Bulletin no 9 : en librairie…
Par Rodolphe Fouano
Les Trois Coups
Monographies, biographies, mémoires, réédition de classique…
Au cœur du réel, d’Éric Lacascade
Actes Sud-Papiers, coll. « Le Temps du théâtre », 2017
En mêlant théâtre d’art et théâtre politique, le comédien, metteur en scène et directeur de compagnie Éric Lacascade nourrit l’utopie qui vise la transformation des modes de travail et la refondation du modèle du théâtre public français. Accompagné par Carole Guidicelli qui a rédigé une brève introduction, il retrace ici son itinéraire, racontant comment le théâtre lui est très tôt apparu « comme un mode de vie et comme un moyen d’action politique ».
Après des débuts dans le théâtre militant qui le conduisirent à la codirection de la compagnie Ballatum Théâtre avec Guy Alloucherie (ils ont créé ensemble le fameux spectacle Si tu me quittes, est‑ce que je peux venir aussi ? en 1988) puis à la direction de la Comédie de Caen de 1997 à 2007, Éric Lacascade assume la responsabilité pédagogique de l’école du Théâtre national de Bretagne (T.N.B.) depuis 2012. Disciple de Grotowski avec lequel il précise sa relation et dont il analyse l’apport dans son propre travail, homme d’expérimentation et artiste engagé, Lacascade, à travers les laboratoires et les stages, a cherché à concevoir une école nationale supérieure d’art dramatique qui ne soit ni « normative ni soumise aux impératifs du système de production […] se situant tout à la fois au cœur de l’acte de création et au cœur du réel », formule qui donne son titre à l’ouvrage.
Lui qui a beaucoup appris de la rue s’interroge sur l’ensemble des modes de transmission, conduisant une réflexion souvent pertinente sur le rôle d’une école d’art dramatique, tout autant que sur l’institution théâtrale elle-même qu’il fréquente sur le mode du « Je t’aime, moi non plus ». Les hypothèses développées en fin de volume, présentant (trop rapidement) des voies possibles pour le théâtre d’art, comme l’insurrection, la dissidence ou la sédition, font sourire sous la plume d’un artiste somme toute dans le système, même s’il pose comme principe qu’il faut échapper aux valeurs des « dominants ».
Quoi qu’il en soit, parallèlement à ses responsabilités pédagogiques, Lacascade poursuit avec talent ses mises en scène, notamment du répertoire russe, tant en France qu’à l’étranger, tentant toujours de « faire converger le désir de l’expérimentation artistique et celui de la refondation politique », bref d’inventer de nouveaux modes de partage. Utopie, quand tu nous tiens…
208 p., 15 €
http://www.actes-sud.fr/contributeurs/lacascade-eric-0
Pour en savoir plus :
Éric Lacascade met en scène les Bas-fonds de Gorki au T.N.B. de Rennes, du 2 au 11 mars 2017
http://www.t-n-b.fr/fr/saison/les_basfonds-1003.php
Plus tard, je serai un enfant, d’Éric‑Emmanuel Schmitt
Entretiens avec Catherine Lalanne
Bayard, coll. « L’Atelier de l’enfance », 2017
Parce qu’il a horreur des confidences et qu’il préfère « faire » plutôt que « dire », Éric‑Emmanuel Schmitt avait toujours refusé jusque‑là le principe d’un livre d’entretiens. Catherine Lalanne, journaliste à l’hebdomadaire Pèlerin et directrice d’une nouvelle collection chez Bayard, est venue à bout de ses réticences en le convainquant que l’enfance des artistes est « le véritable atelier de leur création ». Voici donc, au fil de 159 pages d’un petit format, un récit autobiographique qui répondra à la curiosité des lecteurs de l’écrivain né sur la colline de Fourvière en 1960, l’un des auteurs dramatiques français vivants les plus joués dans le monde.
Fils de professeurs (et sportifs de haut niveau), normalien, agrégé de philosophie, docteur de l’Université (il a consacré sa thèse à Diderot), Schmitt ne s’étend guère ici sur ce bagage. Un certain populisme lui fait balayer d’un revers de main ses hautes études. Ce qui compte, assure-t‑il, c’est l’audace, l’innovation, l’imagination, en un mot l’enfant sauvage enfoui en lui, et comme rescapé du conformisme académique. « L’enfant vit en moi », écrit‑il, avant de développer, dans un style inimitable : « S’il réussit sa vie, l’adulte devient le fils de l’enfant qu’il fut ».
On suit le gamin dans son apprentissage, avec un goût précoce de la lecture (notamment Dumas, Maurice Leblanc) et même de l’écriture puisqu’il compose son premier roman à l’âge de 11 ans. Il découvre le théâtre lorsque sa mère le conduit à une représentation de Cyrano de Bergerac de Rostand, avant de développer une boulimie pour Corneille, Racine, Hugo, Shakespeare… À l’adolescence, il lit presque un livre par jour ! Une adolescence résumée comme une « passe difficile », avec la tentation suicidaire à l’âge de 15 ans. Mais comme d’autres sont sauvés par l’arrivée de Zorro, Éric‑Emmanuel le fut par Mozart. « Pourquoi abandonner un monde habité par une musique si sublime ? » s’interroge-t‑il page 60. C’est vrai, il suffisait d’y penser. « S.O.S. suicide » devrait passer en boucle sur un répondeur les Noces de Figaro ! Bien des vies en seraient sauvées… Plus sérieusement, Schmitt confie : « L’écrivain que je suis est habité par la nostalgie du compositeur que je n’ai pas été », avant d’ajouter : « Mon écriture doit beaucoup à la fréquentation de Mozart » (sic).
On l’aura compris, ces entretiens prêtent souvent à rire. Ils raviront pourtant les curieux qui découvriront dans quelles circonstances Éric‑Emmanuel Schmitt écrivit sa première pièce de théâtre (demeurée inédite) : Grégoire ou Pourquoi les petits pois sont‑ils verts ? Un texte à la manière d’Obaldia, de Vitrac et d’Ionesco réunis, commente-t‑il. Modestie, quand tu nous tiens… Suivront, on le sait, beaucoup plus tard, la Nuit de Valognes, avant le Visiteur qui le révélera au grand public et tant de succès ensuite, joués à travers le monde.
Les règles de la réussite sont impénétrables, et notre auteur le sait bien. Pourtant, il surfe désormais sur la vague. Page 81, transparaît son secret : retravailler les mythes, rejoignant en cela la tradition antique et échappant, par un humanisme parfaitement maîtrisé, à l’étroitesse franco-française. Les thèmes qu’il traite sont en effet universels et mêlent « le sérieux et l’humour, la profondeur et la légèreté ». D’où cet optimisme qui sonne comme une marque de fabrique…
Plus loin, l’auteur parle de la grâce, bien sûr, du Christ (« Son humanité me bouleversa. ») et de la contemplation, des sujets qui lui sont familiers. L’ouvrage se clôt sur un rapide entretien mené par Catherine Lalanne avec la mère de l’écrivain, agrémenté d’un album réunissant des photos issues d’archives familiales. Un kit parfait pour fan-club qui ravira ses admirateurs.
Au final, on reste frustré que les contradictions de Schmitt ne soient jamais soulignées, fût‑ce avec bienveillance, que son évolution vers la mise en scène, l’interprétation par lui-même de ses textes, ne soient pas analysées. On regrette qu’il ne soit pas interrogé non plus sur le temps et les circonstances de l’écriture, sur l’art de la composition, etc. Des questions légitimes plus intéressantes que celles qui concernent ses chats et ses chiens et que la journaliste ne manque pas de formuler ! Bref, de bout en bout, l’ogre Schmitt maîtrise tout. Comme à son habitude. Dans ces conditions, plutôt qu’un livre d’entretiens qui n’est qu’une démonstration de plus d’un sens supérieur de la communication orchestrant une carrière parfaitement huilée, il eût mieux valu composer une authentique autobiographie. La sincérité et la demi-mesure sont antinomiques.
174 p., 14,90 €
Pour en savoir plus :
et le site internet de l’écrivain : eric-emmanuel-schmitt.com