Le Rousseau original de Raskine
Par Marie-Christine Harant
Les Trois Coups
Trente ans après la création de Gérard Desarthe, Marief Guittier se glisse dans le manteau de « Jean‑Jacques Rousseau ». La comédienne est éblouissante dans cette nouvelle production du texte établi par Bernard Chartreux et Jean Jourdheuil, mise en scène par Michel Raskine.
Est-ce l’ambiance très particulière de Sortie ouest, un chapiteau dans un beau domaine ? Le spectateur se sent chez lui, enfin chez Rousseau, lorsqu’il pénètre dans la salle. Un bel arbre dissimule les gradins, de confortables canapés néoclassiques encadrent la scène. Un buste de Molière, une table de livres et une rangée de bocaux de cerises à l’eau-de-vie complètent le décor. Le personnage est assoupi, lové au fond d’un siège. Une épaisse couverture de fourrure recouvre son corps, d’où dépasse la tête coiffée de la fameuse toque. Lorsqu’il s’éveille, il nous parle avec les mots de Rousseau.
Surprise : cette langue vieille de deux siècles nous paraît familière. Surtout dans cette première partie où Jean-Jacques, comme l’appelle affectueusement Raskine, se révèle dans les pages sublimes des Rêveries du promeneur solitaire un précurseur des romantiques et des écologistes d’aujourd’hui. Celles où il se souvient des jours heureux après la lapidation de Motiers, sur l’île de Saint-Pierre au milieu du lac de Bienne. Un cadre idyllique pour cette âme tourmentée. Cette langue aborde les problèmes qui nous concernent au quotidien, la fragilité de la nature et l’égoïsme des hommes. Les textes choisis développent la dualité de Rousseau perpétuellement en butte à des sentiments contradictoires d’amour et de haine, jusque dans l’extrait de la Lettre à d’Alembert sur les spectacles. Rousseau s’identifie à Alceste, qu’il voit en honnête homme bafoué, ridiculisé.
C’est à ce moment que le spectacle atteint son paroxysme. Jean‑Jacques Rousseau, composé d’un savant collage réalisé par Bernard Chartreux et Jean Jourdheuil, est vraiment un bel objet théâtral. Entendez par là qu’il y a comme dans toute pièce de théâtre qui se respecte une progression dans l’intensité dramatique jusqu’au dénouement. La mise en scène de Michel Raskine souligne la situation. Comme dans une tragédie classique, celle-ci obéit à la règle des trois unités. On suit le personnage du réveil au coucher sous la nuit étoilée, en passant par la pause sandwich, café, griottes à l’eau-de-vie, partagée avec le public. C’est une mise en scène qui ne cherche pas l’effet, mais qui se met avec humilité au service du texte.
En tout cas, l’idée forte, l’idée personnelle et originale de Raskine a été de confier le rôle de Rousseau à une femme (et quelle femme !) : Marief Guittier, sa comédienne fétiche, qui enfile la robe de chambre de Jean-Jacques, ses godillots de montagne, en oubliant son sexe. Elle campe un Rousseau vieillissant, replié sur lui-même, ennemi du genre humain, avec brio. Elle ne cherche pas être le philosophe, elle est son double qui vient nous parler de lui avec ses mots et avec tendresse. Elle ne gomme pas les failles et les contradictions de l’homme, mais sa présence les sublime. C’est aussi cela le théâtre. Une conversation simple, humaniste et généreuse, d’un penseur de son temps, d’un penseur d’aujourd’hui. Magnifique. ¶
Marie-Christine Harant
Jean-Jacques Rousseau, de Bernard Chartreux et Jean Jourdheuil
Le Point du jour • 7, rue des Aqueducs • 69005 Lyon
04 78 15 01 80 l télécopie : 04 78 15 07 85
Mise en scène : Michel Raskine
Avec : Marief Guittier et Bertrand Fayolle
Scénographie : Olivier Thomas
Création lumière : Thierry Pertière
Création costumes : Josy Lopez
Création son : Laurent Lechenault
Griottes : Nathalie Sauvet
Photo : © Michel Cavalca
Sortie ouest • domaine de Bayssan • 34500 Béziers
Réservations : 04 67 28 37 32
Les 17 et 19 novembre 2009 à 19 heures, les 18 et 20 novembre à 21 heures
Durée : 1 h 20
16 € | 12,50 € | 6 €