Itinéraire d’un spectateur banni
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups
En montant le célèbre « Hernani » de Victor Hugo, Gwenaël Morin entend rappeler comment l’art transforme le monde. Et s’il ne faisait que bouleverser les conventions théâtrales ?
Acte 1
Fin novembre, par un matin glacial, deux comédiens distribuent gracieusement le fac-similé du texte de Hernani sur un marché désert. J’en prends un et m’étonne de ce tractage inédit qui me rappelle ceux du Off d’Avignon, mais sans le soleil. Connaissant le travail de Gwenaël Morin et son désir permanent de chahuter les codes du théâtre, et pas seulement sur le plateau, je me réjouis d’être ainsi convoqué à rencontrer une œuvre phare de Victor Hugo que je n’ai jamais vu représenter.
Acte 2
Je prends le temps de relire la pièce et je redécouvre avec bonheur, qu’en dépit de tous les commentaires savants qui ont contribué à réduire le texte à un manifeste stylistique et à une célèbre bataille littéraire, Hernani contient des merveilles dramatiques. J’apprécie aussi, par exemple, la puissante réflexion sur la tolérance et la volonté prophétique de s’affranchir du vieux monde politique. Confiant dans la capacité de Gwenaël Morin à régénérer les chefs-d’œuvre du passé, et, me souvenant du bonheur pris à ses mises en scène de Tartuffe ou d’Othello, je me rends au théâtre où les places sont gratuites et les réservations proscrites.
Acte 3
Il est presque vingt heures. Dans le hall du Point-du-Jour, bourdonnant des conversations d’une centaine de spectateurs plutôt jeunes, surgit le metteur en scène, énergique et souriant, pour annoncer qu’il n’y a plus de fauteuils dans la salle, qu’il reste quelques coussins pour s’appuyer plus confortablement sur les gradins mis à nu, que le spectacle dure un peu plus de deux heures et quart. Murmures contrastés du public.
Acte 4
Je m’assieds, puis m’allonge, et finalement me rassieds au premier rang, le texte sur les genoux. Plateau et espace du public sont baignés d’une même lumière et, quand le spectacle commence, rien pour accrocher, concentrer le regard et l’écoute, si ce n’est les mouvements permanents de spectateurs qui luttent contre l’inconfort, l’éclat d’un téléphone portable ou le froissement des pages du texte que certains consultent fréquemment.
Acte 5
Dans le temps de la représentation qui progresse malgré tout, et avec l’aide de comédiens particulièrement courageux, je réussis parfois à m’accrocher à quelques situations : la tragique histoire d’amour de Doña Sol et Hernani, les mises en cause de la figure du père et de la parole donnée, ou encore la révolte de la jeunesse contre l’ordre ancien. Mais, à côté de moi, une spectatrice terrassée par les conditions physiques de la réception de la pièce, reste prostrée, les yeux fixés au sol. Un peu plus loin, un homme a choisi de mettre ses lunettes et se contente de lire le texte, tandis que trois jeunes filles se relaient en chuchotant pour suivre ce qu’il se passe sur scène. Ma concentration s’effondre.
Épilogue
Dans un tract distribué au théâtre, Gwenaël Morin affirme qu’en montant Hernani, il veut signifier combien l’art change le monde. Force est de constater, cette fois-ci, qu’il se piège lui-même en se contentant de ne changer, qu’avec excès, les conventions théâtrales. ¶
Michel Dieuaide
Hernani, de Victor Hugo
Mise en scène : Gwenaël Morin
Assistant à la mise en scène : Michael Comte
Avec : Gaël Baron, Florence Girardon, Barbara Jung, Ulysse Pujo, Cecilia Gallea, Antoine Mazauric, Amine Karakidia, Michael Comte, Jules Guittier
Théâtre du Point-du-Jour • 7, rue des Aqueducs • 69005 Lyon
Tél : 04 72 38 72 50
Durée : 2 h 15
Photo © Pierre Grosbois
Spectacle gratuit, sans réservation
Représentation à 20 heures sauf dimanche et lundi jusqu’au 23 décembre 2017
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