Bulletin no 8 : en librairie…
Par Rodolphe Fouano
Les Trois Coups
Monographies, biographies, mémoires, réédition de classique…
Dans les coulisses de la Comédie-Française, de Lætitia Cénac, dessins de Damien Roudeau
Éditions de La Martinière, « Histoire et société », 2016
À l’opposé des « beaux livres » de photos sur papier glacé qu’on feuillette paresseusement, ou des ouvrages universitaires si souvent soporifiques, le reportage de la journaliste Lætitia Cénac dessiné par Damien Roudeau est passionnant. Il ravira les curieux soucieux de découvrir le fonctionnement des trois salles de la Comédie-Française, le premier de nos cinq théâtres nationaux fondé en 1680, sept ans après la mort de Molière. Sa triple spécificité (troupe permanente, théâtre de répertoire et alternance) est expliquée avec clarté et un sens pédagogique qui n’ennuie jamais. Comment intègre-t‑on la troupe ? Quelle est la différence entre un pensionnaire et un sociétaire ? Quel est le rôle du doyen ? À quoi sert le « semainier » ? Qui choisit les pièces qui entrent au répertoire ? Comment sont attribuées les loges ? Où et par qui sont construits les décors ? Quand décide-t‑on qu’un décor peut être détruit ? Comment sont organisées les répétitions ? Voilà quelques-unes des questions traitées. L’ouvrage a aussi le mérite, conformément à son titre, de rendre hommage aux travailleurs de l’ombre, peu connus du grand public, sans lesquels les spectacles n’existeraient pas : coiffeurs, couturiers, tapissiers, techniciens et machinistes, services administratifs, directeur technique, responsables de l’accueil, du protocole, de la presse, etc. Les métiers du plateau font l’objet d’un développement particulier qui permet de découvrir de l’intérieur l’envers du décor, la fabrique de l’illusion et le fonctionnement de la scène. La Comédie-Française apparaît telle une ruche de 400 abeilles (l’effectif du personnel) qui produit 800 représentations par an réparties entre la salle Richelieu, le Vieux-Colombier et le Studio-Théâtre.
À l’exception d’une référence à Jean Vilar (p. 230) non contextualisée, qui tombe comme un cheveu sur la soupe, et d’une bibliographie manquant pour le moins de rigueur, la promenade est belle, fort belle (sic) même. L’on y croise bien évidemment le « capitaine Ruf », actuel administrateur général depuis août 2014, Gérard Giroudon, le doyen, la benjamine, Rebecca Marder, qui n’a que 20 ans, Claude Mathieu, qui détient le record de longévité au sein du « Français », mais aussi Denis Podalydès, Michel Vuillermoz, Dominique Blanc et tous leurs camarades. Répertoire complet de la troupe en fin de volume et succincte chronologie de la Maison de Molière. Le « reportage dessiné » est assurément un plaisant concept.
240 p., 29 €
Pour en savoir plus sur la Comédie-Française :
www.comedie-francaise.fr/
l’Effort d’être spectateur, de Pierre Notte
Les Solitaires intempestifs, 2016
Le texte a pour origine une conférence donnée par Pierre Notte à Tokyo, au cours de l’été 2015. Le titre ne manque pas d’audace, ni de provocation. Les chapitres proposent un vrai chemin de croix, une déclinaison du spectateur dans tous ses états. Au hasard : « les poils », « l’inutile », « la toux » ou encore « le sommeil », position qualifiée de « presque critique » quand le spectacle est ennuyeux… Et comment nier qu’il l’est souvent ?
Une divagation subjective en 34 volets, à l’image de l’auteur, personnalité sympathique et iconoclaste du paysage théâtral français. Ancien journaliste, ex‑secrétaire général de la Comédie-Française, auteur associé au Théâtre du Rond-Point, auteur dramatique original (on lui doit en particulier Moi aussi je suis Catherine Deneuve et Pour l’amour de Gérard Philipe), metteur en scène, romancier, compositeur, parolier, chanteur, Pierre Notte est tout cela à la fois et plus encore. Tendre et drôle parfois, pudique toujours, notamment à l’endroit de la famille, ou lorsqu’il évoque sa « voix manquante », son « souffle éraillé », l’aphonie qui l’ont fait écrire, cruel souvent, il fixe ici mine de rien (et c’est bien là sa patte et son talent) les ridicules et les usages d’un secteur qu’il connaît parfaitement, non sans autodérision quant à sa vocation personnelle et ses propres comédies et « farces à chansons » qu’il qualifie de « merdouilles ». Une humilité que l’on aimerait voir plus largement partagée !
94 pages, 15 €
http://www.solitairesintempestifs.com/livres/605-l-effort-d-etre-spectateur.html
Pièces de Pierre Notte à l’affiche, saison 2016-2017 :
- C’est Noël tant pis à la Comédie-des‑Champs-Élysées (depuis le 26 janvier 2017)
www.comediedeschampselysees.com/spectacles/85/C-est-Noel-Tant-Pis - Vera d’après Petr Zelenka au Théâtre de la Ville / Abbesses (23 mars-8 avril 2017)
http://www.theatredelaville-paris.com/spectacle-veraelisevigiermartialdifonzobo-1006
Roger Planchon
Introduction et choix de textes par Michel Bataillon
Actes Sud-Papiers, coll. « Mettre en scène », 2016
Chef de troupe, acteur, metteur en scène, auteur, réalisateur, Roger Planchon (1931-2009) dirigea successivement trois théâtres : la Comédie (1952-1957), la Cité (1957-1972) et le T.N.P. (1972-2002). Planchon prisait le caractère essentiellement éphémère du théâtre, rêvant « d’un théâtre qui n’aurait pas de mémoire ». Il aurait volontiers tout brûlé ! Il aimait le silence et la nuit, ce n’est sans doute pas sans rapport. Les historiens du théâtre l’ennuyaient et plus généralement tous les discours sur l’art. Faire, et non pas commenter, est le propre de l’artiste. Ses archives, ou ce qu’il en reste, ont cependant atterri au département des Arts du spectacle de la B.N.F., réunies depuis dans un « Fonds Planchon » sur lequel veillent des conservateurs patentés.
Michel Bataillon, compagnon de route arrivé à Villeurbanne en 1972, explique, dans son introduction, en quoi consistait le fameux « travail à la table » : une lecture sans jeu, sans intention, pour ne pas enfermer le texte dans un sens unique, mais en découvrir les contradictoires richesses. Créateur en France de la Bonne Âme de Se-Tchouan en 1954, le metteur en scène brechtien, refusant l’approche psychologique traditionnelle des personnages autant que le moralisme petit-bourgeois, reste dans l’esprit de tous l’un des piliers de la décentralisation théâtrale, dont les « relectures » de Molière (tout particulièrement du Tartuffe et de George Dandin) ou la Mise en pièces du Cid sont des références mythiques.
Michel Bataillon a composé ce bref ouvrage en réunissant des entretiens que Planchon avait eus avec Jean Mambrino, Jean‑Jacques Lerrant, Bernard Villeneuve, Catherine Unger, Jean Deloche, Olivier Schmitt ou encore Gilles Costaz, notamment. Dans l’échange avec ce dernier qui date de 1996, Planchon commente le fait que Jean Vilar ait « abandonné le T.N.P. » en 1963, trouvant cela « extraordinaire ». Lui déclare se sentir plus proche de la morale de la Chèvre de M. Seguin, l’animal se battant avec le loup jusqu’à la mort. Comme Dullin. Ce que fit aussi Planchon, s’écroulant quelques instants après avoir lu à voix haute son ultime pièce, Sade, dyptique, conçue en collaboration avec Max Schoendorff.
Avant des repères biographiques et une bibliographie sélective, on découvre en fin de volume quelques fragments inédits d’une espèce de « journal nocturne » que Planchon a tenu de façon discontinue entre 1965 et 1980, et que son épouse et leurs enfants ont retrouvé après sa mort. On peut y lire : « Au théâtre tout discours didactique, si éblouissant soit‑il, est toujours une façon de contourner l’obstacle, ou déplacement. On croit décrire la montagne en écrivant sur la montagne pour éviter de les grimper. » C.Q.F.D.
106 pages, 14 €
http://www.actes-sud.fr/catalogue/essais-et-ecrits-sur-le-theatre/roger-planchon