Requiem pour un clochard
Par Michel Dieuaide
Les Trois Coups
Emmanuel Meirieu adapte « les Naufragés », le récit d’une plongée totale de dix-huit mois sous une fausse identité parmi les clochards de Paris.
Du livre lucide et sans concession de l’anthropologue, philosophe et psychanalyste Patrick Declerck, paru en 2001, le metteur en scène Emmanuel Meirieu extrait un monologue implacable et poignant qui entraîne le spectateur dans une violente descente aux enfers. C’est le monde de ceux qu’on appelle aujourd’hui les sans-abri, les sans domicile fixe, voire les « sans-dents » qui s’impose à nos yeux et à nos oreilles. À coups d’images, de sons et de mots terribles et obscènes, l’auteur et le dramaturge décrivent l’insoutenable existence de celles et ceux que la misère, l’alcool, le vol et le viol réduisent à une inhumaine condition. Cynique jusque dans son vocabulaire, notre société organise des maraudes pour les ramasser et se déculpabiliser le temps d’une nuit, avant de les rejeter dans la rue. La difficulté même d’une réinsertion pour ces personnes prises dans une dynamique d’exclusion fait douter qu’il puisse y avoir une vie avant la mort. Glaçant !
Splendeur et dénuement
Emmanuel Meirieu choisit judicieusement de jouer hors d’un théâtre. Une friche industrielle accueille ses « naufragés ». Un obsédant panneau sur lequel sont inscrits les termes « Arrivage-Départ » reste éclairé tout au long du spectacle. On l’aura compris, les clochards sont assimilés à des bestiaux qu’on trie, qu’on lave au jet, qu’on nourrit à peine et dont on se débarrasse au plus vite. Autre choix pertinent : le récit se développe autour d’un micro perdu dans un immense espace de sable sur lequel s’est échoué un voilier, métaphore pathétique de rêves illusoires d’évasion.
La conjugaison saisissante du trivial et du poétique donne à la représentation la dimension d’un opéra à la mémoire des plus démunis. Et puis il y a la magistrale interprétation de François Cottrelle, le comédien à l’origine du projet. D’apparence aussi fatigué que ses vêtements, à l’abri de ses lunettes embuées, économe de ses gestes, il confie au micro d’une voix pudique le récit de son calvaire au milieu de ses frères et sœurs déchus, et celui de sa quête inlassable pour retrouver la tombe d’un ami de galère. François Cottrelle émeut jusqu’aux larmes par son jeu tout en retenue. À noter qu’une fois de plus, comme dans Mon Traître, sa précédente création, Emmanuel Meirieu démontre sa capacité à collaborer avec des interprètes d’excellence.
Pour des raisons techniques et financières, les Naufragés pourrait tourner la saison prochaine dans une version réduite scénographiquement. Triste hypothèse. Que les programmateurs éventuels se mobilisent ! Qui peut croire qu’il n’existe pas assez de friches en France et que la location ou l’achat de quelques tonnes de sable est un obstacle insurmontable pour faire découvrir aux publics un des plus nécessaires et impressionnants spectacles des Nuits de Fourvière. ¶
Michel Dieuaide
Les Naufragés. Avec les clochards de Paris, de Patrick Declerck
Le texte publié en 2001 a été réédité en poche, aux éditions Pocket, en 2003
Mise en scène : Emmanuel Meirieu
Avec : François Cottrelle
Adaptation : François Cottrelle, Emmanuel Meirieu
Musique : Raphaël Chambouvet
Costumes : Moïra Douguet
Lumière, décor, vidéo : Seymour Laval, Emmanuel Meirieu
Son : Raphaël Guenot
Photo © Loll Willems
Production : Le Bloc Opératoire, La Comédie Odéon
Coproduction : Les Nuits de Fourvière, Le Radiant-Bellevue
Halle Debourg • 47,avenue Debourg • 69007 Lyon
Billetterie : 04 72 32 00 00
Du 5 au 23 juin 2018 à 21 h 30, sauf dimanche et lundi
Durée : 1 heure
De 16,50 € à 22 €