La Faïencerie : « un cœur qui bat »
Pour lancer votre saison, vous revendiquiez la joie et la rencontre comme « une forme de résistance ». Pas mal comme entrée en matière, non ?
En effet, il en faut une sacrée dose de joie, aujourd’hui, pour continuer à faire du théâtre ! Pas une joie naïve ou légère : une joie puissante, exigeante, qui s’oppose à l’indifférence, qui résiste à l’usure, qui choisit de croire encore à la rencontre. Nous croyons que la joie est un engagement. À la Faïencerie, nous refusons de céder au découragement. Dans un monde en tension, où la tentation du repli, de l’exclusion, de la haine, gagne du terrain, nous faisons le pari inverse. Nous croyons que la culture est un lien, une lumière, une manière de faire société.
Un théâtre, ce n’est pas un bâtiment. C’est un cœur qui bat. C’est une maison où l’on pense, où l’on rit, où l’on réfléchit, où l’on doute. Ensemble. Une maison ouverte. Une maison habitée. Grâce à nos partenaires, nous pouvons affirmer haut et fort notre engagement : pour une culture vivante est accessible à toustes et pour un territoire qui s’invente par le sensible et l’intelligence collective. Si nous tenons, c’est grâce à celles et ceux qui nous accompagnent avec un soutien indéfectible.
Pouvez-vous présenter votre structure ?
La Faïencerie, c’est une salle de théâtre de 670 places, une salle polyvalente de 2.000 places, 65 spectacles sur les communes de l’Agglomération Creil Sud Oise, soit plus de 150 représentations, et une programmation cinéma. Financés par la DRAC Hauts-de-France, la région Hauts-de-France, le département de l’Oise, la Ville de Creil et de nombreux partenaires publics du bassin de vie, nous sommes à nouveau labellisés scène conventionnée d’intérêt national art en territoire. Cette reconnaissance conforte nos ambitions : accompagner les artistes, impulser des dynamiques culturelles à l’échelle du territoire, diffuser un peu de notre humanité hors les murs. Depuis 2024, nous gérons aussi la saison culturelle de Chambly, soit 12 propositions par saison et un programme à La Friche Gournay.
© Faïencerie Théâtre de Creil
Avec une équipe permanente composée de 20 personnes, le projet se décline sur une programmation pluridisciplinaire au sein de Creil, mais également en itinérance, à ciel ouvert et dans les rues, avec notre festival Mosaïque, en zones rurales et dans des quartiers prioritaires toute l’année. Jour après jour, sans relâche, nous œuvrons à conjuguer création et hospitalité. Nous ne faisons rien seul·es, nous nous entourons d’artistes, de collectifs confirmés ou en devenir, dont nous accompagnons le travail et qui chemineront avec la Faïencerie quelques années. La permanence artistique est assurée par deux équipes artistiques associées pendant 3 ans (Élodie Ségui de L’Organisation et Bérénice Legrand de la cie La Ruse).
La Faïencerie organise 4 festivals, avec une attention particulière portée aux familles et à l’intergénérationnel. Pouvez-vous nous les présenter ?
Tout au long de l’année, les temps forts invitent à découvrir, partager, s’exprimer et vibrer au rythme de l’art et de la culture. Ainsi, avons-nous ouvert la saison dans l’espace public avec des propositions fédératrices. Cette année, Mosaïque a rassemblé plus de 7.500 personnes. 85 artistes se sont produits dans 11 villes de l’Agglomération Creil Sud Oise. 64 choristes amateur·ices ont donné de la voix. De quoi créer du lien. Festif et populaire, ce temps fort de septembre célèbre la solidarité.
Les P’tites Tommettes s’adresse aux plus petits et aux familles. Aux commencements (lire la critique) captive même les bébés. Le spectacle vivant peut effectivement procurer des émotions dès le berceau. Des ateliers et temps autour de la parentalité sont aussi prévus lors de ce moment privilégié, avec bar à biberons et à poussettes. Dans la programmation des Moulins de Chambly, Chambly Kids est l’autre temps fort dédié aux familles.
À destination des adolescents, Les Infaillibles est concocté avec la complicité des membres de la Commission Jeunes du théâtre. Nous leur faisons confiance, car ils ont bénéficié d’une petite formation sur la responsabilité qui leur incombe et les enjeux d’une programmation dans un lieu public. Le choix de Vive, sur l’inceste, ou encore de Romance (le 8 fevrier), sur les extrémismes, et d’Iqtibās (le 6 février), sur le métissage, témoignent des préoccupations de nos jeunes. Inventant un festival pour leur génération, ils partagent leurs interrogations et leurs rêves en construction, nous insufflent de l’énergie. Et ce sont de formidables ambassadeurs.
« Une maison ouverte et habitée, un projet en mouvement »
Comment caractériser votre programmation ? Pétillante, indisciplinée, généreuse ?
Les récits sont singuliers et les regards pluriels. Riche de tous les arts, notre programmation, portée par de jeunes artistes ou confirmés, accorde une place importante aux esthétiques où le geste, le corps et le mouvement nous parlent d’un monde sensible, vibrant et poétique. Ce langage parle à toustes. De manière générale, j’ai un goût pour le décloisonnement des disciplines. Notre programmation s’écrit avec les artistes qui font vivre la création au quotidien. Qu’ils soient en résidence au théâtre, dans les écoles de Nogent, ou sous chapiteau à la friche Gournay, ielles font partie de la maison.
Parmi les spectacles questionnant les transformations de la société : R.O.B.I.N., sur la citoyenneté (lire l’article), La France, Empire, sur la colonisation (le 30 avril). La virtuosité et l’intensité du CCN Ballet de Lorraine devraient conquérir tous les publics. Sans oublier que la danse évoque la liberté des corps en mouvement (Glish Up Vaï Aï AÏ) (les 12 et 13 décembre, le 13 février), tel Signatures de l’Académie Fratellini / MazelFreten, en mesure de rassembler bien des nationalités.
Nous envisageons nos lieux comme des carrefours d’imaginaires, des espaces ouverts où la pensée circule en écho à nos existences. Des classiques trouvent aussi une nouvelle résonance sur scène. Trois grandes pièces de répertoire, dont deux créations, sont à l’affiche. Le Songe d’une nuit d’été (le 23 janvier) de Shakespeare, nous parle toujours de problèmes universels, entre perte de l’innocence et initiation à la violence des sentiments. Le Menteur de Corneille (le 12 mars), offre l’occasion à Julia Vidit de nous inciter à démêler collectivement le vrai du faux. Plus récent, Juste la fin du monde (le 7 mai) est une version décapante de ce texte essentiel de Jean-Luc Lagarce, sur les relations familiales, les non-dits.
« Le Menteur », Théâtre de la Manufacture Julia Vidit © Vincent Zobler ; « Soirée magique » © Cie 14 :20 ; « Le Songe d’une nuit d’été », Théâtre du Prisme © Frédéric Lovino
Ce sont autant de spectacles qui interrogent nos conventions sociales, qui nous éclairent sur des sujets de fond. Cela n’empêche ni l’humour, décliné sous toutes ses formes, afin de penser le monde sous un angle comique mais toujours acéré, ni l’émerveillement. Nos artistes bousculent, émeuvent et font rêver. Par exemple, le 20 mars, la Soirée magique (cie 14:20) va nous transporter (lire la critique).
Vous semblez apprécier les formats hors-normes ?
Bigarré et festif, Mosaïque fait la part belle aux formes singulières : Symfeuny, accord parfait du sens et de la lumière ; l’odyssée verticale et musicale ADN ; la grande boum participative Hit Hip Pop Classic Parade ; la déambulation Immersive et lumineuse D’Arbre en Arbre… Et nous réservons bien d’autres surprises, comme le projet hybride de La Vaste Entreprise (le 26 mars) ou bien Corps sonores juniors (le 25 mars), installation sonore et chorégraphique qui invite à la douceur et à l’écoute. Quant à Piano piano, (présenté à Chambly), à la croisée du numérique, du cirque et de la musique, il a brillamment fait dialoguer notes et images.
« Piano piano », Adrien M. et Claire B. © Christophe Raynaud de Lage ; « D’Arbre en Arbre » © Cie Carabosse ; « Symfeuny », cie Deabru Beltzak © Dominique Beyly ; « Accordez vos vélos », Orchestre Les Force majeures © Julien Poulain
Des soirées jazz ou méditerranéennes, à l’énergie des musiques actuelles, chaque rendez-vous promet une expérience. Même l’opéra fait bouger les lignes. Florent Siaud, en résidence au Théâtre Impérial Opéra de Compiègne poursuit l’exploration des grandes figures féminines de l’opéra avec Tosca (le 7 avril). La musique classique est aussi accessible à toustes. D’ailleurs, nous clôturerons la saison (du 26 au 31 mai) avec Accordez vos vélos !, tournée symphonique à bicyclette dans l’Agglomération Creil Sud Oise.
Après Paris-Roubaix, ce peloton de 30 personnes arrivera à vélo, à l’occasion de l’inauguration de voies cyclables. Les étudiants des conservatoires feront les premières parties. La grande boucle s’achèvera en triomphe avec un concert à La Faïencerie. Le but de l’aventure ? Véhiculer de la joie et des émotions en partageant de grandes œuvres du répertoire. Cela permettra de tisser des liens forts avec les publics rencontrés en chemin, dans les villes et villages, lors de moments de convivialité. Nous invitons les habitant·es à rejoindre cet orchestre bas-carbone, notamment les bénévoles à l’organisation.
Ce projet semble emblématique de votre engagement environnemental, non ?
Cela prend un nouveau tour, effectivement ! Un dispositif de covoiturage proposé dès la rentrée favorise les mobilités partagées, durables et conviviales. La Métropole et le Département investissent dans la modernisation des équipements afin d’offrir à la population des lieux culturels toujours plus accessibles et adaptés. Le projet de la Friche Gournay en est une illustration concrète.
Pouvez-vous nous en dire plus sur ce que vous appelez « lieu de fabrique » ?
L’Agglomération Creil Sud Oise nous a confié l’animation d’un projet d’occupation culturelle temporaire sur le terrain de l’ancien lycée Gournay à Creil, aujourd’hui démoli. Pendant 5 ans, dans l’attente du début des travaux du futur campus hybride, 4 résidences ont lieu chaque année. Nous offrons aux compagnies la possibilité d’installer sur le site leur chapiteau, tente ou structure, ainsi que leur campement. Les équipes sélectionnées bénéficient de conditions d’accueil et techniques pour travailler leur création ou de développer leurs axes de recherche, avec une enveloppe budgétaire comprise entre 8.000 € et 15.000 €.
Inauguration ; Sortie de résidence ; Action culturelle © Florence Cassin
Cette saison, c’est Nicolas Fraiseau (Collectif Sismique) qui a clôturé la première résidence, de façon flamboyante (lire l’article). Boris Gibé (Les Choses de rien) ouvrira le cycle 2026, suivi du Cirque du Docteur Paradi, de La Fauve et de la cie À portés de mains. La saison dernière, le Projet.PDF a magnifiquement lancé le projet en mettant à l’honneur les femmes dans le cirque, en apportant de la vie dans ce quartier, alors transformé en village, avec pas moins de 20 caravanes. Les gens s’en souviendront ! L’Envolée Cirque, la Cie Takakrôar (lire la critique) font également partie des compagnies passées chez nous.
Vous parlez de 60.000 personnes concernées par l’action culturelle. C’est-à-dire ?
Un programme d’actions de sensibilisation accompagne les projets artistiques pour tous les publics et un parcours pédagogique est élaboré avec les établissements scolaires, les familles et les acteurs du territoire. Depuis la saison 23-24, la Faïencerie mène un projet100% EAC (Éducation artistique et culturelle) à Nogent-sur-Oise. Beaucoup de gens ne font pas de sorties culturelles. Avec un passage à Garges et Sarcelles, mon parcours est profondément marqué par ce désir de réparer cette injustice. Je crois en la démocratisation et je suis convaincue qu’inverser le rapport en allant vers les gens peut inciter certain·es à nous rendre ensuite visite. Une étude durant Mosaïque atteste que seule la moitié de nos publics était déjà allée au théâtre.
Accessibilité, équité territoriale, création… Vous cochez toutes les cases ! Votre projet traduit un réel engagement en faveur du service public de la culture.
Nous sommes soutenus par des tutelles qui considèrent, ici, que la culture n’est pas une option, qu’elle est un facteur efficace de cohésion sociale. Nous avons donc le sentiment de rendre un service à la population. Notre mission : faire de chaque spectacle, de chaque projection, de chaque atelier, une fête, un débat, un frisson. Faire société. Et faire en sorte que chacun·e sorte transformé·e de son expérience. Notre projet de territoire affirme que la culture est un droit commun, que l’art dans l’espace public est nécessaire, que l’enchantement collectif est possible. Si l’itinérance façonne notre identité, notre maison est grande ouverte. Et on espère vous croiser ici et là, car nos propositions s’adressent au plus grand nombre. Venez et revenez.
Propos recueillis par
Léna Martinelli
La Faïencerie scène conventionnée de Creil
Allée Nelson • 60100 Creil • Tel. : 03 44 24 95 70
Tous les lieux ici
Toute la programmation ici
Les artistes associés ici
Les festivals :
• Mosaïque Festival des arts de rue, du 25 au 28 septembre 2025
• Les Infaillibles #6 Festival de la jeunesse, du 6 au 8 février 2026
• Chambly Kids Festival pour les enfants à Chambly, le 28 mars 2026
• P’tites Tommettes Festival de la petite enfance, du 1er au 15 avril 2026Tarifs ici
Photo de une : ©
