Rien ne va plus
Par Nicolas Belaubre
Les Trois Coups
C’est une dernière couche d’ironie inquiète et un peu cynique que Matéï Visniec et Jean‑Pierre Beauredon passent sur le monde avec cette troisième collaboration. Après « Du pain plein les poches » et « la Vieille Dame qui fabrique 37 cocktails Molotov par jour », les deux créateurs reviennent sur les planches du Sorano pour nous plonger dans l’univers décadent de deux accros du jeu de hasard en bout de course. « La Martingale du hérisson » est une probabilité. Le grain de sable qui s’insinue fatalement dans toute stratégie.
Ken est un flambeur sur le retour. Un joueur et tricheur compulsifs, un ludopathe en phase terminale, condamné. Il est grillé dans tous les casinos de l’Ouest américain. Betty est sa jeune complice, son disciple. Elle le fatigue, l’exaspère parfois avec ses questions. Ils se connaissent depuis la veille et sont amoureux. Mais Betty, c’est aussi une vieille fermière un peu gaga qui soigne des chevaux en fin de vie. Un fantôme à la recherche d’un vieux cheval blanc aveugle. Cet alter ego de Betty, quarante ans plus vieux, hante les nuits de Ken. À moins que ce ne soit l’inverse…
Dès son apparition, Betty sort l’artillerie lourde et nous pilonne de questions existentielles ou triviales. Et pourquoi ? Et comment ? Elle interroge naïvement tout ce qui l’entoure : cinq boîtes aux lettres, Ken, la voûte céleste, les dunes, le sable. On n’avait guère vu curiosité plus désespérante depuis un certain Petit Prince aux cheveux couleur des blés… Tiens, ici aussi, d’ailleurs, on se retrouve coincés par une panne de voiture en plein désert, « à mille milles de toute terre habitée ».
Le désert, c’est le lieu de toutes les illusions. Des mirages. C’est le lieu du recueillement et de la pénitence. C’est à la fois un labyrinthe qui s’ouvre en permanence sur lui-même et l’espace oppressant du huis clos. Les personnages de la Martingale du hérisson en sont les prisonniers. À qui la faute ? Au destin, au hasard, à un improbable hérisson ou à la volonté autodestructrice des personnages eux-mêmes ? Cette simple question est rapidement transcendée par une réflexion plus philosophique. Comment un univers régi par des lois harmonieuses admet‑il en son sein l’arbitraire du hasard ?
C’est peu à peu, au fil des confidences, que l’on reconstruit le parcours qui unit nos trois personnages. Qui est qui ? Seule la jeune Betty semble l’ignorer et s’en préoccuper. Confrontée à son taciturne et énigmatique compagnon, Betty cherche avec le public. Elle cherche la logique, un sens à la vie, à sa vie. Elle cherche tant et tant qu’elle se perd parfois elle-même, ainsi que le public par la même occasion. On aimerait pourtant se laisser emporter par ses angoisses, approfondir le portrait de cette femme un peu enfant, perdue avec cet homme qu’elle connaît à peine. Mais la pièce semble stagner à un niveau métaphysique et refuse, comme certains nuages menaçants qui ne donnent jamais de pluie, de s’abandonner à la complexité psychologique de ses personnages. Ceux-ci semblent se diluer dans leur texte. Le jeu des acteurs, statique et austère, participe de cette stratégie, propre au hérisson : l’évitement du conflit.
Le décor, lui aussi, est minimaliste. Trois cactus en carton, cinq boîtes aux lettres, une jante de voiture. Néanmoins, à la faveur d’un jeu d’ombres et de lumières subtil, le désert prend vie entre deux tableaux. Un instant, malheureusement trop éphémère, l’effet réussit et la magie opère. La musique, presque absente, souligne les transitions et cultive le cliché des grands espaces. Juste une guitare hawaïenne nonchalante, habillée d’une réverbération exagérée, et qui semble directement tirée d’un docu de la chaîne de télé Planète. Dans le même esprit, un écho fait rebondir certains mots. C’est un peu artificiel, mais on comprend l’idée : mettre en valeur la solitude des personnages et rendre vaine toute tentative de communication. Les mots nous seront toujours rendus dans leur absurde abstraction.
Péchant par une réflexion métaphysique effervescente sur le hasard, la pièce délaisse quelque peu, au grand dam du spectateur, les enjeux psychologiques et relationnels de ses personnages. Ces derniers semblent se réduire ainsi à des mots et des raisonnements. On aurait préféré voir en eux un peu plus de chair, de sang et de larmes. ¶
Nicolas Belaubre
la Martingale du hérisson, de Matéï Visniec
Cie Beaudrain‑de‑Paroi • le Peyral • 31550 Cintegabelle
05 61 08 60 26
Mise en scène : Jean‑Pierre Beauredon
Avec : Cathy Brisset, Patrice Merle, Françoise Soucaret
Scénographie : Philippe Casaban et Éric Charbeau
Lumières : Michaël Vigier
Costumes : Éric Sanjou
Photo : © Cie Beaudrain‑de‑Paroi
Attachée de production : Fadila Koob
Coproduction : espace Apollo de Mazamet, Théâtre de la Digue, Théâtre municipal de Muret
Soutiens : ville de Toulouse, conseil général de la Haute-Garonne, région Midi‑Pyrénées, Théâtre Sorano
Théâtre Sorano • 35, allées Jules‑Guesde • 31000 Toulouse
Réservations : 05 34 31 67 16
Mardi 27, mercredi 28 et jeudi 29 janvier à 20 heures ; vendredi 30 et samedi 31 janvier 2009 à 21 heures
19 € | 15 € | 9 €