« Il Tango delle capinere », Emma Dante, Théâtre national populaire, Villeurbanne

Tango delle Capinere - Emma Dante ©-rosellina-garbo

Une merveille

Trina Mounier
Les Trois Coups

Simple, presque nu, « il Tango delle capinere » détonne. Originalité du propos et des formes, variété des thèmes et des formes qui vont du conte sicilien à la fable philosophique, une sobriété qui confine à l’épure, excellence des comédiens… Chaque spectacle d’Emma Dante est un éblouissement. Celui-ci est la quintessence de son art.

Traduit en français, le Tango de la fauvette s’inspire d’une chanson populaire (grand succès de Gigliola Cinquetti) qui, comme la plupart des chansonnettes, raconte des choses de la vie sans importance, des romances. Sans surprise, il s’agit d’amour enfiévré qui cherche l’obscurité pour s’exprimer et qui rime avec légèreté. Le titre trouve donc ici ses racines populaires. Il servira de ritournelle à un spectacle conçu, il est vrai, comme une ronde. Plutôt une spirale, d’ailleurs, qui prend le temps à rebours.

Les deux personnages, deux très vieilles personnes arrivées à la fin de leur vie, fouillent dans la malle aux souvenirs et voient se déployer toute leur vie. L’image de ce couple renvoie évidemment aux parents de Fin de partie, sauf qu’ici, la déchéance des corps s’exprime avec moins de cruauté ironique.

L’interprétation de Manuela Lo Sicco est éblouissante : il faut saluer la performance qu’elle accomplit en marchant pendant de longues minutes les jambes pliées en deux, à côté de Sabino Civilleri grand et maigre. Ce pourrait être clownesque, ça ne l’est pas. Juste tragique. Aptes à tout faire, les comédiens sont excellents. Emma Dante les considère comme l’âme de son théâtre, largement construit à partir d’improvisations.

À rebours du temps qui passe

Les évènements s’enchaînent au rythme des souvenirs, selon les associations d’idées chères à la psychanalyse, mais dans une chronologie qui remonte le cours du temps. Un peu à la manière de la Ronde de Schnitzler où les partenaires ne changeraient pas d’identité mais d’âge. Ainsi sont évoqués les crises traversées et leur portée sociologique, comme l’intrusion de la télévision dans le couple et les disputes sur le programme, les moments heureux avec la folle rencontre, la demande en mariage, la naissance d’un enfant adoré qu’on souhaiterait… croquer (au propre comme au figuré), etc.

Rien ne pèse, tout cela ne dure qu’un instant, comme dans la vie. De même que leur existence se pare de musiques différentes, les corps de ces deux-là vont se transformer, se redresser et les visages vont abandonner les masques ridés du début. À la fin du spectacle, la mort de l’un redonne un cadre tragique : il va falloir le ranger dans la malle avec les objets du souvenir. Moments intenses d’émotion où un seul acteur parvient à faire sentir le manque, l’absence. C’est subtil et magnifique.

Trina Mounier


Site de la compagnie
Texte et mise en scène : Emma Dante
Traduction du texte en français : Juliane Regler
Avec : Sabino Civilleri et Manuela Lo Sicco
Lumière : Christian Zucaro
Surtitres : Cécile Marocco traduction des surtitres : Franco Vena
Durée : 1 heure

Théâtre National Populaire • 8, place Lazare-Goujon • 69100 Villeurbanne
Du 15 au 24 mai 2025
Réservations : billetterie en ligne ou 04 72 77 40 00
De 5 € à 40 €

Tournée ici :
• Les 18 et 19 décembre, Comédie de Colmar, CDN Alsace Grand Est (68)

À découvrir sur Les Trois Coups :
Misericordia, Emma Dante, par Léna Martinelli
Bestie di scena, Emma Dante, par Léna Martinelli
Re-Chichinella, Emma Dante, par Trina Mounier

Photos : © Roselina Garbo

 

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