« Les Essentielles », cie Madie Bergson, Théâtre de La Cité Internationale, Paris

Les-Essentielles-Faustine-Noguès-cie- Madie-Bergson 3© Christophe-Raynaud-de-Lage

Les Essentielles : dispensable

Laura Plas
Les Trois Coups

En dépit de bonnes idées de mise en scène et de scénographie, Les Essentielles use et mésuse de la satire et, sans trouver le ton juste, passe à côté de son sujet. La crise de croissance d’une artiste prometteuse ?

Une employée meurt sur la chaîne d’un abattoir. Suicide ? Accident ? On ne saura jamais. Mais les ouvriers refusent de décrocher son corps et se mettent en grève. Tel est le point de départ d’une pièce luxuriante où se mêlent la voix des employés et de leur manager, mais aussi celle du fantôme de la défunte, comme celles des vaches à qui cette dernière a désormais la capacité de donner une voix.

Il suffit de prendre connaissance de ce résumé, pourtant non exhaustif, pour deviner l’ampleur du sujet traité dans Les Essentielles par Faustine Noguès : la souffrance des animaux d’élevage, des humains, le management toxique. Et il nous semble justement que l’autrice et metteuse en scène en perd parfois le cap. On dira que toutes ces thématiques sont justement liées, que le traitement des vaches est à l’image de celui des humains. Sans doute, et Faustine Noguès ne se prive pas d’ailleurs pas de souligner à (trop) gros traits les analogies. Et sans doute aussi, la question du sort des ouvriers est-elle tout de même centrale.

Du lard ou du cochon ?

Cependant, la pièce dérive à l’image de son fantôme qui fait un crochet au bord du Gange dans la peau d’une vache sacrée, avant de devenir caisse de résonance des peurs et interrogations des bêtes de l’abattoir. On s’y perd, d’autant que la pièce baguenaude en des territoires fort différents. Des apparitions (inspirées du théâtre antique ?), de courts moments réalistes mais trop peu développés pour être crédibles, un moment de grand guignol sanguinolent coexistent avec de nombreux passages de satires.

Dans ce dernier registre, on connaît le talent de Faustine Noguès. Elle nous avait épaté avec son politique Surprise Party, mais ici la satire souffre de ne pas avoir le champ libre. Elle semble même déplacée après des moments plus oniriques ou réalistes. On a alors l’impression qu’on en fait trop : artificieux le discours en vers de la manager, excessif ce tire-lait qui l’assimile à une vache laitière au service de son patron, trop littérale cette réécriture du deus ex machina en patronus ex.machina.

De même, la direction d’acteurs semble tenter de compenser les faiblesses d’écriture par une excessive agitation. La manager gesticule, se contorsionne, mais avait-on besoin de ça pour la désigner comme un pantin et pour dénoncer ses pratiques ? Le public est-il si bête ? Que la violence sociale s’exprime dans les corps, c’est une évidence qu’il faut travailler davantage, ou mieux, pour parvenir à toucher un endroit de vérité.

En outre, deux des interprètes ont droit à leur morceau de bravoure, mais ils existaient trop peu auparavant pour nous toucher. L’énergie qu’ils déploient à froid tombe à plat. Même l’assimilation de l’humain à la viande d’abattoir, plutôt bien décrite ne donne lieu qu’à un dérapage à haut taux d’hémoglobine, qui fait rire ou horrifie, sans toucher. Les interprètes pourraient être mieux mis en valeur.

C’est dommage car la scénographie et la mise en scène présentent des trouvailles. Par exemple, la pièce s’ouvre sur une évocation fine du monde du travail par ses sons. Elle se clôt encore de manière grand-guignolesque mais percutante. La metteuse en scène nous convie même à expérimenter comme le personnage de fantôme de sa pièce une sorte de métempsychose olfactive. Faustine Noguès présente Les Essentielles comme un tournant dans son travail. on espère vraiment que ce n’est une crise de croissance.

Laura Plas


Les Essentielles, de Faustine Noguès

Le texte est édité chez L’Œil du Prince
Cie Madie-Bergson
Texte et mise en scène : Faustine Noguès
Avec : Estelle Borel, Odja Llorca, Caroline Menon-Bertheux, Faustine Noguès, Alexandre Pallu, Armande Sanseverino et Martin Van Eeckhoudt, avec la participation de Daniel Ragussi
Durée : 1 h 40
Dès 14 ans

Théâtre de la Cité Internationale • 17, boulevard Jourdan • 75014 Paris-
Du 5 au 16 décembre 2024 (relâches les dimanches), les jeudis et vendredi à 19 heures, les samedis à 18 heures, lundis, mardis et mercredis à 20 heures
De 7 € à 24 €
Réservations : 01 85 53 53 85 ou en ligne

Tournée :
• Les 19 et 20 décembre, au Théâtre Dijon-Bourgogne CDN (21)
• Le 28 mars 2025, au Théâtre Malraux de Chevilly-Larue (94)
• Du 3 au 4 avril, Espace Marcel Carné, à Saint-Michel-sur-Orge (91)
• Le 10 avril, Théâtre Jacques Carat, à Cachan(94)
• Les 15 et 16 avril, Château-Rouge, scène conventionnée d’Annemasse

À découvrir sur Les Trois Coups :
Faustine Noguès, festival off, Avignon, par Laura Plas

Photos : © Christophe Raynaud de Lage

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