Le bonheur d’être « spect-acteur »
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups
Pierre Notte, auteur, metteur en scène et interprète, théâtralise une conférence sur l’importance du rôle du spectateur.
Pour décor, un simple fil de lumière qui descend des cintres et forme un carré au sol, un tabouret, une paire de chaussures brillantes à hauts talons, un claviola, des gants de boxe rouges, un cerceau, un harmonica et une bouteille d’eau. C’est tout. Au bord du plateau, la salle encore allumée, le conférencier accueille le public. Il extrait d’un sac des livres qu’il dit ne pas avoir lus puis pénètre dans son espace de jeu.
Poursuivant son échange avec l’auditoire en enlevant son pull et son jean, il apparaît maintenant en chemise blanche et en pantalon noir tenu par de fines bretelles. Fugitive image d’un Karl Valentin, ironique et facétieux. Il ne joue pas une pièce. Il partage avec les spectateurs ses réflexions sur le statut… du spectateur. Affichant avec aisance ses connaissances du milieu théâtral, il truffe ses interventions enthousiastes ou acides de citations empruntées notamment à Gilles Deleuze, Jean-Luc Godard, Bernard-Marie Koltès, Patrice Chéreau, Joël Pommerat, Antoine Vitez, Olivier Py, Didier Sandre et Michel Bouquet. On cherche un peu les femmes dans cette liste, en dehors de Marguerite Duras et d’Ariane Mnouchkine.
Jouir du manque
Mais le plus important n’est pas cette litanie des illustres. Ce qui intéresse surtout Pierre Notte, ce sont celles et ceux qui l’écoutent à peine, ou qui toussent, ou qui s’assoupissent, ou qui s’agitent sur leurs sièges inconfortables, et qui ont payé leurs places. Qu’ils soient jeunes ou vieux, cultivés ou pas, pourquoi ont-ils fait l’effort d’être là ? Sa réponse est encourageante. Gavés de cinéma, de séries télévisées, d’images multiples charriées par notre société, ils vont au théâtre pour jouir du manque, combler des vides et inventer leur propre histoire à partir de ce qui leur est simplement suggéré, voire pas montré du tout.
L’acteur verse de l’eau à ses pieds et c’est un océan turbulent qui les embarque. D’un chapeau tombent quelques confettis blancs et c’est la neige qui les fait frissonner. Une voix off traverse la scène et c’est un personnage tout entier qui les interpelle. Pierre Notte rend à chaque spectateur sa liberté. Des pièges lui sont tendus, telles la nudité qui déconcentre, l’hystérie qui dilue le propos, la comédie des saluts qui, à la fin de la représentation, fait douter de « la sincérité » des comédiens. Un drôle de paradoxe, débattu de longue date.
Pour une fois que le public a le premier rôle, pour une fois qu’on lui reconnaît son art particulier, il faut vraiment faire l’effort d’assister à cette création malicieuse et savante qui prétend ne pas en être une. Il y manque de mon point de vue un peu d’empathie et de vrai talent d’acteur, mais on s’y laisse prendre volontiers. ¶
Michel Dieuaide
l’Effort d’être spectateur, de Pierre Notte
Le texte est publié aux éditions Les Solitaires Intempestifs
Texte, mise en scène et interprétation : Pierre Notte
Regard extérieur : Flore Lefebvre des Noëlles
Lumières : Eric Schoenzetter
Production : Compagnie des gens qui tombent
Avec le soutien du : Prisme D.S.N.-Dieppe scène nationale
Théâtre national populaire • 8, place Lazare-Goujon • Villeurbanne cedex
Réservations :04 78 03 30 00
Du 2 octobre au 19 octobre 2019
De 8 € à 25 €
Durée : 1 h 10
Reprise au Théâtre du Rond-Point :du 6 novembre au 1er décembre 2019