Radiographie d’une mémoire qui flanche
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Les spectacles de Michel Laubu sont de merveilleux stimulants pour l’imagination. Mieux encore, leur inaltérable tendresse nous rend heureux. Son dernier opus, signé avec Émili Hufnagel, est sans doute l’un des plus aboutis.
Il est incertain, Monsieur Tokbar, et flou aussi. Quand il sort de la maison de retraite, il s’aperçoit qu’il a oublié les clés de sa motobylette, une sorte d’engin passé de mode et d’ailleurs passablement décati. Comme la mémoire de son propriétaire. Car Monsieur Tokbar a la mémoire qui flanche mais il comble ce déficit par une imagination débordante et un optimisme à toute épreuve. Surtout pas les limites de la vraisemblance ! Aux portes de la mort, tout en lui manifeste un désir et un amour de la vie irrépressibles, comme l’atteste le large sourire qui barre son masque lunaire.
Les marionnettes de Michel Laubu se limitent à des masques et quelques oripeaux qui recouvrent des corps très humains. Si son environnement se compose d’un bric-à-brac insolite et exubérant (nous croiserons un drakkar, une navette spatiale, une tondeuse à gazon tirée par d’adorables hippocampes en tutu de soie), lui-même est toujours égal d’humeur. Sa joie de vivre représente un véritable pied de nez à la grande faucheuse qui l’attend.
Il est à la fois un, avec de vrais souvenirs, tout fantasques qu’ils soient, et multiple puisque des doubles, des clones, surgissent tout autour de lui. Au milieu d’eux, Michel Laubu semble heureux comme un pape et apparaît comme l’homme-orchestre du spectacle. Il est Monsieur Tokbar, mais aussi le narrateur et celui qui donne les codes, comme par exemple le glossaire de ce pays qui n’existe pas, coincé entre maladie d’Alzheimer et mort prochaine. Une Turakie où rien n’est impossible.
Aux délires de l’imagination
Les manipulateurs invisibles, qui peuplent efficacement le plateau de créatures et de créations, sont aussi de merveilleux musiciens capables de nous faire croiser Stravinsky ou Bartók. Comme dans une fantaisie surréaliste, l’esprit vagabonde d’une image à l’autre, d’un bout de chanson à un héros de cinéma, au gré des souvenirs volatiles de Monsieur Tokbar. Et de l’inaltérable curiosité de Michel Laubu, de son regard naïf et constamment émerveillé sur le monde !
Avec lui, les frigidaires entassés ressemblent moins à des tiroirs de morgue qu’à un calendrier loufoque de l’Avent, les béquilles n’ont jamais empêché personne de faire des pointes et les assemblages les plus improbables composent une poésie subtile. Vraiment, si la Turakie n’existait pas, il faudrait l’inventer ! ¶
Trina Mounier
Incertain Monsieur Tokbar, de Michel Laubu, Hemili Hufnagel / Turak Théâtre
Avec : Charly Frénéa, Simon Giroud, Émili Hufnagel, Michel Laubu, Patrick Murys, Fred Soria
Durée : 1 h 15
À partir de 8 ans
Photo : © Romain Étienne
Célestins, Théâtre de Lyon • 4, rue Charles-Dullin • 69002 Lyon
Du 27 novembre au 1er décembre 2018 à 20 heures
Réservations : 04 72 77 40 00
De 9 € à 38 €
Tournée
- Les 14 et 15 décembre 2018 au Théâtre Molière, à Sète
- Le 16 janvier 2019 au Théâtre de Roanne
- Du 12 au 14 février à Bonlieu, à Annecy
- Le 28 février et le 1er mars au Bateau Feu, à Dunkerque
- Du 12 au 16 mars au Théâtre du Nord, à Lille
- Les 9 et 10 avril au Théâtre de Bourg-en-Bresse
- Les 19 et 20 avril à l’Archipel, à Perpignan
- Le 18 mai au Théâtre des Bergeries, à Noisy-le-Sec (Biennale internationale des Arts de la Marionnette)
- Du 21 au 23 mai à la Comédie de Saint-Étienne
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