Ravissants ravisseurs
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
En s’inspirant d’un ancien fait divers, Myriam Boudenia, autrice, et Pauline Laidet, metteuse en scène, créent « Héloïse ou la Rage du réel », un thriller haletant. Elles explorent les ressorts de l’action radicale et brossent une passionnante galerie de caractères.
Héloïse, une vingtaine d’années, est brutalement enlevée à son domicile par des individus portant des masques de loups. Son père étant le patron d’une multinationale, l’hypothèse du rapt crapuleux fait vite la une des journaux. La pièce se concentre, hormis quelques incursions dans le salon des parents d’Héloïse, sur un huis clos, dans la cachette où les ravisseurs ont trouvé refuge.
L’intransigeance de ce groupe, appelé la « Steppe », sa cohésion et son indifférence face à l’otage, se fissurent peu à peu au profit de comportements individuels. Héloïse ressent ces changements. Elle évolue aussi, passant de la terreur absolue à un semblant de confiance pour tel ou tel, jusqu’à être séduite par leur enthousiasme, leur jeunesse, leur engagement même, et une forme de proximité.
Adrénaline
Une cinquantaine d’années après, Myriam Boudenia et Pauline Laidet rejouent le véritable kidnapping de Patricia Hearst, enlevée par un des terroristes américains, avant de rejoindre leur cause. Parce qu’elle dépasse la simple reconstitution historique, la pièce captive de bout en bout. Car si les ravisseurs de Patricia Hearst étaient des activistes d’extrême gauche, qui sont ces « terroristes » qui ne réclament rien ? Des utopistes plutôt anar, qui trouvent dans leur action une raison pour se sentir vivre, un sens.
On redoute et on attend la fin de ce thriller rythmé. De très belles scènes mettent en évidence la folie du projet, l’urgence de l’action, les relations fusionnelles et tendues entre les protagonistes, jusqu’à l’adrénaline de la cavale. Par contraste, les périodes de confinement, vécues par les personnages comme de véritables temps morts où tout peut arriver, donnent matière à l’observation plus fine des caractères.
La scénographie habile de Quentin Lugnier, avec ses grands panneaux mobiles, permet de passer d’une tanière emmurée à un univers disloqué, favorable aux courses-poursuites. La musique, jouée sur scène par Jeanne Barraud, accompagne et ponctue avec finesse les étapes de cette épopée, si bien que les scènes prennent parfois l’allure de véritables chorégraphies.
Il faut s’attarder sur la maturité de cette jeune troupe. Elle fait preuve d’une cohésion chorale, où chacun fait émerger sa sensibilité propre et témoigne de son évolution face à une situation de plus en plus dangereuse. Parmi eux, citons tout particulièrement la jeune Margaux Desailly au jeu subtil dans le rôle d’Héloïse, victime terrorisée puis consentante, avant de devenir héroïne, et Antoine Descanvelle qui use à merveille de sa longiligne carcasse pour camper DDE, un garçon étrange, presque simple, et grand lecteur. ¶
Trina Mounier
Héloïse ou la Rage du réel, de Myriam Boudenia
Mise en scène : Pauline Laidet
Avec : Anthony Breurec, Logan de Carvalho, Margaux Desailly, Antoine Descanvelle, Étienne Diallo, Jeanne Garraud, Tiphaine Rabaud-Fournier, Hélène Rocheteau
Composition musicale : Jeanne Garraud et Baptiste Tanné
Photo © Vincent Arbelet
Théâtre de la Croix-Rousse • Place Joannès Ambre • 69004 Lyon
Du 13 au 16 novembre à 20 heures, le 16 à 19h30
En tournée au Théâtre de Vanves le 18 janvier 2020