« Le Pédé », Collectif Jeanine Machine, Festival Éclat, Aurillac

Le-Pédé-Jeanine-Machine © Rachel Paty

N’arrête pas ton char, Jeanine Machine !

Par Stéphanie Ruffier
Les Trois Coups

Alléluia et gay power ! Le tout nouveau collectif Jeanine Machine bat le pavé avec une puissante et joyeuse conviction. Cette déambulation qui rend visible les luttes LGBT+ est LE spectacle de rue militant qu’on attendait. Incarné, gai et hypersensible.

Brice Lagenèbre arrive tel qu’en lui-même : « Voilà c’est moi », annonce-t-il sans forfanterie au public. On l’a déjà vu tirer son épingle du jeu dans les spectacles du Groupe ToNNe ou de Marzouk Machine, la cousine et fée marraine de ce nouveau collectif. Pour la première fois, il est en solo aux côtés d’une technicienne de choc. D’emblée, il se situe : homme, blanc, cisgenre. Il prend soin d’élucider ce terme, mais ne prononce pas à voix haute le mot qui sent le soufre : pédé. Il faut le lire sur ses lèvres.

Son projet à lui ? Entraîner les spectateurices dans une marche des fiertés en plein cœur de ville. Mardi soir, lors de la générale, alors que le festival d’Aurillac n’a pas encore débuté, la foule est déjà au rendez-vous pour suivre la tumultueuse histoire des luttes dans les pas enthousiastes de Brice. Mener une telle jauge, quelle gageure ! C’est parti ! Las, le silence pèse lourd dans le cortège de tête : les manifs des premiers courageux militant·es n’étaient guère guillerettes.

Les pionnières passent devant

Heureusement, la suite remonte le moral des troupes. On bat le pavé avec les figures historiques du Fhar et d’Act up, on salue la visibilisation des pionnières du MLF et des Gouines rouges, on apprend plein de noms et de dates historiques en agitant des drapeaux et en chantant à tue-tête Dancing queen. Un sacré défilé de gueules ! Et nul misérabilisme, on piétine les stéréotypes sur le « douloureux problème ».

© Xavier Cantat

Véritable tour de force didactique émaillé de trouvailles dramaturgiques, ce spectacle nécessaire se souvient des émeutes de Stonewall en 1969, comme de l’hostilité de la CGT et du PC, lors des premières manifestations unitaires en France. Chapeau arc-en-ciel pour la truculente scène de radio animée par la réac Menie Grégoire sur RTL en 1971. Et comme toujours dans la rue, que de cadeaux du hasard ! Passage de la police montée en pleine scène de clandestinité, groupe de scouts au lointain, alors que la foule scande avec bonheur « des molécules pour qu’on s’encule ! », en compagnie d’une Sœur de la Perpétuelle Indulgence.

Sus à l’hétéro flic bourgeois

C’est vif, bien documenté, émouvant et incarné avec un plaisir gourmand par ce comédien qui a longtemps caressé le rêve de faire connaître les jalons de la reconnaissance LGBT. C’est désormais chose faite, et fort bien faite, avec cette déambulation qui a tout pour plaire : un sens aigu de la rue, du rythme, et une relation complice avec son cortège. Elle constitue aussi un acte essentiel d’empuissantement dans l’espace public. Même les débats chauds bouillants sur la représentation trans, la réappropriation culturelle ou le pink washing ne sont pas évités. On en ressort gai.es et fort.es !

Le théâtre de rue s’est peu risqué à traiter de l’homophobie. Jusqu’ici, c’était plutôt motus et bouche cousue. Ces dernières années, on a toutefois pu voir Stéphane Baup-Danty-Lucq (Cie GIVB) conter son douloureux coming out, dans Ne le dis surtout pas !, et Maxime Potard (Cie Muerto Coco) interroger avec ardeur la virilité et les stéréotypes de genre, dans Danser dans mon petit salon sans me poser de questions, deux solos qui peuvent fort bien s’accommoder de la salle. On avait été emportée par Projet Laramie, époustouflante enquête autour d’un sordide fait divers américain, menée avec maestria par la compagnie Jour de Fête.

Le collectif Jeanine Machine frappe donc un grand coup, y compris avec son titre sans concession, en s’attelant à l’Histoire, en mouvement de surcroît. Quelle magnifique traversée collective. Assurément, le pédé a un incroyable talent ! 🔴

Stéphanie Ruffier


Le Pédé, du Collectif Jeanine Machine

Site de la compagnie
Création collective dirigée par Brice Lagenèbre
Écriture : Brice Lagenèbre, Sarah Daugas Marzouk et Marlène Serluppus
Mise en scène : Sarah Marzouk, assistée par Marlène Serluppus
Avec : Brice Lagenèbre
Régie générale et scénographie : Céline Bertin
Création musicale : Marc Prépus et Nora Couderc
Durée : 2 heures (entracte compris)
Tout public à partir de 12 ans

Festival  Éclat • Aurillac (15)
Du 23 au 26 août 2023, pastille 85, à 18 heures
Billetterie sur le parvis du Conseil départemental et en ligne
Gratuit

Tournée :
• Les 31 août et 1er septembre, Festival Les Rias, à Clohars-Carnoët (29)
• Le 10 septembre, au Festival La Grande Côte en solitaire, à Lyon (69)
• Le 12 septembre, à Théâtre en cour(s), à Aubenas (07)
• Les 19 et 20 septembre, au Festival Merci Bonsoir, à Grenoble (38)
• Le 30 septembre, à la Centrifugeuse, à Pau (64)
• Les 27 et 28 octobre, au Festival Michtô, à Maxeville (54)

À découvrir sur Les Trois Coups :
Projet Laramie, Cie Jour de fête, par Stéphanie Ruffier
PLS, la Berroca, par Stéphanie Ruffier

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