au samedi 1er décembre
Durée : 1 h 30
Tarifs : 23 € | 17 € | 12 € | 8 €