Mourir ? Nous, jamais !
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups
Jean‑Pierre Bodin, Jean‑Louis Hourdin, Alexandrine Brisson et Clotilde Mollet défient le vieillissement et la mort sous la forme d’un collage théâtral savoureux mais quelque peu nonchalant.
Dès lors qu’un spectacle s’empare des questions universelles concernant la fin de vie, tout spectateur entre dans la salle, et c’est bien normal, avec ses propres références. Afin de préserver le contenu de la pièce, car il y a des surprises, voici avec lesquelles j’ai découvert le travail du collectif de La Mouline.
D’abord, Délicieuses frayeurs, recueil de nouvelles poétiques et surréalistes du récemment disparu Maurice Pons. Ensuite, les Trois Petits Vieux qui ne voulaient pas mourir de la dramaturge néerlandaise Suzanne Van Lohuizen. Enfin, les Vieux Fourneaux, la bande dessinée de Lupano et Cauuet. Et puis, ajoutons, par peur de l’oublier – déjà la vieillesse ? – les Vieux de Jacques Brel, histoire de s’apprêter à aller un jour « de la fenêtre au lit, du lit au fauteuil et du lit au lit ».
On l’aura compris, les Gravats abordent sans tabou ni mièvre compassion ce temps de l’existence où les forces physiques et mentales déclinent, où chacun sait qu’il doit se préparer au grand saut dans l’inconnu. Les trois comédiens – une femme, deux hommes – se montrent tels qu’ils sont dans la vie. Elle, naviguant sur les eaux incertaines de sa mémoire. Eux, s’efforçant de puiser dans ce qu’il leur reste d’énergie. Les personnages sont extrêmement touchants, capables de distance sur leur condition et inlassables pratiquants de l’humour en toutes circonstances. Tous trois se refusent à mourir avant d’avoir respiré jusqu’à la dernière minute l’air fortifiant de l’existence.
Pour nous faire mourir de rire et rire de mourir, Jean‑Pierre Bodin, Jean‑Louis Hourdin, Clotilde Mollet et Alexandrine Brisson ont choisi la voie du collage. Saynètes, inventaires, citations, chansons et chorégraphies composent de façon nonchalante leur création collective. C’est souvent réussi, mais ça donne parfois l’impression qu’on assiste, comme on dit au cinéma, plus à une projection de rushes qu’à un montage solide. La séquence de la recherche du titre du spectacle lui-même, l’étirement de celle des parties chorégraphiées ou la lecture in extenso de la charte des droits du mourant sont des exemples d’une réalisation qui explore encore son architecture définitive.
Toutefois, soyons honnête, j’ai vu les Gravats un soir de première et je ne doute pas que l’équipe de La Mouline va rapidement se ressaisir. En tout cas, elle a déjà en mains, et c’est d’importance, la qualité de ses interprètes. Clotilde Mollet, bouleversante quand sa vieille perd la mémoire, mutine quand elle retrouve le sens de l’humour, grave quand elle fait face aux faiblesses du corps, est une merveilleuse aïeule à qui on souhaite l’éternité. Jean‑Louis Hourdin, en vieillard résigné ou rebelle, transcrit à merveille toutes les émotions d’un homme né pour vivre, apte jusqu’au dernier souffle à mobiliser ses muscles pour défier la Camarde. Jean‑Pierre Bodin, en vieux magnifique dont on se dit qu’il ne fait pas son âge, irrigue la pièce de sa sagesse impertinente et poétique et rappelle avec finesse que le silence et l’écoute font partie intrinsèque du talent d’un acteur.
Les Gravats sont en fin de compte un bel antidote contre les pensées morbides. Une fois qu’ils auront fortifié les os du squelette de leur création, n’en doutons pas, la bande de La Mouline fera fuir la grande faucheuse et fera le plein des salles de théâtre. ¶
Michel Dieuaide
les Gravats, du collectif de réalisation : Jean‑Pierre Bodin, Alexandrine Brisson, Jean‑Louis Hourdin, Clotilde Mollet
Textes : Jean‑Pierre Bodin, Alexandrine Brisson, Clotilde Mollet et divers poètes
Avec : Jean‑Pierre Bodin, Jean‑Louis Hourdin, Clotilde Mollet
Travail chorégraphique : Cécile Bo
Costumes : Alexandrine Brisson
Construction : Jean‑Baptiste Herry
Régie : Jean‑Claude Fonkenel, Nicolas Forge
Production déléguée : La Mouline
Coproduction : La Mouline ‑ Jean‑Pierre Bodin, G.R.A.T., Célestins-Théâtre de Lyon, le Moulin du roc, scène nationale de Niort
Avec le soutien de la Maison des arts de Brioux‑sur‑Boutonne
Les Célestins • 4, place Charles‑Dullin • 69002 Lyon
Courriel : billetterie@celestins-lyon.org
Représentations : du 7 au 17 mars 2017 à 20 h 30, le dimanche à 16 h 30, relâche le lundi
Durée : 1 h 30
Tarifs : 23 €, 20 €, 15 €, 12 €