« Les Arrière-mondes », cie Mossoux-Bonté, Théâtre de la Cité Internationale, Faits d’hiver, Paris

Les-arriere-mondes-Mossoux-Bonté © julien-lambert

De la vie revenue ?

Par Léna Martinelli
Les Trois Coups

Âmes damnées ou mort.e.s-vivant.e.s, les mystérieuses figures de la compagnie belge Mossoux-Bonté vont occuper notre esprit pendant longtemps. Le spectacle « Les Arrière-monde » faisait l’ouverture du festival Faits d’hiver, qui fête cette année ses 25 ans.

Quels drôles de personnages ! Comme échappés de la nuit des temps, ils n’auront de cesse, pendant une heure, d’apparaître et disparaître, sortant métamorphosés des profondeurs de la scène, avant d’y retourner, encore et encore, pour y renaître, sous d’autres oripeaux. Seuls, désespérément seuls, sans lien avec quiconque, coincés dans des espaces séparés par des rideaux. Sans indice sur les raisons de leur présence, sans précisions sur qui ils sont, qui ils étaient, qui ils seront, nous sommes bien en peine de comprendre d’où viennent ces êtres et où ils vont, et même ce qui se trame là, sous nos yeux ébahis.

S’agirait-il de personnages en quête d’auteur ? Ces allées et venues mystérieuses et obsessionnelles peuvent déconcerter, voir agacer. Elles ouvrent aussi les portes de l’imaginaire car les artistes Nicole Mossoux et Patrick Bonté ont bien travaillé la dramaturgie. Entre le théâtre et la danse, la première (danseuse et chorégraphe) et le second (metteur en scène et dramaturge) se jouent des frontières : « Nous cherchons à atteindre des zones troubles, à interroger la présence en scène et ce qui se passe dans les marges, dans les arrière-pensées », expliquent-ils. Et finalement, leur langage hybride, proche de la performance, nous parle.

Couloirs de la mort, ou du temps, espaces des rêves ou des fantasmes, chacun peut voir dans ce spectacle ce qu’il veut. Quoi qu’il en soit, face à nous, ces messagers semblent vouloir témoigner. Toutefois, au seuil de notre monde, ils hésitent. Alors, leurs corps parlent pour eux. Secoués de spasmes, tordus, transis de froid ou de faim, ces êtres ont leurs épreuves chevillées aux corps. Ils portent sur eux, en eux, les stigmates des guerres, pestes et autres calamités. Chus d’on ne sait quelle catastrophe, rescapés des pires atrocités, ils traversent l’Histoire pour nous interpeler. Malgré leurs allures monstrueuses, ils sont nos frères et nos sœurs.

L’enfer sur terre

Leur sabbat évoque les tableaux hallucinés de Jérôme Bosch, les fantasmagories bouffonnes de Bruegel, mais aussi la sculpture funéraire. Le projet est né « d’une compassion pour les statues solitaires qui peuplent les cimetières et l’ennui qui les étreint », poursuivent Nicole Mossoux et Patrick Bonté.

D’où cette frontalité assumée et une chorégraphie minimaliste qui puise une matière brute dans des gestes ancestraux, des états. Mus par des intentions de jeu, les interprètes ont une gestuelle impulsive. Par petites secousses, la pierre se fait chair, mais sans extravagance, contrairement à leurs accoutrements baroques en diable ! Grâce aux changements de costumes, nous voilà en effet projetés de la cour du Roi Soleil à l’asile. D’abord ébouriffées, les coiffes perdent aussi en volume. Heureusement, l’autodérision prête à cette danse des ténèbres un aspect tragi-comique.

Choc visuel

Relevons le travail remarquable des masques qui ajoute une réflexion sur le double et les apparences. Également convainquant, les éclairages délimitent bien les différents espaces-temps, par des températures adaptées et de subtiles intensités. Quant à la scénographie, c’est la distanciation sociale qui a imposé la séparation par des pendrions. Malgré l’absence d’interactions entre les danseurs, source d’une petite baisse de tension dramatique, ces contraintes ont ouvert des pistes de recherche intéressantes : l’incommunicabilité, la présence et l’absence, le désir et le refus… Ces apparitions-disparitions du fond de scène agissent comme le va-et-vient de vagues plus ou moins puissantes.

Si la répétition peut lasser, ces figures nous happent (et nous hantent encore aujourd’hui). C’est réussi sur le plan plastique. Parmi les images saisissantes : l’effroi d’instants sur le vif, des corps qui disent l’affliction ou la sensualité, des jumeaux hydrocéphales, Gilles de Binche (personnage de carnaval en Belgique) masqué de noir, une femme sans tête, des anges chauves, une Méduse secrète…

La musique (plutôt un grésillement hanté de murmures) participe de cette inquiétante étrangeté. Pourtant, cet enfer ressemble tant à notre monde. Ne sommes-nous pas plongés dans le chaos ? L’arrière-monde, qui donne son titre au spectacle, est d’ailleurs un concept philosophique de Friedrich Nietzsche qui désigne les mondes supérieurs théorisés par un grand nombre de philosophes dans le but de dévaluer l’ici-bas. Faut-il sombrer dans l’éternité pour admettre une fois pour toute l’absurdité de nos vies terrestres ? Car il manque à ce tableau désespéré, les battements d’un ange, ne serait-ce qu’égaré entre les vestiges funéraires. 🔴

Léna Martinelli


Les Arrière-mondes, de Patrick Bonté

Site de la cie Mossoux-Bonté
Mise en scène et chorégraphie : Patrick Bonté et Nicole Mossoux
Avec : Dorian Chavez, Taylor Lecocq, Colline Libon, Lenka Luptakova, Frauke Mariën et Shantala Pèpe, en alternance avec Quentin Chaveriat et Flora Gaudin
Musique originale : Thomas Turine
Scénographie : Simon Siegmann
Costumes : Jackye Fauconnier
Masques, coiffes et maquillages Rebecca Florès-Martinez
Durée : 1 heure

Théâtre de la Cité Internationale • La Coupole • 17, bd Jourdan • 75014 Paris
Les 16 et 17 janvier 2023
De 7 € à 24 €
Réservations : 01 85 53 53 85 ou en ligne

Dans le cadre du festival Faits d’hiver, du 16 janvier au 18 février 2023

Tournée ici :
• Le 8 mars, Théâtre des Quatre Saisons, à Gradignan
• Le 7 juillet Festival Mimos, à Périgueux

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