Corneille enlevé et insolent, on en redemande…
Par Trina Mounier
Les Trois Coups
Charmante surprise que ce « Menteur » qui nous fait découvrir un Corneille inattendu, et même inespéré, insolent et drôle, grâce une jeune troupe pleine de vie et très pro.
Les jeunes gens réunis autour de Julien Gauthier, qui assure la mise en scène et s’octroie le rôle-titre, proviennent en majorité de cette troupe créée par Christian Schiaretti dans ses premières années à la direction du T.N.P. Autant dire qu’ils connaissent leur métier sur le bout des doigts, ont une parfaite diction de l’alexandrin (eh oui, le Menteur est en alexandrins…) et maîtrisent l’art de jouer ensemble. On sent d’ailleurs entre eux une certaine connivence de bon aloi qui n’est pas pour rien dans la réussite de cette comédie. C’est d’autant plus important qu’un des ressorts de la pièce tient au fait que ce menteur de Dorante est un artiste en son domaine. Il aime plus que tout entraîner ses interlocuteurs dans ses balivernes, les charmer, en un mot conter des chansons et se donner en spectacle. Au premier rang de son public figurent son valet Cliton et la dame qu’il courtise, Lucrèce.
Les spectateurs que nous sommes sont ainsi conviés à être les témoins d’une mise en scène en train de se monter en direct sur le plateau. Nous voici donc doublement servis ! La scénographie est toute simple, du vrai théâtre de tréteaux, quelques planches agencées horizontalement et verticalement, des lumignons, et voilà. Enfin presque, car sous ses airs modestes, ce décor devient une efficace machine à jouer prompte à s’effacer derrière les comédiens. Ces derniers sont excellents, particulièrement Clément Carabédian dans le rôle d’Alcippe, rival de Dorante, Damien Gouy, subtil dans celui de Géronte, et Clément Morinière, très drôle dans celui du valet tour à tour dupé, séduit et scandalisé…
À menteur, menteuse et demie
Avec ce Menteur, Corneille met en scène un jeune homme doté d’un trop-plein d’imagination. Aussi Dorante n’hésite-t‑il pas à s’en servir pour se tirer d’un mauvais pas. Et comme il est très doué, il en rajoute des tonnes, enfilant élucubrations et invraisemblances qui passent comme lettres à la poste. Particulièrement quand son père, pourtant plutôt conciliant pour l’époque, décide de le marier… Tentons un rapide résumé de l’intrigue : Dorante, donc, aime Lucrèce lorsque son père Géronte lui annonce qu’il a prévu de lui donner épouse. Ignorant que tous deux ont choisi la même demoiselle, Dorante s’invente un mariage antérieur, secret et sous la contrainte… Mais Lucrèce, qui apprend fortuitement cette histoire et imagine avoir une rivale, décide d’en avoir le cœur net et de lui jouer à son tour la comédie… Au bout de nombreux rebondissements et mensonges, tout finira bien, on s’en doute.
Une telle intrigue qui repose sur des enchevêtrements d’histoires, des usurpations d’identité, des personnages qui jouent d’autres rôles que le leur, exige à la fois une grande précision dans la mise en scène et beaucoup de rythme pour que la comédie prenne.
Julien Gauthier s’en sort avec beaucoup de doigté et de finesse. Sa mise en scène est vigoureuse, rapide, juste, si l’on oublie un démarrage un peu lent et laborieux. Gageons que ce défaut disparaîtra dès que le spectacle aura atteint sa vitesse de croisière. Julien Gauthier est d’ailleurs meilleur dans cet emploi de metteur en scène que dans celui d’acteur : on aurait aimé trouver chez son Dorante davantage de rouerie, d’espièglerie et de malignité.
Pour finir, voici une manière vivifiante, joyeuse et intelligente de redécouvrir Corneille : démonstration est faite que sa connaissance de l’âme humaine n’a rien à envier à celle d’un Marivaux. ¶
Trina Mounier
le Menteur, de Pierre Corneille
Mise en scène : Julien Gauthier
Avec : Laurence Besson, Amandine Blanquart, Clément Carabédian, Julien Gauthier, Damien Gouy, Rafaèle Huou, Clément Morinière, Juliette Rizoud, Julien Tiphaine
Assistant artistique : Clément Carabédian
Scénographie : Jessica Chauffert, Julien Gauthier
Créateur lumière : Rémi el‑Mahmoud
Costumes choisis par Julien Gauthier chez Agnès b.
Création sonore : Pierre‑Alain Vernette
Administration et diffusion : Corinne Sarrasin
Photo : © D.R.
Production : Théâtre en pierres dorées en partenariat avec Agnès b.
Théâtre national populaire • 8, place Lazare‑Goujon • 69100 Villeurbanne
04 79 03 30 00
Du 30 mars au 8 avril 2017 à 20 h 30
Petit théâtre salle Jean‑Bouise
Durée : 1 h 45
Tout public à partir de 13 ans
De 9 € à 25 €