L’insoupçonnable légèreté… de l’acier
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Porté par un excellent duo d’acrobates, « Inertie » est renversant de beauté. Sur leur agrès mobile géant (une magnifique sculpture d’Ulysse Lacoste), Chloé Moura et Mathieu Hibon sont littéralement touchés par la grâce. C’est sublime.
Plus qu’un agrès, cet impressionnant objet sur lequel évoluent les funambules est une « sculpture à habiter ». « La symétrie centrée et la répartition des masses en périphérie confèrent à l’ensemble un maximum d’inertie et une mise en mouvement hypnotique », explique son concepteur. « À la recherche du rapport au corps et de nouvelles perceptions, j’ai décidé d’agrandir la sculpture à échelle monumentale, d’en faire un habitacle pour l’homme et de la confronter à l’environnement ».
Le vide et le plein
C’est donc simultanément que ces artistes ont imaginé une géométrie dans l’espace et son mouvement. Une fois au contact de la sculpture, Chloé Moura et Mathieu Hibon génèrent une chorégraphie inattendue, de fascinantes circonvolutions. Vers quels mondes nous embarquent-ils donc ? D’un œil scientifique, ludique ou recueilli, chacun est libre d’interpréter ce spectacle, surtout que les nombreuses respirations sollicitent l’imaginaire.
Nous nous sommes laissés porter par une douce rêverie. Pourtant cet agrès instable bouscule les repères. On ne sait pas trop comment il est activé, sinon par la grâce. D’ailleurs, l’entrée en matière évoque un objet non identifié, sorte de toupie échouée d’une autre galaxie. On peut aussi y voir le signe mathématique de l’infini. Le double chemin étroit, concave et convexe dessine moult possibilités de formes et d’instants.
Trois corps au milieu d’un autre espace-temps
Plus accoutumés au câble avec balancier, les circassiens ont dû inventer un nouveau vocabulaire, une technique spécifique. Hors piste, car dans l’espace public, mais toujours dans une trajectoire circulaire. Ajustant sans cesse leurs gestes, ils font preuve d’une habilité à toute épreuve. On comprend mieux cette apparente sérénité quand on apprend que Chloé Moura, « déséquilibriste / marcheuse au plafond » selon ses termes, pratique l’apnée et la contemplation.
Comblant le vide de leur présence, le couple évolue en miroir, cherche l’équilibre de la forme et la suspension, ou au contraire provoque le déséquilibre et la rotation. Dans une économie de gestes, mais un réel engagement physique, Chloé Moura et Mathieu Hibon restituent la grande précision de la mécanique, tout en rendant sensible la puissance du métal. Malgré le poids (plus de 180 kg), ils donnent à la structure une sensation de légèreté. Les contrastes sont saisissants.
Geste à la fois plastique et circassien
Cette installation – performance convoque habilement les enjeux de l’art contemporain dans espace public, en faisant dialoguer forme et matière avec le paysage. Avec son déplacement visible et son inertie, la sculpture nous amène naturellement à reconsidérer le lieu qu’elle habite. Au contact du sol, le son généré donne à l’espace de jeu une nouvelle dimension. Quant à la musique, elle est aussi en parfaite harmonie.
Grâce à une vision à 360 degrés, le public éprouve des sensations de vertige, d’autant plus que le cercle célèbre la magie et multiplie les points de vue. Dans une grande proximité, le public est fasciné par ces dompteurs de métal à la force tranquille. Zen. Par la multitude des contacts avec leurs corps, ils décuplent la force brute de l’objet, conférant à celui-ci une certaine aura. Cette exceptionnelle osmose traduit un profond respect du vivant, y compris pour ce qui dépasse l’humain. 🔴
Léna Martinelli
Inertie, d’Underclouds cie
Site de la cie
Avec : Chloé Moura, Mathieu Hibon
Sculpture : Ulysse Lacoste
Regard extérieur : Vassil Tasevski
Composition musicale : Valentin Mussou
Univers sonore et spatialisation du son : Sylvain Nouguier
Costume : Delphine Delavallade
Captation sur Arte
Dans le cadre du Festival Parade(s)
33e édition, du 2 au 4 juin 2023
Site de la ville de Nanterre
Le programme en ligne
Tournée :
• Le 9 juin, Festival Le Pont des Arts – Théâtre la Sarbacane, à Pontarlier (25)
• Le 11 juin, à Langres (52)
• Le 17 juin, Festival Play Mobl XXL, Théâtre de Châtillon (92)
• Les 24 et 25 juin, Le Mans fait son cirque – Le Plongeoir (72)
• Les 1er et 2 juillet, Festival Renaissance, à Bar-le-Duc (55)
• Du 4 au 7 juillet, Festival Par Has’art ! Théâtre Les Passerelles (77)
• Le 8 ou 9 juillet, Festival Les Embarqués, Base de loisirs de Léry-Poses (27)
• Le 15 juillet, La Lisière, à Bruyères-le-Châtel (91)
• Le 18 juillet, Un été O’Val, à Grand Combe Chateleu (25)
• Le 22 juillet, Festival Jour de cher – Acteurs de territoires, à Bléré (37)
• Le 23 juillet, Espace Nelson Mendela, à Falaise (14)
• Les 26 et 27 août, Festival Rue Dell Arte, à Quessoy et Moncontour (22)
• Les 29 et 30 août, Festival les Rias, à Quimperlé (29)
• Les 9 et 10 septembre, Festival Festin de rue, à Saint-Jean-de-Vedas (34)
• Les 16 et 17 septembre, Cirk Éole, à Lunéville (54)
• Du 29 septembre au 1er octobre, Act Art (77)
• Les 25 et 26 octobre, CirCA, à Auch (32)
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ « Petites Histoires sans gravité », cie Underclouds, Académie Fratellini, par Léna Martinelli