« l’Art de la comédie » de Eduardo De Filippo, Théâtre de la Croix‐Rousse à Lyon

« l’Art de la comédie » © Philippe Delacroix

Qu’ils vivent, les artistes !

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

Entre farce et noirceur, Patrick Pineau et sa bande d’acteurs signent un hymne vibrant au théâtre populaire et d’utilité publique.

Ce qui fait la beauté d’une femme ou d’un homme, passé les toutes premières années de la vie, ce sont les rides d’expression. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter dans un livre ou sur l’Internet des portraits de De Filippo, le magistral auteur de l’Art de la comédie, qui fut aussi un exceptionnel comédien. Son visage est un masque pur. Illusion en surface, vérité en dessous ou l’inverse, ou les deux ? Les deux à la fois, bien sûr, comme le démontre le contenu de la pièce mise en scène par Patrick Pineau.

Cette dualité baigne d’un mentir-vrai l’ensemble de l’œuvre et, pour une fois, en attendant de donner des repères nécessaires sur l’Art de la comédie, faisons l’inventaire des principales rides humaines. Grâce au talent des acteurs, visibles sont celles du front pour exprimer la peur ou la surprise, les plis du lion pour la circonspection, la réflexion ou la contrariété, les pattes d’oie pour les rires, les lignes d’amertume pour le dégoût ou le refus et les plissés du soleil qui illuminent le visage. Toutes humaines, donc, et infiniment théâtrales puisque renforcées ici par l’extraordinaire inventivité corporelle de chaque protagoniste. Au service de De Filippo, Pineau jongle superbement avec la joyeuse et rusée ambivalence d’une écriture rendant indémêlable, pour le plaisir, vérité et mensonge.

Précédée d’un prologue à la dialectique intelligente mais légèrement ennuyeuse, la pièce, en deux actes, questionne subtilement la place du théâtre dans la cité, la fonction de l’artiste et l’impossibilité de distinguer souvent le réel de la fiction. Concrètement, un chef de troupe fait irruption dans le bureau d’un préfet fraîchement nommé et pas encore installé. À l’exception des perruques, costumes, postiches et maquillages, tout le matériel de sa compagnie a été détruit par un incendie. Il vient chercher de l’aide et négocie sans succès avec le haut magistrat qui prétend aimer les acteurs.

Entre les deux hommes s’engage alors de façon farcesque, voire fantastique, un bras de fer haletant où il sera difficile de faire le tri entre ce qui relève des apparences ou de l’imagination. Profitant d’une liste de rendez-vous avec les notables de la ville, dont on ne saura jamais s’il l’a volée ou si elle lui a été remise par erreur, le directeur de la troupe fait défiler chez le préfet ses comédiens. L’illusion comique ou tragique est si parfaitement conduite que ce dernier sera incapable d’avoir la certitude qu’il s’est bien entretenu avec le médecin, le curé ou l’institutrice de la cité.

Du directeur de théâtre ambulant (Mohamed Rouabhi) au préfet De Caro (Fabien Orcier), du Dr Quinto Bassetti (Vincent Winterhalter) au curé (Marc Jeancourt), de l’institutrice (Sylvie Orcier) au secrétaire du préfet (Christophe Vandevelde), du pharmacien, planton et homme de la montagne (Nicolas Bonnefoy) à Palmira et la femme de la montagne (Julie Pouillon), toute la distribution enthousiasme. Avec un engagement exceptionnel, chacun ou chacune est parfaitement rompu à l’art de la comédie à l’italienne. Tous ont le goût de raconter des histoires à leur manière. Rouabhi, malin, vaniteux et touchant. Fabien Orcier, sûr de lui, autoritaire et désemparé. Winterhalter, désespéré, généreux et attendrissant. Jeancourt, frénétique, halluciné et enfantin. Sylvie Orcier, délirante, sauvage et prostrée. Vandevelde, servile, énervé et consterné. Bonnefoy, soumis, incrédule et vindicatif. Pouillon, discrète, naïve et perdue.

Un très grand merci à cette équipe flamboyante au service d’une écriture et d’une mise en scène qui a la force et le courage de rappeler aux spectateurs combien le théâtre, porté à un tel niveau, permet dans une société goinfrée d’images de rester lucides pour ne pas confondre les originaux avec les imitations. Mensonge préparé et avoué, l’Art de la comédie est un espace de vérité. 

Michel Dieuaide


l’Art de la comédie, de Eduardo De Filippo

Traduction : Huguette Hatem

Mise en scène : Patrick Pineau

Avec : Nicolas Bonnefoy (le Pharmacien, le Planton et l’Homme de la montagne), Marc Jeancourt (le Curé), Julie Pouillon (Palmira et la Femme de la montagne), Vincent Winterhalter (le Dr Quinto Bassetti), Fabien Orcier (le Préfet De Caro), Sylvie Orcier (l’Institutrice), Mohamed Rouabhi (Oreste Campese), Christophe Vandevelde (le Secrétaire du préfet Giacomo Franci)

Dramaturgie : Daniel Loayza

Scénographie : Sylvie Orcier

Lumières : Christian Pinaud

Son et musique : Nicolas Daussy

Costumes : Brigitte Tribouilloy, assistée de Charlotte Merlin

Vidéo : Éric Perroys

Construction décor : Les ateliers du Grand T.-Théâtre de Loire-Atlantique

Photos : © Philippe Delacroix

Production : Théâtre-Sénart-S.N.

Coproduction : Cie Pipo, le Grand T.-Théâtre de Loire‑Atlantique, Théâtre Dijon-Bourgogne-C.D.N., M.C.2-Grenoble, Théâtre Firmin Gémier / la Piscine-Antony et Châtenay-Malabry, MA‑SN-Pays de Montbéliard

Théâtre de la Croix-Rousse • place Joannès‑Ambre • 69004 Lyon

www.croix-rousse.com

Courriel : infos@croix-rousse.com

Tél. 04 72 07 49 49

Représentations : les 23, 24, 25, 29, 30 novembre 2016 à 20 heures, le 26 novembre 2016 à 19 h 30, le 27 novembre 2016 à 15 heures, le 1er décembre 2016 à 20 heures

Durée : 1 h 50

Tarifs : 26 €, 20 €, 13 €, 10 €, 5 €

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