« Les affaires sont les affaires », les Célestins à Lyon

« Les affaires sont les affaires » © Simon Gosselin

François Marthouret, doré à l’or fin

Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups

Claudia Stavisky, directrice des Célestins à Lyon, met en scène « Les affaires sont les affaires », comédie en trois actes d’Octave Mirbeau sur les pouvoirs délétères de l’argent. Magistral dans le rôle-titre, François Marthouret évite la banqueroute au spectacle.

Succès jamais démenti de la scène française depuis plus d’un siècle, la pièce de Mirbeau, satiriste implacable des mœurs capitalistes, conserve aujourd’hui toute sa puissance critique. L’intrigue est simple. Isidore Lechat, bourgeois parvenu, n’a de cesse de chercher à augmenter sa fortune par tous les moyens. Spéculations, intimidations, magouilles, opportunisme politique et religieux, il manœuvre à merveille. Pour arriver à ses fins, il est prêt à payer le prix fort : élimination de ses concurrents, soumission de son épouse, fuite de sa fille et décès accidentel de son fils.

D’une simplicité féroce, le texte fonctionne comme un inexorable engrenage, et à notre époque où les Madoff, Tapie, Berlusconi, Dassault et Bettencourt illustrent à différents niveaux les pouvoirs délétères de l’argent, choisir de faire entendre de nouveau la parole de Mirbeau est une forme d’engagement artistique nécessaire et respectable. Malheureusement, la dramaturgie adoptée par la metteuse en scène affadit la peinture au vitriol du monde des affaires, telle que l’a voulue l’un des auteurs les plus libertaires du répertoire français.

La scénographie, belle mais inutilement imposante, assimile facilement grande fortune et grands espaces. Elle contraint les personnages à de longs déplacements vides de sens ou à une mise en place statique à la durée excessive. S’installe l’impression de se trouver face à une image hypertrophiée d’une représentation d’« Au théâtre ce soir ». L’utilisation d’un grand écran télé plat pour tenter de souligner la modernité du propos, avec en prime la voix de Stéphane Bern, spécialiste des informations surannées, semble en contradiction avec l’intention recherchée.

La mise en scène tient du simple constat

Ces options empêchent de faire jaillir la verve satirique de l’œuvre, sa violente charge contre le milieu de la finance, sa noirceur insatiable stigmatisant sans faiblir l’insolence des nantis et la soumission des pauvres. Apparemment, Claudia Stavisky a surtout concentré son effort sur le texte si bien qu’il est difficile de repérer son propre point de vue et que son élégante mise en scène tient du simple constat dénué de force critique. Reconnaissons-lui toutefois la pertinence de son adaptation qui a efficacement débarrassé le langage de ses pesanteurs dix‑neuvièmistes et le choix de François Marthouret pour incarner le rôle-titre.

En infernal brasseur d’affaires, François Marthouret, alias Isidore Lechat, sauve à lui seul le spectacle. Car s’il ne faut pas oublier dans la distribution les émouvantes apparitions de Geoffrey Carey (Vicomte de la Fontenelle, l’Intendant), et les trop rares moments où Marie Bunel (Madame Lechat), échappant au brushing qui masque son délicat visage, bouleverse par ses révoltes éphémères ou son désespoir figé, force est de dire que les autres interprètes ne sont guère à la hauteur de ces « Affaires ».

Mais revenons à Marthouret-Isidore Lechat. Cheveux teints comme un vieux beau, embonpoint mesuré de jouisseur impénitent, gestuelle calculée de défense ou d’attaque, il est ce félin redoutable inscrit dans son patronyme. Faussement endormi, l’œil constamment aux aguets, prêt à bondir et à rudoyer les siens ou ses adversaires, il régale de finesse et d’inventivité. Mielleuse ou acide, rentrée ou projetée, sa voix agit comme un poison. Cruel sans vergogne, tendre parfois, profond toujours dans sa logique personnelle, il soutient sans jamais faillir la détestable progression de son ambition démesurée. L’ultime séquence où il apprend la mort de son fils vaut la peine d’assister à la pièce jusqu’à son terme. Rage contenue, corps pris de spasmes, borborygmes déchirants et détermination à ne rien céder édifient un instant théâtral exceptionnel. Quand le rideau final tombe, on regrette que la magistrale interprétation de François Marthouret n’ait pas pu insuffler à l’ensemble du spectacle plus de folie, plus de sens critique, plus d’efficacité dramatique. 

Michel Dieuaide


Les affaires sont les affaires, d’Octave Mirbeau

Mise en scène : Claudia Stavisky

Avec, par ordre en scène : Marie Bunel (Madame Lechat), Lola Riccaboni (Mademoiselle Lechat, la fille), Éric Berger (Lucien Garaud), François Marthouret (Isidore Lechat), Stéphane Olivié‑Besson (Phinck), Alexandre Zambeaux (Gruggh), Geoffrey Carey (Vicomte de la Fontenelle, l’Intendant), Fabien Albanese (Xavier Lechat, le fils), Éric Caruso (Marquis de Porcellet)

Scénographie : Alexandre de Dardel

Assistante à la scénographie : Fanny Laplane

Lumière : Franck Thévenon

Costumes : Lili Kendaka

Son : Jean‑Louis Imbert

Vidéo : Laurent Langlois

Photos : © Simon Gosselin

Assistante à la mise en scène : Julie Guichard

Régisseur général : Joseph Rolandez

Régisseur plateau : Laurent Patissier

Régisseurs lumières : Daniel Rousset, Mustapha ben Cheikh

Régisseurs son et vidéo : Gilles Daumas, Isabelle Fuchs

Réalisation des costumes : l’atelier des Célestins

Construction du décor : l’atelier Albaka

Production : Célestins, Théâtre de Lyon

Coproduction : Théâtre de Carouge-Atelier de Genève, les Théâtres de la Ville de Luxembourg, Théâtre du Gymnase et Bernardines à Marseille

Avec le soutien du Grand Lyon, la métropole

Les Célestins • 4, rue Charles-Dullin • 69002 Lyon

Site du théâtre : www.celestins-lyon.org

Courriel de réservation : billetterie@celestins-lyon.org

Tél. 04 72 77 40 00

Représentations : du 1er au 26 mars 2016 et du 3 au 7 mai 2016, du mardi au samedi à 20 heures et le dimanche à 16 heures

Relâche : le lundi et le dimanche 6 mars

Durée : 2 heures

Tarifs : de 36 euros à 6 euros

À propos de l'auteur

Une réponse

  1. Claudia Stavisky se met au service du texte, et c’est très bien. Il faut arrêter avec cette idée du metteur en scène tout puissant pour qui le texte ne serait qu’un matériau parmi d’autres.
    Amicalement,
    N. B.

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