« Huis clos », l’enfer ne se démode jamais
Par Diane Launay
Les Trois Coups
Michel Raskine revient, quinze ans après sa première mise en scène de « Huis clos », sur le chef-d’œuvre de Sartre. Il en donne une lecture originale, déconcertante, qui nous fait voir ce classique sous un nouvel angle.
Huis clos est une œuvre de philosophe : donc riche de significations et d’interprétations potentielles – évidemment, on n’en attend pas moins. Sa caractéristique principale, c’est un certain pessimisme, puisque « l’enfer, c’est les autres », et que l’individu se retrouve pris au piège, entre son désir de l’autre et la souffrance que celui-ci lui inflige. L’autre, l’alter ego, incarne alors la figure même de la frustration, de ce qui n’est pas moi, de cette différence qui s’affiche comme une condamnation de mon existence.
Personnellement, j’avais donc toujours envisagé Huis clos comme une manifestation de la haine, de l’exaspération et du désespoir, bref comme une œuvre inclinant vers le nihilisme. C’était oublier que la finesse et la subtilité de la pensée de Sartre déjoue toute forme de catégorisation ou de restriction. C’était oublier également qu’un penseur, engagé politiquement comme il l’était, ne pouvait s’accommoder de l’abandon total de tout espoir quant à la nature humaine : il reste bien une lumière, celle de « l’énergie apportée au combat », explique Michel Raskine.
Merci donc à ce dernier d’éclairer certains angles méconnus – tout au moins en ce qui me concerne – de Huis clos. Le metteur en scène fait une lecture surprenante de la pièce en lui insufflant une chaleur humaine littéralement infernale : les personnages transpirent, collent, sont moites, touchants et repoussants de toute leur humanité. Pas de héros ici, pas de faux-semblants, ils apparaissent immédiatement dans toute leur vulnérabilité, dans toute leur vulgarité d’êtres vivants soumis au corps, à la chair, au désir.
Cette incarnation charnelle de Huis clos apparaît alors comme fondamentale pour la clarté de la pièce, puisque le désir est le moteur de l’être, est à l’origine de l’éternel et douloureux va-et-vient entre haine et amour, et de la dualité affective que vivent les personnages. Michel Raskine choisit donc de nous les montrer sans masque et sans dignité, pour les rendre plus proches et plus simples, plus séduisants et plus écœurants à la fois.
De cette proximité, surgit alors, de façon inattendue, une pièce franchement comique, faite de décalages permanents entre la gravité romantique de Garcin, la coquetterie futile d’Estelle, et les répliques cassantes et très terre à terre d’Inès. Le jeu vire parfois presque au vaudeville, avec baffes et courses-poursuites, et l’on regrette parfois la lourde tension de l’excellent film de Jacqueline Audry, réalisé en 1954, avec Arletty, Franck Villard et Gaby Sylvia. Cependant, Michel Raskine a tout au moins le mérite de remettre le corps et le désir au centre de la problématique sartrienne du rapport à l’autre. Et, après tout, le vaudeville, avec ses conventions et ses maris cocus, n’offre-t-il pas également une certaine image de l’enfer ? ¶
Diane Launay
Huis clos, de Jean-Paul Sartre
Mise en scène : Michel Raskine
Avec : Christian Drillaud, Marief Guittier, Cécile Bournay, Guillaume Bailliart
Décor : Antoine Dervaux
Costumes : Odile Voyer
Lumières : Joël Pitte
Son : Didier Torz
Collaborations pour la reprise 2007 :
Costumes : Josy Lopez, assistant : Olivier Rey
Photo : © Michel Cavalca
Production : Théâtre de la Ville, Paris – Théâtre du Point-du-Jour, Lyon
Durée : 1 h 45
Théâtre Sorano • 35, allées Jules-Guesde • 31000 Toulouse
http://www.sorano-julesjulien.toulouse.fr/
Réservations : 05 34 31 67 16
Du 29 janvier au 9 février 2008, les mardi, mercredi et jeudi à 20 heures, vendredi et samedi à 21 heures, dimanche à 16 heures
19 € | 15 € | 12 €