Entrez dans la danse !
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Évènement de l’automne, Immersion Danse se déroulera du 9 au 17 novembre. Temps fort de L’Onde Théâtre Centre d’art, il conjugue excellence artistique et expériences fécondes. Rencontre avec Joël Gunzburger, son directeur.
Si Immersion fait généralement dialoguer les genres artistiques, cette année, il se consacre plutôt à la création chorégraphique.
Pluridisciplinaire, Immersion traverse effectivement souvent les genres. Deux propositions ouvrent des espaces plus larges, aux confins des arts plastiques et du théâtre. Mais cette année, nous ouvrons une large fenêtre sur l’effervescence de la création chorégraphique contemporaine. Et les créations sont à l’honneur ! Cette 8e édition est donc particulièrement audacieuse.
Les chorégraphes invités proposent des pièces denses, fortes, hypnotiques avec, au programme, cinq spectacles et un bal hip-hop, lors de quatre soirées. Entre l’ouverture avec notre artiste associée Wanjiru Kamuyu, et la cie de Jann Gallois, qui clôture avec un événement participatif, nous cultiverons le goût de la découverte. À noter : une navette aller-retour gratuite est prévue le 9 novembre au départ de Concorde (réservation ici).
Très équilibrée, votre programmation mêle des talents émergents à ceux internationalement reconnus. Pouvez-vous nous présenter votre artiste associée ?
Née au Kenya, Wanjiru Kamuyu a débuté sa carrière à New York, avant de s’installe à Paris. Elle fonde sa compagnie WKcollective en 2009. Entre les États-Unis et Paris, elle travaille comme danseuse avec des artistes majeurs (Bill T. Jones, Robyn Orlin, Nathalie Pubellier, etc.). Comme chorégraphe, elle collabore notamment avec Bintou Dembélé, Hassane Kassi Kouyate. Artiste associée à l’Onde, elle bénéficie d’un soutien à la création (accueil en résidence, coproduction, pré-achat). Danseuse charismatique, elle dégage une beauté frappante, au sens artistique, nourrie de mixité culturelle et sociale. D’ailleurs, son approche solaire et généreuse contribue au rayonnement de la danse sur le territoire en construisant des liens privilégiés avec différents publics dans des projets d’action culturelle.
Wanjiru Kamuyu © DR
Fragmented Shadows s’inscrit dans la continuité de son solo présenté à l’Onde l’année dernière, où se croisaient des témoignages liés à des migrations. La quête se tourne à présent vers nos paysages intérieurs : comment reconquérir nos récits de vie ? Pour préparer ce projet, elle a enquêté sur l’épigénétique et la mémoire du corps, lors d’une résidence aux États-Unis, aux côtés du dramaturge et producteur Dirk Korell. Envisageant le corps en mouvement comme espace de guérison, elle s’empare de la danse pour libérer émotions, énergies, traumas. Comment se défaire des mémoires tatouées dans nos cellules, nos muscles, nos organes, notre sang ?
Artistes français et internationaux se croisent donc sur les deux plateaux de l’Onde. Les générations aussi ?
Générations de Fabrice Ramalingom est une battle poétique où chacun offre le meilleur de sa danse. Ils ont un siècle à eux deux. D’abord, il y a Jean, élégant, décharné mais solide. Dans son corps de septuagénaire, on devine les traces des danses qu’il a traversées, celles de Blaska, Béjart, Bagouet. Ensuite, il y a Hugues, la vingtaine bondissante, audacieuse, intrépide, qui dévore le plateau à plein corps. Comment faire face à l’autre, à travers tout ce qui nous sépare ? Créée à même la peau de chacun des interprètes, cette pièce met en lumière la complémentarité des expériences et la capacité à accepter ce que l’on n’est pas encore, ou ce que l’on n’est plus. Une belle façon de s’inscrire dans l’immortalité dans une sorte de fantaisie simple et profonde, sensible. En tout cas, en plus du propos, j’ai été très touché par ces deux splendides interprètes qui ne manquent de fougue, ni l’un ni l’autre.
Vous êtes attachés à la transmission, comme à la fidélité. Tisser une relation fondée sur le plaisir de la découverte passe-t-il sur celui de retrouvailles avec des artistes qui vous sont proches ?
Complicité et confiance sont des valeurs essentielles à mes yeux. C’est pourquoi j’accompagne de nombreux artistes depuis longtemps. Gaëlle Bourges est présente à l’Onde depuis 2016-2017. Notre connivence est réelle car, outre la personne, j’apprécie son travail qui se concentre sur l’histoire de l’art et les représentations. Elle met à nu l’individu en s’appuyant sur les fondamentaux de l’humanité. Elle peut désarçonner le grand public, mais elle délivre un propos, d’une grande intelligence, avec gourmandise et jovialité.
Austerlitz est le nom d’un personnage de roman, un déraciné chez qui les traces du passé refluent par effractions, tant il a oublié. Ce roman de W. G. Sebald est le point de départ de Gaëlle Bourges, qui adopte la démarche du personnage pour remonter le fil de l’histoire, à partir de photos. Dans une autobiographie collective et tumultueuse, chaque membre du groupe sur scène fait remonter son passé.
Quant à Jann Gallois, c’est une longue histoire puisque j’ai programmé la plupart de ses créations ! Comme Gaëlle Bourges, elle est multi-facettes : cette touche-à-tout intellectuelle et bourrée de talents est animée d’une forte quête spirituelle. Son approche est inhabituelle et sa présence irradiante. Sa compagnie effectue aussi des stages, des actions de médiation, dans le cadre d’un important parcours de sensibilisation dans les collèges et les lycées de tout le département.
Après deux spectacles présentés la saison dernière, le duo de Structure-couple livre aussi une nouvelle miniature chorégraphique inclassable, avec l’Eté. Pourquoi cette proposition est-elle originale ?
Encore une fois, pour l’exploration très singulière du rapport au corps. Lotus Eddé Khouri est issue de la danse et Christophe Macé de la sculpture. Depuis 2014, les deux artistes explorent ensemble la radicalité du geste visuel, musical et chorégraphique à travers une série de miniatures, chacune construite à partir d’une musique remixée par Jean-Luc Guionnet, génial compositeur. Pour cette nouvelle création, le duo d’artistes s’empare du « presto » de L’Été des Quatre saisons de Vivaldi.
Le dispositif est simple : deux personnes sont assises sous une lumière crue. Leurs mains palpitent, tricotent l’espace, se bagarrent. Mais ces gestes mécaniques vont nous surprendre. Malgré la faible amplitude, cette proposition est d’une rare puissance physique. Un simple mouvement devient une partition et la répétition amène le duo dans une transe, dont on ne sort pas indemne.
Vous êtes passionné par les arts plastiques, mais vous êtes attaché à montrer au public la correspondance entre tous les arts.
J’ai invité l’Espagnol Marcos Morau (La Veronal), qui a conquis les plus grandes scènes actuelles, du Festival d’Avignon au Théâtre national de Wallonie Bruxelles, en passant par l’Opéra de Lyon ou Chaillot. Sa danse foudroyante est engagée dans un langage narratif puissant. Firmamento traite du passage de l’enfance à l’adolescence, ce moment de bascule où la sensibilité est à vif et les émotions exacerbées. Toujours à mi-chemin entre le théâtre et la danse, il construit des mondes et des paysages imaginaires où le mouvement et l’image se rencontrent, s’imbriquent, dialoguent, hors de toute logique organique. La dimension fantastique devrait rassembler.
Votre programmation combine exigence et dimension populaire. Comment rassembler les publics, justement ?
Des démarches singulières aboutissent à des créations qui peuvent bousculer, interpeler. Mais nous souhaitons que la rencontre avec l’art puisse immerger le public dans des émotions fortes. D’où la programmation de soirées offrant l’occasion de découvrir deux spectacles, deux univers singuliers au propos profond. Des thèmes ont la capacité de toucher tout le monde, comme Générations. Des esthétiques, aussi. Nous nous évertuons à diffuser l’énergie de ces beaux artistes car nous avons la conviction que L’Onde peut être un révélateur de la porosité des formes. En tout cas, notre mission est de contribuer à diffuser leur regard unique sur notre monde, leur clairvoyance.
Concrètement, un événement entraînera également le public dans une fête joyeuse et participative pour tous, de 3 à 103 ans : Block Party, de Jann Gallois (cie BurnOut) clôturera Immersion dans le hall du théâtre. Dans la culture américaine, ces fêtes de quartier réunissent voisins et amis autour de musiciens survoltés. À partir des années 70, elles ont vu leur popularité augmenter jusqu’à exercer une influence très importante dans l’éclosion de la culture hip-hop. La compagnie BurnOut proposera donc un voyage dans le temps à la découverte des musiques incontournables dans l’histoire du rap et du hip hop. Mais avec le mix live de DJ Davy James, c’est aussi l’occasion d’apprendre les mouvements phares du Break et Popping, guidés par la bienveillance des danseurs de la compagnie. Ce moment de grande effervescence se veut emblématique de ce qui nous guide à L’Onde : le partage et la rencontre entre artistes, l’œuvre et les spectateurs.
Quelles sont les autres propositions chorégraphiques de la saison ?
Scène conventionnée reconnue d’intérêt national Art et Création, L’Onde invite d’autres compagnies, en plus de celles programmées dans le cadre d’Immersion Danse. Outre Jann Gallois, dont nous accueillons la dernière création (avec David Coria), Imperfecto, fusion joyeuse du hip hop et du flamenco dans une pièce hybride, flamboyante et pleine d’humour, les spectateurs pourront assister au Portrait de Mehdi Kerkouche, un portrait plus vrai que nature et sensible qui tourne beaucoup cette saison.
Après, Promesse (cie HKC), celle de mettre au travail sur scène les questions du genre et de l’émancipation, le public pourra découvrir l’autoportrait d’un chorégraphe hip-hop et danseur peu ordinaire, Hamid Ben Mahi : Chronic(s) 2. Dans Salti, Brigitte Seth & Roser Montlló Guberna font jaillir l’énergie vivifiante du rituel de la tarentelle dans un tourbillon ludique et contagieux. Avec We are Monchichi, deux danseurs de la cie Wang Ramirez explorent avec grâce et humour toutes les facettes de l’altérité.
Enfin, le Chemin du Wombat au nez poilu (WLDN / Joanne Leighton), une escapade vers l’Océanie, est une ode à la beauté et à la fragilité du monde. Et je termine par Claire Lamothe, interprète entre autres pour Baro d’evel ou James Thierrée, qui développe aussi un théâtre physique dans ses projets personnels. Sa performance, A more, mobile et plastique révoquera l’idée même de frontière. Finalement, ce à quoi nous nous attachons, ici, à L’Onde, plus que jamais en ces périodes de troubles et de conflits. 🔴
Propos recueillis par
Léna Martinelli
Immersion Danse 2023
8e édition, du 9 au 17 novembre 2023
Toute la programmation ici
L’Onde, Théâtre Centre d’art • 8, avenue Louis-Bréguet • 78140 Vélizy-Villacoublay
De 12 € à 30 €
Réservations : 01 78 74 38 60 ou en ligne
Photo de une : © Priscilla Mabillot