« Les Portes du paradigme », Gédéon, Les Zaccros d’ma rue, Nevers

Portes du Paradigme-Gédéon © Michel-Wiart

L’heure blues

Par Stéphanie Ruffier
Les Trois Coups

Clown en phase critique, Gédéon peine à s’extraire de sa salle de bain, comme de son spectacle. Alors il commence par la fin. Convoquant Laure Adler, Deleuze, ou encore Artaud, il nous offre une belle introspection faussement brouillonne, assurément référencée et pourtant généreuse à souhait.

Dans une cour d’école, à la nuit tombée, le rideau de douche se lève : un tancarville, un fauteuil, trois miroirs pendus à un arbre… Nous sommes chez Gédéon qui a bien du mal à (s’en) sortir. D’ailleurs, femme et enfant s’impatientent derrière la porte : il s’y est réfugié depuis cinq jours ! Dans cet intérieur minimaliste, il vient de finir le spectacle et embraie direct sur une rencontre public. Une sorte de double de lui-même assure le dialogue, en bord plateau, avec des voix qu’il prend également en charge. Vous avez dit schizophrénie ? D’emblée, il donne le ton : spéculaire, autotélique, narcissique. Il commente : « Ce n’est pas vraiment un spectacle. Tu devrais dire tentative, projet, performance, expérience… ».

Mise en demeure et en abîme

Auto-enfermé, pas délivré du tout, le personnage s’interroge sur la forme qu’il a choisie : « se mettre en slip et raconter des conneries pendant une heure et demi ». Son clown « pas émergeant », construit par touches sales et parfois méchantes, confesse ses erreurs. Certes, sa proposition est hétéro-centrée, mais il cherche « le sens et le sang ». Il est « ce cheveux gras qui flotte dans la soupe du théâtre contemporain ». Et ma foi, il touche souvent au sublime.

Le voilà donc en dialogisme constant avec des figures qui défilent dans son dos ou dans son imaginaire : une actrice porno américaine, Patrick Dewaere, Kant… Même sa panière à linge lui parle : à l’intérieur, la voix de la journaliste Laure Adler commente sa création artistique. On savoure un plaisir (coupable?) d’happy few. On nage dans un bain amniotique, où coqs à l’âne et autres associations servent de liant. Ambiance divan psychanalytique.

Gratter le palimpseste

Qu’est-ce qu’un clown ? Un type qui nous fait rire de ses souffrances ? Un miroir de nos galères ? S’il joue avec sa matière et sa discipline, Nicolas Dewynter se met véritablement à nu, soutenu par moult trouvailles plastiques. On l’avait déjà vu, la bite en hélicoptère, dans la déroutante Divertisserie, bonbon vénéneux de la Cie SF qui interrogeait, elle aussi, notre rapport à la consommation de spectacles – et à la banlieue. Et c’était bien trash !

© Suzy Lagrange

Le corps est toujours très engagé. Ici, on sent de surcroît les secousses amères et durables du confinement, l’acide de la distinction entre essentiel et non essentiel, ainsi que les ornières de la vie de couple. Comment sortir du sens vacillant de l’existence ? Du poids des images ? Comment se tenir debout, malgré tout ? Faire sa toilette, c’est rigolo et ce n’est pourtant pas de la rigolade. Le titre alambiqué nous avait prévenus.

Gédéon se tient à califourchon sur la branche des clowns en délicatesse psychologique et en détresse psychiatrique. Tiphus Bronx, Elsa Foucade, le Michel de Louis Zampa, la Moumoute de Kabinet… Ils sont nombreux dans les arts de la rue, ces solitaires qui creusent les errances du je, la violence de la vie, la place de l’asocial et du paumé un peu branque.

Gédéon aborde cette marginalité en l’associant à un questionnement sur le fait théâtral, lui-même. Pourquoi jouer et que signifier ? Quel est ce masque qui nous tient lieu de double grotesque ? Est-ce la société (du spectacle) qui nous en affuble ? Et qui sont ces psychopathes qui le regardent ? Cette proposition férocement drôle sonne sincère, profonde… et un brin désespérée. Nous sommes au théâtre de la cruauté. 🔴

Stéphanie Ruffier


Les Portes du paradigme, de Gédéon

Site de la compagnie
Écriture et interprétation : Nicolas Dewynter
Regards extérieurs : Séverine Douard, Zaïna Zouheyri
Voix off : Cécile Buchez et Zélie Dewynter
Masques : Jean-Paul Dewynter
Musique originale : Joe Vitterbo
À partir de 12 ans

Dans le cadre du festival Les Zaccros d’ma rue • 58000 Nevers
Du 2 au 9 juillet 2023
Spectacles gratuits

Tournée :
• Le 10 novembre, Pas trop loing de la Seine, à Moret-sur-Loing (77)
• Le 7 mars 2024, Théâtre Mansart, à Dijon (21)

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