Expérimental éphémère
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
La jeune metteuse en scène Myriam Boudenia aime les surprises, celles qu’elle fait au public, à ses comédiens et même celles qu’elle se réserve à elle-même. Cette fois‑ci, elle va plus loin encore…
On ne sait pas grand-chose en entrant dans la salle, et tout le monde est logé à la même enseigne : créateur lumière et comédiens ignorent tout de ce qu’ils vont avoir à jouer. Pour eux, c’est une première au sens propre. La metteuse en scène-grande sorcière leur distribue non un rôle mais des répliques et des didascalies. Sur le plateau noir, quelques croix blanches au sol indiquent aux acteurs les déplacements. À jardin, des accessoires entassés : fauteuil roulant, miroir recouvert d’un drap, balai et autres menus objets indéfinissables.
Puis Myriam Boudenia explique les règles du jeu : cette pièce est éphémère, elle n’a jamais été représentée et ne le sera jamais plus. Mais ce soir, elle le sera deux fois de suite. La première dans la plus totale ignorance des protagonistes, la seconde, une fois que la vérité se sera frayé un chemin dans la conscience des uns et des autres. Les gestes et les mots, après tout, ont un sens, mais on le découvre souvent a posteriori.
Passons rapidement sur la première version : les comédiens hésitent, ne savent manifestement pas quelle signification revêt telle ou telle phrase, ne comprennent pas grand-chose à leur personnage. Si Arthur Fourcade, à qui revient d’être Étienne, s’en tire avec une certaine jubilation (il avoue aimer ne pas maîtriser, affirme que cette situation l’enchante), s’il est clair que Vincent Portal a reçu en partage un rôle plutôt incongru et énigmatique, Anne de Boissy, excellente actrice d’ordinaire, apparaît perdue : on ne l’entend pas, sa voix est abaissée à un petit filet, elle fait ce qui lui est indiqué avec une visible inquiétude.
Pour Myriam Boudenia, le but est de montrer le théâtre en train de se faire, sa grande fragilité…
Si l’objectif était aussi de prouver que le théâtre ne peut se réduire à des mots, que ceux‑ci ne sont rien sans une interprétation qui signifie direction, interaction, évolution…, l’expérience est réussie. On n’y comprend goutte (sauf qu’il s’agit d’une jeune femme dont les membres ont été brisés dans un accident, du cheval responsable et d’un mystérieux Étienne par qui tout arrive). On trouve donc cette séquence longuette, on s’ennuie quelque peu. Effectivement, le rythme n’épouse que les indécisions des acteurs. On serait presque tenté de quitter la salle.
On aurait tort.
Entre impro et représentation
Car la seconde représentation jette une lumière crue sur l’importance du travail des acteurs, sur ce qu’ils apportent à partir du moment où ils connaissent a minima les tenants et aboutissants de l’intrigue, dès lors qu’ils savent où ils vont. Les mots et les gestes sont les mêmes, mais tout a changé, semble désormais « habité » par une direction, un sens (« en chemise » ?). Nadia, qu’interprète magistralement et avec la belle présence qu’on lui connaît Anne de Boissy, devient cette jeune femme pleine de colère contre le sort, persuadée que ce cheval qui était son cheval l’a blessée volontairement. Étienne va l’accompagner vers des gestes nécessaires à la sortie du repli, à l’exorcisme du passé, au retour vers la douceur. Autrement dit, il existe un véritable scénario avec évolution du personnage et avancée dramatique. La métamorphose d’Anne de Boissy est stupéfiante. Elle a retrouvé sa voix, sa présence, elle redevient cette actrice dont l’intensité bouleverse le spectateur.
Il est clair que l’expérience est concluante. Était‑elle indispensable ? (Qui croit encore qu’il suffit de dire des mots pour qu’ils prennent sens ?) On peut facilement imaginer qu’elle soit probante avec des élèves ou des apprentis comédiens, voire avec des acteurs confirmés qui ne peuvent qu’être surpris de l’écart entre deux versions séparées d’un petit quart d’heure d’entracte.
Il n’en reste pas moins que le résultat final, il est vrai porté par d’authentiques et bons professionnels, suscite une certaine admiration. ¶
Trina Mounier
Il ne faut pas dire la vérité nue mais en chemise, de Myriam Boudenia
Conception, écriture et mise en scène : Myriam Boudenia
Avec : Anne de Boissy, Arthur Fourcade, Vincent Portal
Scénographie et accessoires : Quentin Lugnier
Assistante à la mise en scène : Leïla Mahi
Lumières : Stéphan Maynet (Théâtre Astrée) et Pierre Massot (M.J.C. Villeurbanne)
Production : La Volière en partenariat avec le Théâtre Astée-université Lyon‑I, la Mission culture Lyon 1 et la Balise 46-M.J.C. Villeurbanne
Durée : 1 h 40
De 12 € à 6 €
Volet 1 : Théâtre de l’Astrée, campus LyonTech • 6, avenue Gaston‑Berger • 69100 Villeurbanne
04 72 44 79 45
www.theatre-astree.univ-lyon1.fr
Volet 2 : le 25 mars 2017 à 20 heures à La Balise 46-M.J.C. Villeurbanne
Spectacle disponible dans le dispositif Balises (une place achetée = une place offerte)
04 78 84 84 83