L’École Jacques Lecoq bien installée à Avignon
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Cette école professionnelle fondée en 1956 par Jacques Lecoq est installée à Avignon intra-muros depuis la rentrée 2023. Situés rue de la Carreterie, ses nouveaux locaux seront officiellement inaugurés le 12 juillet, durant le festival, en même temps que plusieurs événements. L’occasion de faire connaître les activités de ce lieu international de transmission et de faire rayonner son réseau d’anciens.
De réputation mondiale, l’École Jacques Lecoq a pour objectif de former des artistes, porteur de langages où le jeu physique du comédien est central. La liste des personnalités ayant suivi cet enseignement est longue. Citons Ariane Mnouchkine, Simon McBurney, Jos Houben, Olivier Letellier, Julie Deliquet, Sylvain Creuzevault…
Parmi ceux actuellement programmés à Avignon : l’équipe de Frantz à La Scala ; celle de Scotland, au Théâtre du Rempart ; celle de Rêveries, à Présence Pasteur ; Tal Reuveny De Louve Reiniche-Larroche, pour Sans faire de bruit au Ttb ; Pénélope Hervouet et Charlotte O’Reilly pour ou reste encore un peu à la Scierie…
Aussi à l’affiche de La Scala, Myriam Menant (promotion 1988) témoigne : « Qu’aurait été ma vie si je n’avais pas fait l’École ? Comédienne, je voulais le devenir depuis l’âge de 13 ans. Mais sans l’École, quel théâtre cela aurait-il été ? Aurais-je la parole d’artiste que j’ai aujourd’hui ? Je ne le pense pas. Emma la Clown est née finalement dès la première année, avec le personnage. Et elle me poursuit, me devance, m’élance et me rabiboche avec les humains, depuis 30 années. Un cadeau de la vie, un cadeau de l’École. Les deux imbriqués. »
De Paris à Avignon
Nommée à sa direction en 2023, Anne Astolfe (promo 2002, enseignante depuis 2011) a dû trouver un nouveau lieu, après Paris, l’ancienne salle de boxe Le Central occupée depuis plus de 60 ans et vendue par les héritiers de Jacques Lecoq (1921-1999). Avec l’aide de Frédéric Biessy, directeur de La Scala Provence, et de Cécile Helle, la maire d’Avignon, l’École, portée juridiquement par l’association Tout bouge, mouvement et création, a finalement élu domicile dans l’ancienne Caserne des pompiers, fermée depuis des années.
Ravie de contribuer à la dynamique culturelle, sociale et économique du territoire, la municipalité met à disposition gracieusement le bâtiment, rénové par ses soins. Une première tranche de travaux s’est déroulée en 2023, avant celle de cet été, pour un montant global de 450 000 €.
La surface de 800 m2 abrite deux belles salles de travail, des bureaux, un atelier de scénographie et des espaces de stockage. Cela a donc permis aux 33 1ère année de poursuivre l’enseignement et aux 43 nouveaux d’inaugurer aussi les lieux. Il faut ajouter les 22 participants inscrits au cours d’initiation (voir les conditions).
Le coût est de 8 350 € à l’année. L’obtention d’agréments (dont la certification Qualiopi) permet le financement de la formation de certains. « Nous avons également entamé une démarche d’obtention d’agrément auprès du répertoire national des certifications professionnelles. Très important, notamment afin de développer la dimension européenne », précise Anne Astolfe.
Une pédagogie unique au monde
L’enseignement se déroule en deux ans. Les cours sont dispensés en français, par un collège de professeurs, tous d’anciens élèves de l’École et de générations différentes, dirigés par Paola Rizza, metteuse en scène à la compagnie de marionnettes Plexus Polaire. « Nous sommes les héritiers pédagogiques, attachés à la transmission des techniques et de la démarche de Jacques Lecoq », explique Anne Astolfe. « Nous faisons rayonner notre langage commun, même si ce n’est pas une école qui formate. Force est de constater que tous ceux passés par là savent transmettre des émotions, par-delà les différences culturelles et la diversité des esthétiques. Le travail du corps dans l’espace crée un langage universel ».
« J’avais entendu parler de cette pédagogie, mais j’ai rejoint l’école parce que j’avais vu des travaux réalisés par d’anciens élèves. J’ai été bien inspirée », raconte Charlie, actuellement en formation . « D’ailleurs, faire (plutôt que parler) est la meilleure préparation pour un artiste. L’un des plus grands atouts de l’École est de permettre aux étudiants de réaliser une œuvre chaque semaine. Donc, de stimuler la création ».
Cette école internationale accueille en effet plus de 30 nationalités par an. Ce cosmopolitisme donne d’ailleurs à cette pédagogie, déjà singulière dans son rapport au corps, à l’espace et à la création, une dimension unique au monde, comme en témoignent les événements organisés dans le cadre de cette 1ère édition.
Du 8 au 11 juillet, les intervenants partagent quelques fondamentaux : le mouvement, les masques, le jeu des identifications, le rire. À la croisée d’un cours, d’une conférence, d’un travail au plateau et de discussions, ces rencontres de deux heures entre l’équipe, des élèves et les personnes participantes s’adressent aux comédiens, enseignants, chercheurs, étudiants.
Outre ces master-classes des stages professionnels sont proposés, comme celui du 15 au 19 juillet : « De l’équilibre au déséquilibre (recherche sur l’escalade burlesque) ». Ce travail interroge les mécanismes du rire en mêlant improvisation, analyse de mouvement, acrobatie. De plus, dans le cadre du parcours international proposé par le Festival Off, l’École accueille des étudiants étrangers désireux de se familiariser avec les enseignements.
Immersion
« Si le pari n’était pas gagné, au départ, s’implanter à Avignon a, en fait, beaucoup de sens, aujourd’hui », considère Anne Astolfe. Au sein de ce carrefour incontournable du spectacle vivant, se côtoient des milliers de créateurs, mais également les décideurs et les publics. L’École inscrit son action dans un tissu de partenariats très riche. Au cœur de cet écosystème, les élèves se voient offrir de nombreuses opportunités tout au long de leur scolarité, avec la possibilité de faire des résidences au sein de lieux permanents, voire de présenter leurs premiers spectacles.
Une fois par mois, des scènes ouvertes sont d’ailleurs organisées. Concernant les actions sur le territoire, relevons, à partir des vacances de printemps 2025, l’ouverture accrue vers les habitants, avec des stages destinés aux 16-18 ans. « Nous aimerions aussi développer des interventions dans des lycées de la ville », ajoute Anne Astolfe.
Parmi les autres projets : l’École devrait s’inscrire dans le Festival d’Avignon l’an prochain : « Ce choix renforcerait le lien car, depuis la rencontre entre Jacques Lecoq et Jean Vilar en 1958, le Festival a accueilli de nombreux artistes issus de l’École (William Kentridge, Christoph Marthaler, Ariane Mnouchkine, Rolf Abderhalden, Simon McBurney ou encore Julie Deliquet, qui a ouvert l’édition 2023 avec sa création Welfare dans la Cour d’honneur du Palais des Papes).
Ouverture et insertion professionnelle
En parallèle du cours professionnel, l’école propose des cours d’initiation, dont certains aux Tréteaux de France CDN d’Aubervilliers. Des stages ont également lieu à l’étranger (Nord Universitet de Bodø en Norvège et le King’s College de Wimbledon en Angleterre).
Que deviennent les élèves, une fois sortis ? La pédagogie mise en œuvre à l’école connaît des prolongements diversifiés : écriture, jeu, mise en scène, scénographie… Certains élèves forment des compagnies à l’issue des rencontres faites à l’école, poursuivant ainsi le travail collectif ébauché pendant leurs études. Sur le site, une carte évolutive permet d’en découvrir certains, de les suivre, de les retrouver. Des rencontres avec les anciens sont justement organisées. Le 13 juillet, Gianluca Matarrese présentera en avant-première son film L’expérience Zola et échangera sur son parcours. Parce que l’école mène aussi au cinéma !
« Afin d’affermir l’accompagnement des jeunes diplômés en vue de leur insertion professionnelle, nous souhaitons sensibiliser nos élèves à l’administration ou au montage de productions et les soutenir dans leur structuration », précise Anne Astolfe. « Tout doit être fait pour que nos poulains trouvent leur place. » 🔴
Léna Martinelli
Inauguration
École internationale de théâtre Jacques Lecoq • 116, rue de la Carreterie • 84000 Avignon • Tél. : 04 88 61 93 13 • Mail • Site
L’École ouvrira exceptionnellement ses portes au public de 10 heures à 12 heures (entrée libre sur inscription) :
• Le 8 juillet : « Le mouvement dans la pédagogie de Jacques Lecoq », par Anne Astolfe
• Le 9 juillet : « Les masques dans la pédagogie de Jacques Lecoq »
• Le 10 juillet : « Le jeu des identifications dans la pédagogie de Jacques Lecoq »
• le 11 juillet : « Le rire dans la pédagogie de Jacques Lecoq », par Nos Houben
• Le 12 juillet : Inauguration (sur invitation)
• Le 13 juillet, à 18 heures, Gianluca Matarrese présentera en avant-première son film L’expérience Zola, avec Anne Barbot et Benoît Dallongeville
Tous les détails ici
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ « Jacques Lecoq, Un point fixe en mouvement », de Patrick Lecoq, paru chez Actes Sud, par Léna Martinelli
Photos :
• Portrait © Thomas O’Brien
• Mosaïque : Emma la Clown © Pascal Gély ; « Sans faire de bruit », de Tal Reuveny De Louve Reiniche-Larroche ; « Frantz », Cie Bpm © Thomas O’Brien
• Les autres photos, dont celle de une © Alexandra de Laminne
Une réponse
Je ne serai pas là en présence mais oui dans le coeur
Je vous souhaite une belle inauguration