L’accordéon en éclats
Par Léna Martinelli
Les Trois Coups
Coup de cœur pour Félicien Brut, l’un des accordéonistes français les plus doués de sa génération, découvert dans « Le Pari des bretelles », au Festival d’été, à Vichy. Dans la lignée de Richard Galliano, il transcende les genres et donne de l’éclat à un instrument trop longtemps déprécié.
La veille, Félicien Brut faisait guincher les Vichyssois au kiosque à musique, enflammant le parquet de bal. Une programmation qui allait presque de soi pour cet Auvergnat qui se plaît, comme le festival Musette à Vichy, à faire voler l’accordéon en éclats. En mêlant les styles, il revisite en effet les répertoires, sans jamais départir « le piano à bretelles » de ses racines populaires, et il favorise la création contemporaine.
Rencontres au sommet
Bardé de prix internationaux, Félicien Brut a le vent en poupe. Après la sortie du disque, porté par le label Mirare, Le Pari des bretelles sera d’ailleurs à l’affiche de la Folle Journée de Nantes en 2019. Le musicien a démarré par les pistes de danse musette avant d’embrasser le répertoire classique : « À mes débuts, j’ai un peu souffert du manque de reconnaissance de l’accordéon, considéré comme ringard. Beaucoup considèrent que la musette a été sa perte. En même temps, le regard bienveillant qu’on peut lui porter, grâce à l’association – courante – avec des moments festifs, lui rend aussi service. Certains grands noms l’ont réhabilité. Il nous faut définitivement réconcilier musiques savante et populaire ».
Il a d’abord travaillé avec le contrebassiste Édouard Macarez, avec qui la complicité est évidente, avant de mêler son soufflet aux cordes frottées du Quatuor Hermès. Heureuses rencontres.
Voilà maintenant un an qu’existe le programme présenté le 4 août, à l’Opéra de Vichy. Après Royan ou Menton et avant Villers-sur-Mer ou Port-Leucate, ce soir-là était la première en Auvergne. Un moment important. Né à la Bourboule, Félicien Brut a écumé les salles des alentours et le voilà, à présent, dans un lieu prestigieux qui s’ouvre, lui aussi, à la transdisciplinarité. Il retrouvait là des proches et des amis, certains un peu intimidés car plus familiers des bals musette. Il était fier de leur faire découvrir d’autres facettes de son talent.
Ouverture et excellence
Le concert a remporté beaucoup de succès car, outre la prestation exceptionnelle des interprètes, il a surpris. Quel étonnant voyage dans les époques et les univers ! L’aspect pédagogique, un peu à la Jean-François Zygel, a d’ailleurs aussi été très apprécié par le public.
Démarrer par Brel (Vesoul) a mis d’emblée en confiance. Rien de tel pour rassembler. Puis, la Petite Suite de Richard Galliano, dans la lignée duquel il s’inscrit, a d’emblée donné le ton. Car, après Marcel Azzola, c’est ce géant qui a parachevé le travail d’ouverture, en mêlant l’accordéon à la chanson française, au jazz et au classique. Une référence, pour Félicien Brut.
Le programme de concert retrace l’histoire du « piano du pauvre », rappelle la perméabilité constante entre musique savante et musique populaire et met en lumière le métissage culturel du siècle dernier, fruit de tant d’innovations. L’accordéon, inventé en Autriche, d’abord fabriqué en Italie, transformé en Russie, est en effet arrivé grâce aux émigrés qui souhaitaient danser dans les cafés (tenus généralement, à l’époque, par les Auvergnats) sur leurs airs de prédilection. Mais les Parisiens l’ont vite adopté. N’associe-t-on pas couramment l’instrument à l’esprit « Parigo » ?
D’ailleurs, Sous le ciel de Paris, un des airs les plus connus de la musette, interprété en solo, est une pure merveille. Quel régal que ce medley de Valses de Paris ! Virtuose, Félicien Brut ne fait pas seulement swinguer son accordéon, il le fait chouiner et chuinter, nous faisant presque chialer, tellement c’est déchirant.Toutefois, il ne vole pas longtemps la vedette, préférant nous transporter sur les continents, avec ses amis. Après l’hommage à Satie et Debussy, un petit rappel : dans les années 1920, Prokofiev a écrit, spécialement pour l’accordéon, des concertos avec grand orchestre symphonique. D’Est en Ouest, Le Pari des bretelles a ensuite fait, avec Gershwin, un clin d’œil à l’arrivée des Américains à Paris, et leur influence sur le répertoire swing. La transcription de Thibaud Perrine pour sextet a d’ailleurs déclenché l’hilarité avec les klaxons, parfaitement rendus par l’accordéon, à la place des instruments à vent. Une partition très imagée mais quel rythme !
Éclectisme et générosité
Impossible de faire l’impasse sur l’Amérique latine ! L’hommage à Piazzola était touchant. Après avoir fait danser les Argentins dans les quartiers populaires, celui-ci a effectivement beaucoup contribué à faire redonner du lustre à l’accordéon, grâce à son enseignement en conservatoire, notamment à Fontainebleau. De son répertoire, l’un des plus joués au monde, deux tangos ont été extraits : un très rapide et une sorte de prière qui raconte aussi bien l’immense bonheur que l’infinie tristesse.
Félicien Brut a alors laissé place à Édouard Macarez, pour lequel la contrebasse n’a plus aucun secret, et a introduit la Suite Musette de Thibaud Perrine. Pour enrichir ce répertoire, à peine vieux d’un siècle, il a en effet ressenti la nécessité de passer commande à un compositeur vivant. Écrite pour accordéon et quintette à cordes, cette création spécifique est construite sur le modèle d’une suite de danses baroques et s’inspire de thèmes issus de la musette. Elle se compose de cinq mouvements, chacun dédié à un style de danse caractéristique : paso doble, valse, tango, cha-cha-cha, fox-trot, polka. Le dernier mouvement est vertigineux, comme la valse, qui fait souvent tourner la tête. Non seulement Le Pari des bretelles sait actualiser des œuvres phares, mais aussi proposer des transcriptions de qualité et enrichir le répertoire.
Non, l’accordéon n’a pas rendu son dernier souffle ! Avec Félicien Brut, l’accordéon prend de l’éclat car il en fait un instrument à part entière. De populaire, il devient savant et vice-versa. Ses allers-retours entre répertoire et création permettent d’innover, encore et toujours. Il est fort à parier qu’après avoir fait danser l’humanité toute entière, l’accordéon va continuer à en surprendre plus d’un, en étant là où personne ne l’attend. ¶
Léna Martinelli
Le Pari des bretelles
Avec : Félicien Brut, Édouard Macarez et le Quatuor Hermès composé de Omer Bouchez (violon), Élise Liu (violon), Yung-Hsin Chang (alto), Anthony Kondo (violoncelle)
Opéra de Vichy • 1, rue du Casino • 03200 Vichy
Le 4 août 2018 à 18 heures
Dans le cadre du Festival d’été
Billetterie : 19, rue du Parc • 03200 Vichy
Réservations : 04 70 30 50 30 • billetterie.opera@ville-vichy.fr • billetterie
De 5 € à 25 €
Le disque sortira chez label Mirare
Photos : © Manuel Braun
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Festival d’été, 1ère édition, à Vichy, par Léna Martinelli