Anamnèse
Par Fatima Miloudi
les Trois Coups
Ariane Ascaride propose une interprétation d’Esprit‑Madeleine Poquelin dans « le Silence de Molière », de l’écrivain et essayiste Giovanni Macchia, à la fois retenue et émouvante. La mise en scène rend néanmoins la fable quelque peu ennuyeuse.
La fiction met aux prises un jeune homme, formidable admirateur de Molière, et la fille du grand dramaturge, recluse dans l’enceinte d’un couvent. Désireuse d’échapper aux bruits d’un milieu qu’elle exècre, la voilà sommée, après une retraite volontaire, de rappeler à sa mémoire un passé douloureux par un inquisiteur qui ne voit en elle que l’occasion d’approcher l’écrivain à distance du temps. Cependant, la hargne du personnage, joué par Loïc Mobihan, est quelque peu surprenante. Et l’on se demande pourquoi des paroles sont lancées avec tant de violence. Le texte n’est pas théâtral dans son écriture originelle, et la forme choisie du dialogue, dans le contexte scénique, semble artificielle. Elle permet, certes, par le questionnement, de faire surgir la voix d’une figure féminine qui s’est retirée dans le silence. Pourtant, sur les planches, le parti pris d’une confrontation, de surcroît, agressive, paraît quelque peu factice. Le rôle imparti à Loïc Mobihan le condamne, par conséquent, à être un faire-valoir d’Ariane Ascaride.
La scénographie évoque la cellule d’un couvent, sol et murs gris ouvrant sur un ovale lumineux. Elle rappelle l’austérité monacale à laquelle voulait se vouer Esprit-Madeleine en opposition à la grande confusion du monde de son enfance, avec son indifférenciation entre vie jouée et vie réelle, et l’insécurité engendrée par une atmosphère de discorde et d’amour mêlés. Les meurtrissures, jusqu’à présent, dérobées aux yeux de tous, se révèlent progressivement dans la pénombre de la scène. Elles touchent partiellement le spectateur. La raison, sans doute, tient aux interruptions de la parole par des pauses scéniques qui fragmentent le discours. Si le parcours du personnage principal se construit par bribes et gagne en intensité, les intermittences du comparse, qui suggèrent le passage du temps, alourdissent un ensemble qui, par le décor et l’éclairage, est déjà suffisamment austère.
Énoncer les maux
L’arrière-plan historique et littéraire, inséré de manière non didactique, laisse entendre la voix d’une femme effacée, car rongée par le remords face au père et par l’infamie du libelle dit de « La fameuse comédienne », qui la désigne, innocente victime, comme le fruit d’un inceste. Ariane Ascaride sait joindre dans sa partition les élans d’amour pour le théâtre et l’abjection envers les aréopages artistiques, la solitude d’une jeune enfant invisible dans un cercle en perpétuel mouvement, la colère contre un Racine consacré… Elle joue avec une grande délicatesse les nuances intérieures d’une âme souffrante qui, pour la première fois, s’autorise à énoncer les maux. Le spectateur a, finalement, assisté à une anamnèse. Et cela est toujours émouvant. ¶
Fatima Miloudi
le Silence de Molière, de Giovanni Macchia
Traduction : Jean-Paul Manganaro, Camille Dumoulié
Mise en scène : Marc Paquien
Comédiens : Ariane Ascaride, Loïc Mobihan, voix de Michel Bouquet
Décor : Gérard Didier
Lumières : Dominique Bruguière
Costumes : Claire Risterucci
Musique et son : Xavier Jacquot
Coiffures, maquillages : Cécile Kretschmar
Collaboration artistique : Martine Spangaro
Régie générale et lumières : Pierre Gaillardot
Régie son : Patrice Fessel
Photo : Pascal Victor / ArtComArt
Production : Cie des Petites-Heures
Coproduction : Le Printemps des comédiens-Montpellier / Théâtre Liberté-Toulon / Comédie de Picardie-Amiens
Domaine d’O, amphithéâtre d’O • 178, rue de la Carriérasse • 34090 Montpellier
Réservations : 08 00 20 01 65
Jeudi 18 juin 2015 à 22 heures, vendredi 19 juin 2015 à 22 heures
Durée : 1 h 30
31 € | 26 € | 13 € | 10 €