« C’est quand le spectacle ? »
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
La création de spectacles à destination des tout jeunes spectateurs (moins de deux ans) est chose risquée et même objet polémique… J’en ai pourtant vu quelques-uns par le passé, rares il est vrai, qui étaient de véritables œuvres artistiques. Ce n’est pas le cas de ce « Jardin du possible ».
On entre dans la salle avec une trentaine d’enfants. Pas de siège, tout est à niveau, il n’y a pas à proprement parler de scène. Mais une quinzaine de tas éclairés chacun par un projecteur : tas de brindilles, de galets, de pommes de pin, de gravier, de tailles et de couleurs différentes. Les enfants, à qui l’on a recommandé de surtout ne faire aucun bruit, sont attirés vers le « jardinier », Benoît Sicat en personne. Celui-ci, sans leur parler, est en train de façonner des sortes de cairns avec des morceaux de bois. Progressivement, il va changer d’activité et de tas (par exemple fabriquer une route ou un train en cailloux), allant même jusqu’à faire tomber les constructions et lancer quelques cailloux. Regards amusés des enfants qui commencent à leur tour à se déplacer, puis toucher, puis jouer… pour enfin courir en tous sens, jeter les matériaux en l’air malgré les sourcils froncés des maîtresses et les quelques remontrances ou conseils de prudence (« Attention, tu vas tomber » ou « tu vas faire mal à un camarade »…). Le risque à vrai dire n’est pas bien grand ! Mais l’expérience voulue par Benoît Sicat tourne court, lui qui énonce que « Le possible n’existe que parce qu’il n’y a pas de guide ». Facile ! Ce sont les enseignants responsables des enfants qui font les guides.
Pas de théâtre
Puisqu’il ne fait pas le guide, que fait donc Benoît Sicat ? Il semble jouer lui aussi à des empilements, ou à faire surgir quelques sons de type frottements, chocs, tintements, illustrant probablement que « l’artiste est un grand enfant »… Cependant, on ne peut parler d’interprétation, et c’est là un autre problème : qu’est exactement cet objet ? Pas du théâtre assurément, peut-être une installation d’arts plastiques, ou bien un ou des ateliers de travaux manuels du genre de ceux que peuvent expérimenter les tout-petits à la Cité des sciences… Un art « immersif » ? Ah… j’avoue ne pas être convaincue par le bac à sable (joli au demeurant) élevé au rang d’art !
De quoi parle (quoique muet) ce Jardin du possible ? Quel est son sujet, ou plutôt son objet ? Les enfants eux-mêmes sans doute, fort intéressants à étudier, notamment dans leurs comportements, la découverte de l’humour (au premier lancer de cailloux par Benoît Sicat) ou encore la prise de liberté : comment passent-ils d’une posture d’observateur attentif à la manipulation, puis au jeu ? Parmi les enfants qui est plus moteur, qui est plus contemplatif, comment se constituent les groupes, etc. Tout cela est passionnant pour de jeunes stagiaires enseignants, et l’on pourrait recommander aux inspecteurs en charge de leur formation d’y emmener leurs ouailles. Ils y montreraient aussi comment, sans guide, il est facile de voir déraper une trentaine de petits enfants habituellement fort sages. Sans oublier cette magnifique leçon de la fin : au bout d’une demi-heure, quelques pleurs se font entendre, les enfants sont fatigués, et l’un d’entre eux, suivi par quelques autres, se dirige spontanément vers la porte… Le spectacle n’est pas encore terminé, mais comme il n’a ni queue ni tête, pourquoi pas ? Et l’on entend une petite voix demander : « Maîtresse, c’est quand le spectacle ? »
Quand on vous le disait que le roi était nu ! ¶
Trina Mounier
le Jardin du possible, de Benoît Sicat
Parcours immersif
À partir de 18 mois
Conception et interprétation : Benoît Sicat
Image : Nicolas Camus
Photo : © Dominique Vérité
Production : Association 16 rue de plaisance (www.16ruedeplaisance.org)
Du 7 au 18 octobre 2015, les mercredis à 15 h 30, 17 heures, les samedis et les dimanches à 10 heures, 11 h 30, 15 h 30, 17 heures
T.N.G. • 23, rue de Bourgogne • 69009 Lyon
Tél. 04 72 53 15 15
Durée : 30 min
Tarif : 6 € pour tous