Thierry Collet, éclaireur de conscience
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
« Je clique donc je suis » vient d’être présenté dans le cadre du Faste (Forum arts sciences technologies éducation) organisé par la Faïencerie, scène nationale en préfiguration de Creil et Chambly. Dans cette petite forme de science-fiction magique, les intelligences artificielles s’imposent, prennent le pouvoir et défient le mentaliste Thierry Collet. Mais celui-ci n’a pas dit son dernier mot !
Après Influences, dans lequel il agissait sur nos comportements et nos décisions, Thierry Collet s’intéresse encore à notre libre arbitre, mais cette fois-ci à travers la captation des données personnelles. Dans Je clique donc je suis, l’artiste se présente comme associé aux réflexions d’un laboratoire de recherche qui développe de nouveaux outils pour de grandes sociétés digitales, notamment la branche marketing de Google. Il revient d’ailleurs du campus de San Francisco et nous livre l’avancée de ses travaux. Grâce à la démonstration de plusieurs prototypes d’applications et de logiciels aux propriétés miraculeuses, Thierry Collet, avec son complice Michel Cerda, questionne la géolocalisation, le fichage, le monopole des sources du savoir et de l’information.
Or, chacun sait que les moteurs de recherche sont de puissants agrégateurs d’informations. De façon pernicieuse, les stratégies de référencement, aujourd’hui à visées commerciales, ne deviennent-elles pas les nouvelles maîtresses du monde ? Les géants de la consommation nous pistent, car leur voracité est telle qu’il leur faut prendre le pouvoir sur nos vies : « Plus je vous connais et plus je vous aime ». Et l’ère d’Internet n’est rien, comparée à celle que l’on nous promet : « Le meilleur des mondes » ! Ordinateurs, tablettes, smartphones, puces, capteurs ne sont que des outils au service d’une technologie toujours plus innovante et… liberticide. Hier, notre meilleure amie, aujourd’hui notre coach, l’intelligence artificielle devient déjà notre directrice de conscience, notre oracle.
Brillant !
Une fois encore, Thierry Collet renouvelle avec brio les codes, l’esthétique et la dramaturgie de la magie pour en faire un art en prise avec les problématiques de notre époque. Sa démarche, fondée sur l’interaction, fait participer le public à des expériences qui bousculent notre perception. Peu à peu, les spectateurs perdent leurs repères et ne savent plus s’ils assistent à la réalité, à des effets d’illusion ou à un spectacle de science-fiction.
Pour commencer, une insolite « chasse aux portables » révèle qu’à partir du mobile, on trouve son propriétaire. La personnalisation ne serait pas si grave si l’on n’avait, pour ce « doudou des temps modernes », une attraction presque plus forte que pour l’être aimé. Peut-on dorénavant s’en passer une journée ? En tout cas, on a moins de secrets pour lui que pour ses proches. Et Thierry Collet n’hésite pas à faire vibrer nos portables pour nous le signifier.
Moins apprenti sorcier que spécialiste aguerri aux techniques de manipulation et aux tactiques S.E.O., le mentaliste crake quelques codes de verrouillage, pénètre nos pensées, s’infiltre dans notre vie privée, capte nos bribes d’intimité. Bluffée, une des spectatrices choisies voit ses projets de vacances révélés, son intérieur dévoilé. Cela tombe bien, un autre spectateur, celui-là convié à une expérience de réalité augmentée, lit dans ses pensées. Il ne reste plus qu’à connaître son orientation sexuelle !
Thierry Collet soulève ces questions morales liées à nos déterminismes, toujours avec humour et bienveillance, dans une ambiance cool et conviviale. Il pointe l’absurdité de ces dérives – plutôt que de les dénoncer –, il stimule nos possibilités d’agir – plutôt que de nous culpabiliser. Éclaireur – mais quand même aussi objecteur – de conscience, il interroge ainsi notre esprit critique. Il nous mène sur de passionnants terrains psychologiques, humains et citoyens. La façon de regarder ses performances devient une métaphore de notre manière d’appréhender le monde. Son but ? Construire, ensemble, un avenir conscient. Et c’est évident, ça marche, si l’on se fie aux réactions du public, y compris les jeunes qui devraient tous voir ce spectacle. D’emblée, ces derniers sont épatés de pouvoir enfin assister à une représentation avec leur portable allumé, à portée de main. Mais, à la fin, ils sont presque prêts à les jeter à la poubelle. ¶
Léna Martinelli
Je clique donc je suis, de Thierry Collet
Le Phalène • Tél. 01 44 72 99 05 • Courriel : le.phalene@gmail.com
• Site : http://www.lephalene.com/#about
Avec : Thierry Collet
Collaboration à l’écriture et à la mise en scène : Michel Cerda
Collaboration artistique et technique : Rémy Berthier
Photo : © Nathaniel Baruch
Salle Arts et Culture • route de Saint-Leu • 60340 Saint-Leu-d’Esserent
Dans le cadre de Faste (Forum arts sciences technologies éducation)
Le 27 février 2016 à 20 h 30
Durée : environ 1 heure
Réservations : 03 44 24 01 01
Site du théâtre : www.faiencerie-theatre.com
Courriel de réservation : accueil@faiencerie-theatre.com
Tarif unique : 5 €
Tournée 2016
- Le 4 mars, Café associatif de Langouët (35)
- Du 10 au 14 mars, les Transversales, scène conventionnée, à Verdun (55)
- Le 19 mars, Maison de la danse, à Lyon (69)
- Le 20 mars, centre culturel l’Estran, à Guidel (56)
- Les 22 et 23 mars, espace Jean‑Vilar, à Ifs-Plaine (14)
- Le 30 mars, centre culturel Jean-Gagnant, à Limoges (87)
- Le 31 mars, centre culturel Quai des rêves, à Lamballe (22)
- Les 26 et 27 avril, Théâtre du Pays-de-Morlaix, à Morlaix (20)
- Du 10 au 12 mai, Théâtre de la Madeleine, scène conventionnée de Troyes (10)
- Le 20 mai, Théâtre de Rungis (94)
Du 31 mai au 2 juin, Scènes & Cinés, Ouest Provence, Théâtre de l’Olivier, scène conventionnée pour la danse et les arts du geste, à Istres (13)