L’amour à en mourir
Trina Mounier
Les Trois Coups
Dans « Les petites Filles modernes », Joël Pommerat s’attache au sort de deux très jeunes filles qu’une amitié passionnée unit dans un monde qui exclut et punit les attachements déraisonnables. Un conte fantastique déstabilisant.
Qu’il s’empare des contes célèbres ou d’une actualité inquiétante, Joël Pommerat s’intéresse avec empathie aux adolescents et dénonce une société cruelle qui les confronte très tôt à des réalités brutales bien loin des images rassurantes. Dès les premières images, la violence est partout. Dans les décors nus, crépusculaires, du scénographe et créateur lumières Éric Soyer, qui sculpte le plateau comme un tableau abstrait, avec des effets très esthétisants qui ne donnent aucun repère : figures géométriques qui se croisent à perte de vue et cercles concentriques qui enferment plus sûrement qu’un cadenas. Dans la musique omniprésente, presque trop forte parfois.
Dans l’histoire, aussi, qui commence par un conflit. Plus précisément une de ces relations vénéneuses qui s’installent dans les établissements scolaires. Jade, composée avec sensibilité et douceur par Coraline Kerléo, est harcelée par Marjorie, écorchée vive, rageuse et déjà sacré bout de femme, incarnée par Marie Malaquias. Exclusion du collège pour cette dernière qui n’a pas dit son dernier mot et va s’introduire de nuit dans la chambre de Jade. Pour lui faire quoi ?

Mais rien ne se passe comme on l’attendait : Marjorie et Jade s’éprennent d’une amitié absolue. Elles vont la vivre contre le monde des adultes qui n’apparaissent jamais sur scène et uniquement pour des rappels à l’ordre. Sauf un, vieillard claudiquant aux béquilles inquiétantes, manifestation d’un monde parallèle et imaginaire dans lequel elles vont entrer. Là, une voix d’enfant gémit, suppliant qu’on la délivre du sort qui l’enferme dans une grande boîte de métal à perpétuité, éternellement jeune, pour avoir aimé. Le vieillard, c’est l’amoureux qui est resté à l’extérieur, victime du temps, et qui l’attend. L’amitié passionnée serait-elle un refuge à ces adolescentes qui refusent de grandir ?
Vertiges
Dans cette pièce, le temps n’est pas fluide. Chaque tableau est séparé du suivant par un noir complet qui nous laisse dans le flou. Il est bien difficile de suivre un récit qui évolue au rythme du cauchemar. Sans doute est-ce voulu, mais parfois déconcertant pour le spectateur.


Nous ne dévoilerons pas le dénouement (car il y en a un, ce qui veut dire qu’il existe un sens, une issue à ce récit, ce « roman », comme l’appelle l’auteur !). Cela vaut donc la peine de s’accrocher, de se laisser emporter dans un tourbillon dont nous sommes les spectateurs séduits et tétanisés. D’autant que la fin du spectacle, bien que dessinée à l’abri de grands panneaux de plastique transparents, révèle une réalité que rien ne nous permettait de supposer. Un retour sur terre qui nous sort du conte, du cauchemar aussi : Jade et Marjorie ont grandi, mais la dernière image, superbe, donne toute son importance à l’amour qui permet de grandir et de s’affranchir.
Trina Mounier
Les Petites Filles modernes, Joël Pommerat
Cie Louis Brouillard
Texte et mise en scène : Joël Pommerat
Avec : Éric Feldman, Coraline Kerléo, Marie Malaquias
Et les voix de David Charier, Roxane Isnard, Garance Rivoal, Pierre Sorais, Faustine Zanardo
Scénographie et lumière : Éric Soyer
Création vidéo : Renaud Rubiano
Son : Philippe Perrin, Antoine Bourgain
Collaboration artistique : Garance Rivoal
Costumes : Isabelle Deffin
Perruques : Julie Poulain
Collaboration à l’écriture : Zareen Benarfa
Musique originale : Antonin Leymarie
Durée : 1 h 30
TNP Théâtre National Populaire • 8, place Lazare Goujon • 69100 Villeurbanne
Du 22 novembre au 10 décembre, du mardi au vendredi à 19 h 30, le samedi à 18 heures, le dimanche à 15 h 30, relâche lundi
Tarifs : de 10 € à 26 €
Réservations : Billetterie • Tel. : 04 78 03 30 00
Tournée :
• Du 18 décembre 2025 au 24 janvier 2026, Nanterre Amandiers CDN
• Du 11 au 15 février, L’Azimut Théâtre La Piscine, à Chatenay-Malabry
• Les 19 et 20 février, L’Agora scène nationale de l’Essonne, à Évry
• Les 4 et 5, mars, Espaces pluriels scène conventionnée Art et Création Danse, à Pau
• Les 24 et 25 mars, Maison de la Culture de Bourges scène nationale
• Les 8 et 9 avril, Le Canal Théâtre, Pays de Redon
• Du 14 au 18 avril, Comédie de Genève, avec le Théâtre Am Stram Gram (Suisse)
• Les 23 et 24 avril, PBA Palais des Beaux-Arts de Charleroi (Belgique)
• Les 29 et 30 avril, MCA scène nationale, à Amiens
• Les 5 et 6 mai, Les Salins scène nationale, à Martigues
• Du 20 au 22 mai, Le Bateau-Feu scène nationale de Dunkerque
• Du 3 au 18 juin, TNS, à Strasbourg
À découvrir sur Les Trois Coups :
☛ Contes et légendes, de Joël Pommerat, par Trina Mounier
☛ Cendrillon de Joël Pommerat, par Élisabeth Hennebert
Photos : © Agathe Pommerat


